mardi 16 octobre 2012

Correspondances (Lin-tsi - Gampopa)



Je compte faire une série sur des correspondances entre le Ch'an et la Mahāmudrā de Gampopa etc.

« Par Buddha, il faut entendre la pureté de l’esprit, dont la radiance compénètre le plan des choses (dharmadhātu). »[1]

« Le Buddha, c’est la pureté de notre esprit ; la Loi, c’est la radiance de notre esprit ; la Voie, c’est son rayonnement pur qui partout illumine sans obstacle. Les trois sont un ; ce ne sont que des noms vides, ils n’ont point d’existence réelle en soi. Le vrai religieux est celui qui garde cela présent à l’esprit, de pensée en pensée indiscontinuellement. »[2]

« Adeptes, le vrai Buddha est sans figure ; la vraie Voie est sans corps ; la vraie Loi est sans marque particulière. Ces trois se fondent pour se combiner en un. Qui ne sait discerner cela, s’appelle un être dont la connaissance est obscurcie par l’acte. »[3]

Comparer avec Gampopa, qui écrivait d'ailleurs que le vrai Buddha est le corps spirituel (S. dharmakāya), et celui-ci est sans figure :
« La conscience individuelle naturelle (sahaja) est le véritable corp spirituel (S. dharmakāya)
Les apparences naturelles sont la lumière du corps spirituel
Le discours naturel est le rayonnement du corps spirituel
Leur indissociabilité naturelle est la réalité du corps spirituel. »[4]
Ou avec son neveu Gomchung[5]
« Le principe conscient (S. cittatva) naturel (S. sahaja) est le corps spirituel (S. dharmakāya)
Les apparences (S. abhāsa) naturelles sont la lumière du corps spirituel
Accéder à l'essence qui discerne (T. rig pa) l’esprit est l’éveil (S. buddha)
Ne pas y accéder, c'est l'errance (S. saṃsāra). »[6]
Le Buddha est le sujet sublimé[7], le Dharma est l’objet sublimé. L’interaction (« l’éveil ») dans laquelle les deux sont indissociés et indissociables est le « plan de la Loi » (dharmadhātu).
Hi-yun de Houang-po, le maître de Lin-tsi disait : 
« Le profane s'attache aux objets ; le religieux s'attache à l'esprit. Oublier à la fois les objets et l'esprit, voilà la vraie Loi. Il est encore facile d'oublier les objets, mais très difficile d'oublier l'esprit : l'homme n'ose pas oublier l'esprit, il craint de tomber dans un vide où il n'aurait plus rien à quoi s'accrocher. C'est qu'il ne sait pas que le vide, fondamentalement, n'est pas vide — il n'en est ainsi que dans la Loi » (Taishô, n° 2012 A, p. 381 a)[8]
 « Et pourtant, vénérables, vous vous en allez, chargés de votre besace et de votre écuelle, portant votre fardeau d'excréments, rechercher auprès d'autres le Buddha et la Loi. Et savez-vous qui c'est, celui qui maintenant même court ainsi à la recherche ? C'est cet être sans racine et sans souche [T. gzhi med rtsa bral], tout vif comme un poisson dans l'eau, et qu'on ne saurait ni rassembler en joignant les mains, ni disperser en écartant les mains. Plus on le cherche, et plus on en est loin. Ne le cherchez pas, il est devant les yeux ! Écoutez bien ma voix, tendez l’oreille : tout homme qui n'a pas confiance, c'est pour rien qu'il se fatiguera pendant cent ans. Adeptes, c'est dans l'espace d'un instant qu'on peut accéder à l'univers de l'Embryon de Fleur [le dharmadhātu de Vairocana], au royaume de Vairocana, au royaume de la délivrance [nirmāṇakāya], au royaume des supersavoirs [abhijñāna], au royaume de la pureté, au plan des choses [dharmadhātu], à la souillure comme à la pureté, à la profanité comme à la sainteté, à la condition de mâne affamé [preta] comme à celle d'animal. Vous aurez beau chercher partout : nulle part vous ne verrez qu'il y ait ni naissance ni mort ; ce ne sont là que noms vides. »[9]

« Vénérables, c'est parce que je ne puis faire autrement, qu'à force de fatras je vous parle maintenant de toutes ces 'puretés' inutiles. Ne vous y trompez pas : à mon point de vue, il n'y a en vérité pas tant de théories. Si vous en avez usage, faites-en usage ; sinon, repos ! Quant à ce qui se dit de toutes parts, que les six perfections et leurs dix mille pratiques doivent être considérées comme la Loi du Buddha, je dis, moi, que cela relève de l'ornementation, que c'est l’affaire (pratique) du Buddha, non la Loi du Buddha. Cela et tout le reste, observance des jeûnes et des défenses, exploits ascétiques comme de porter de l'huile[10] sans la laisser couler, tout cela devra se payer, tant que l'œil de Voie n'y verra pas clair. Le jour viendra où vous sera réclamé l'argent de votre grain ! Et pourquoi ?
'Qui entre dans la Voie sans comprendre la vérité,  En renaissant paiera sa dette aux donateurs (croyants).
Quand le notable fut âgé de quatre-vingt-un ans,
L'arbre ne porta plus d'oreille de Judas[11]. »[12]
 ***

Les ajouts entre [ ] sont les miens.
Photo : porteur de fardeau, beau reportage !

MàJ221012 : Khenpo Tsultrim Gyamtso sur l'exemple du poisson sautant de l'eau dans les traditions Ati et Mahāmudrā. 


[1] Entretiens de Lin-Tsi, Paul Demiéville, Fayard, p. 153
[2] Entretiens de Lin-Tsi, Paul Demiéville, Fayard, p. 147. Demièville ajoute en note : « d’après ces définitions, dit Mujaku Dôchû, le vrai Buddha est la substance (t’i), la vraie Loi est son aspect ‘marqué’ (siang), la vraie Voie est son ‘emploi’ (yong, son activité).
[3] Entretiens de Lin-Tsi, Paul Demiéville, Fayard, p. 146
[4] rang sems lhan cig skyes pa chos sku dngos//
snang ba lhan cig skyes pa chos sku'i 'od//
rnam rtog lhan cig skyes pa chos sku'i rlabs//
dbyer med lhan cig skyes pa chos sku'i don//
Extrait de : chos rje dwags po lha rje'i gsung*/ snying po don gyi gdams pa phyag rgya chen po'i 'bum tig bzhugs so/
[5] slob dpon sgom chung shes rab byang chub (1127-1171), le cadet des neveux de Gampopa.
[6] sems nyid lhan cig skyes pa chos kyi sku dang*/snang ba lhan cig skyes pa chos sku'i 'od/sems rig pa'i ngo bo 'di rtogs na sangs rgyas/ma rtogs na 'khor ba yin/ Extrait des Introductions au Coeur, la collection des trésors de la réalité ultime (T. snying po'i ngo sprod don dam gter mdzod).
[7] L’homme est le sujet, non éveillé. « L’objet est désigné par king, le ‘domaine’, le ‘territoire’. » Cela fait penser aux notions de champ (ketra) et connaisseur de champs dans la Bhagavad gītā.
[8] Entretiens de Lin-Tsi, Paul Demiéville, Fayard, p. 54
[9] Entretiens de Lin-Tsi, Paul Demiéville, Fayard, p. 134
[10] « Allusion à un apologue du « Sûtra du grand Parinirvāa » (Taishô, n° 374, xxii, p. 496 b) où l'on voit un roi faire porter à l'un de ses ministres, sur une distance de vingt-cinq stades, un bol plein d'huile, suivi d'un spadassin qui a l'ordre de lui couper la tête s'il en laisse perdre une goutte : de même l’ascète doit se concentrer sur ses pratiques sans s’en laisser distraire par rien. »
[11] « Stance attribuée au cinquième patriarche indien, Deva (?), disciple de Nâgârjuna, qui rencontra à Kapilavastu un notable âgé de soixante-dix-neuf ans dans le jardin duquel avait poussé sur un arbre desséché un grand champignon savoureux (oreille de Judas, auricula judae). Il en fit manger à son deuxième fils ; chaque fois le champignon repoussait. Le notable, dans sa jeunesse, avait fait offrande à un moine dont l'« œil de Voie » n'était pas ouvert ; en rétribution d'avoir accepté une offrande dont il n'était pas digne, ce moine avait été changé en oreille de Judas condamnée à repousser sans cesse pour le bénéfice du notable et de son fils, ainsi récompensés de leur pieuse offrande. Le notable lui ayant dit son âge, le cinquième patriarche prononça la stance citée par Lin-tsi. La stance et l'apologue se trouvent dans le Pao-lin tchouan de 801 (éd. Kyoto, iii, p. 206), dans la « Transmission de la lampe » de 1004 (Taishô, n° 2076, ii, p. 211 b). Cette histoire a passé dans le folklore chinois et japonais, qui en donnent des versions mises au goût du jour.
[12] Entretiens de Lin-Tsi, Paul Demiéville, Fayard, p. 149-150

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