jeudi 9 mai 2013

Les mystères du meltingpot hellénistique, au berceau des tantras



Brahmā est connu comme le créateur. Il est notamment le créateur de Manu (Humain[1]), le progéniteur de la race humaine, le premier homme d’un kalpa[2] ainsi que son premier législateur. La durée de vie de Manu et de ses lois est un Manu-antara/Manvantara/Manuvantara. Un manvantara, tout comme un kalpa, est une unité de temps. Chaque kalpa verra l'apparition de 14 Manu, et se divise donc en 14 « âges de Manu ». Selon les Purāṇa (Viṣṇu Purāṇa et Bhagavata Purāṇa), la durée d’un kalpa en années humaines est de 4.32 billions (?), soit 4 320 000 000 000 années. Un âge de Manu durerait alors approximativement 308 571 428 571 années. Le tout premier Manu s’appellait Svāyambhūva (T. rang byung ba).

Un kalpa est une journée de Brahmā. A la fin d’un kalpa, tout l’univers se dissout (pralaya). Brahmā se repose alors pendant une nuit de Brahmā, qui dure également un kalpa. A son réveil, c’est la naissance d’un nouveau kalpa avec son propre cycle de création et de dissolution. Le Matsya Purāṇa (290.3-12) affirme qu’il y a 30 kalpa et il donne le nom de chaque kalpa. Dans un univers divin, tout est divin. Les kalpa ne sont pas simplement des unités de mesure, mais des êtres, des dieux.

C’est plus explicite dans la cosmologie des jaina. Comme chez les grecs anciens, leur univers se divise en trois parties : les régions supérieures (urdhva loka), les cieux où résident les dieux, les régions du centre (madhya loka), où vivent les hommes, les animaux et les plantes, ainsi que les régions inférieures (adho loka), les enfers. La région supéreure (urdhva loka) se divise en deux parties : le Kalpa et le Kalpathita. Le Kalpa consiste en 16 régions divines (deva loka), et le Kalpathita, lui compte quatorze étages (comme dans la cosmologie bouddhiste). Le monde des siddha (siddha loka) est d’ailleurs situé au-dessus du Kalpathita.

Le mot sanskrit « kalpa » est souvent traduit par le mot « éon », qui vient du grec. Un éon est une unité de temps mythologique, mais surtout une « puissance spirituelle émanant d'un principe suprême et caractéristique des gnoses néoplatoniciennes » (Atilf). L’entrée de dictionnaire Atilf donne la sage citation suivante en exemple : « Les gnostiques ont vu leurs éons dans ces fils de Dieu; et peut-être les anges et les diables ne se seraient-ils pas introduits facilement dans le christianisme sans cette porte que la genèse mal comprise leur laissa ouverte (P. LEROUX, Humanité, t. 2, 1840 p. 628). »

Quand Irénée de Lyon[3] s’attaque aux hérésies, il commence par celle des gnostiques et notamment par le mensonge de la « doctrine de Ptolémée ». « Ptolémée et des gens de son entourage, dont la doctrine est la fleur de l'école de Valentin ». Cette doctrine enseigne la genèse des 30 éons/aiôns/aïons.

Tout d’abord un éon parfait antérieur (pro- ou S. adi ou T. dang po'i comme on dit chez nous) à tout, nommé Pro-Principe, Pro-Père et Abîme (A1). Cet éon est incompréhensible et invisible, éternel et inengendré.

« Il fut en profond repos et tranquillité durant une infinité de siècles. Avec lui coexistait la Pensée (Ennoia), qu'ils appellent encore Grâce (Charis) et Silence (Sige) (A2). Or, un jour, cet Abîme (A1) eut la pensée d'émettre, à partir de lui-même, un Principe de toutes choses ; cette émission dont il avait eu la pensée, il la déposa, à la manière d'une semence, au sein de sa compagne Silence (A2). Au reçu de cette semence, celle-ci devint enceinte et enfanta Intellect (Nous) (B1), semblable et égal à celui qui l'avait émis, seul capable aussi de comprendre la grandeur du Père (A1). Cet Intellect (B1), ils l'appellent encore Monogène, Père et Principe de toutes choses. Avec lui fut émise Vérité (Aletheia)(B2).

Telle est la primitive et fondamentale Tétrade pythagoricienne, qu'ils nomment aussi Racine de toutes choses. C'est : Abîme (A1) et Silence (A2), puis Intellect (B1) et Vérité (B2). »

« Or ce Monogène (B1), ayant pris conscience de ce en vue de quoi il avait été émis, émit à son tour Logos (C1) et Vie (C2), Père de tous ceux qui viendraient après lui, Principe et Formation de tout le Plérôme (Plénitude).

De Logos (C1) et de Vie (Zoe) (C2) furent émis à leur tour, selon la syzygie[4] , Anthropos (D1) & Ekklesia (D2).

Et voilà la fondamentale Ogdoade[5], Racine et Substance de toutes choses, qui est appelée chez eux de quatre noms : Abîme (A1+A2), Intellect (B1+B2), Logos (C1+C2) et Humain (D1+D2). »

Et si on vous dit encore que ces quatre éons correspondent aux quatre éléments (feu, air, terre et eau) et leurs épouses respectives aux valeurs élémentales correspondantes (chaud, humide, froid, sec) (voir Markos de Haeresiarcha, fin IIè A.D.).


« Chacun de ceux-ci est en effet mâle et femelle : d'abord le Pro-Père (A1) s'est uni, selon la syzygie, à sa Pensée (A2), qu'ils appellent aussi Grâce et Silence ; puis le Monogène (B1), autrement dit l'Intellect, à la Vérité (B2) ; puis le Logos (C1), à la Vie (C2) ; enfin Anthropos (D1), à Ekklesia (D2).

Or, tous ces [huit] Éons, émis en vue de la gloire du Père, voulant à leur tour glorifier le Père par quelque chose d'eux-mêmes, firent des émissions en syzygie. Logos (C1) et Vie (C2), après avoir émis Humain (D1) et Ekklesia (D2), émirent dix autres Éons, qui s'appellent, à ce qu'ils prétendent : Bythios et Mixis, Agèratos et Henôsis, Autophyès et Hèdonè, Akinètos et Syncrasis, Monogenès et Makaria. Ce sont là, disent-ils, les dix Éons émis par Logos et Vie (C1+C2). L'Humain (D1), lui aussi, avec l' Ekklesia (D2), émit douze Éons, qu'ils gratifient des noms suivants : Paraclètos et Pistis, Patrikos et Elpis, Mètrikos et Agapè, Aeinous et Synesis, Ekklèsiastikos et Makariotès, Thelètos et Sagesse. »

Le premier groupe de huit, ogdoade, le deuxième groupe de dix éons, décade, et le troisième groupe de douze éons (duodécade) forment un total de trente éons, que l’on appelle aussi Plénitude (plérôme).

C’est à cause d’un petit problème (avidyā) avec le dernier éon, Sophia, qui veut connaître le Père (A1) que la Plénitude est rompue (māyā). S’ensuit une genèse complexe, l’apparition d’un démiurge, qui n’est au fond qu’un homme de paille, l’envoi d’un sauveur, le sauvetage de Sophia et la restauration de la Plénitude (par ici pour les détails). Ceux qui ont comme moi beaucoup d’imagination reconnaîtront aisément que ce mythe, et les mystères qui lui font suite, ne se sont pas limités à la bande de Valentin et que les mystères d’orient portent bien leur nom.

***
Article intéressant de Dan Martin sur la notion de créateur dans le bouddhisme tibétain et dans la religion Bön. Notamment le processus de création du Bön, rappelle la genèse ci-dessus. Mais alors la deuxième partie avec l'apparition du démiurge. 

[1] Manu de man- « penser ».

[2] Les kalpas se divisent en quatre périodes (yuga) : satya yuga, treta yuga, dvapara yuga et kali yuga.

[3] Contre les hérésies 1,1. Irénée de Lyon fut le deuxième évêque de Lyon entre 177 et 202. Il est un des Pères de l'Église.

[4] Dans la gnose, couple issu des déterminations successives et personnelles de l'essence divine, se déroulant deux par deux, chaque éon masculin ayant à côté de lui un éon féminin ATILF 

[5] Chez les gnostiques, groupe de huit divinités primordiales, d'où émanent tous les autres esprits ATILF

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire