dimanche 20 mai 2018

Mousses aquatiques

“Bhikkhus, suppose that this river Ganges was carrying along a great lump of foam. A man with good sight would inspect it, ponder it, and carefully investigate it, and it would appear to him to be void, hollow, insubstantial. For what substance could there be in a lump of foam?"

Selon la tradition pāli, au terme du troisième concile[1], Moggaliputta envoya des moines anciens (thera) vers les différentes régions afin de convertir leurs habitants à la Doctrine du Bouddha. Ainsi, c’est le thera Mahārakkhita qui fut choisi pour convertir les Yavanas/Yona (grecs). Le sutta choisi pour les convertir fut le Kālakārāma sutta. « Cent soixante-dix mille (ou : cent trente-sept mille) personnes se convertirent; dix mille entrèrent dans les ordres [pabbajja] »[2].

Le Kālakārāma sutta est un discours que le Bouddha aurait tenu quand il séjournait au monastère Kālaka à Sāketa. La terre aurait tremblé à cinq fois quand le Bouddha énonça ce discours.[3]

Le sutta est d’une sobriété extrême. Le Tathāgata connaît tout du monde avec ses dieux, Māra, Brahma, ascètes, dieux, hommes, etc. mais n’y prend pas appui, c’est-à-dire qu’il ne l’approche pas avec convoitise et aveuglement. Il « connaît » toutes ces choses que connaissent aussi les autres. Cette connaissance est cependant particulière, et la formulation du Bouddha est particulière. « Si je disais que toutes ces choses, je ne les connaissais pas, ce serait faux. Si je disais que je les connaissais et ne les connaissais pas à la fois, ce serait faux. Si je disais que ni je les connaissais ni je les ignorais, ce serait faux. »

Le Bouddha semble, malgré cette « connaissance » particulière du monde, vouloir prendre du recul de toutes les représentations qui le constituent et se base sur une connaissance plutôt empirique.

Le Tathāgata ne conçoit pas d’objet vu en dehors de ce qu'il voit ; il ne conçoit pas de non-vu, ni de chose digne d’être vue. Il ne conçoit pas non plus de sujet qui voit. Le même procédé est répété pour l’ouïe et la sensation. Il ne conçoit pas d’une chose connaissable en dehors de la cognition ; il ne conçoit pas de non-connu, ni de chose digne d'être connue. Il ne conçoit pas non plus de sujet qui connaît.

Le Tathāgata est « tel » par rapport aux phénomènes vus, entendus, sentis et connu, « tels » qu’ils sont. Il n’y a pas d’individu supérieur à celui qui est « tel ».

Le Bouddha déclare à la fin du sutta :
Ce qui est vu, entendu, senti et réifié
Est considéré comme vrai par les autres ;
Au milieu de ceux entranchés dans leurs opinions
Etant « tel », moi je ne les considère ni vrais ni faux.

Je les perçois bien à l’avance, ces aiguillons barbelés
Auquels s’accrochent, et sur lequels s’empalent les hommes
« je connais, je vois, en fait, c’est ainsi » - pas de telles réifications
Pour les Tathāgata.
Serait-ce un bouddhisme spécialement choisi et adapté pour les Yavanas ? Et qui aurait permis d’en convertir un certain nombre. On imagine « la terre » (ou la vision du monde ?) trembler cinq fois, une fois à chacun des cinq énoncés qui ébranlent le Spectacle de mousses aquatiques ?
« Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement [pratakṣya] vécu s’est éloigné dans une représentation. »

« Les images qui se sont détachées de chaque aspect de la vie fusionnent dans un cours commun, où l'unité de cette vie ne peut plus être rétablie. La réalité considérée partiellement se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo-monde à part, objet de la seule contemplation. La spécialisation des images du monde se retrouve, accomplie, dans le monde de l'image autonomisé, où le mensonger s'est menti à lui même. Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant. »

Thèses 1 et 2 de La Société du Spectacle, Guy Debord.

***
[1] « Concile mahayana du Cachemire
Ce concile, présidé par Vasumitra, aurait eu lieu dans l’Empire kouchan (au Cachemire ou à Jalandhar) sous le règne de Kanishka Ier (127-147). Il fut l’occasion d’une remise en ordre du canon mahayana accompagnée de la traduction en sanscrit des textes rédigés en gandhari, langue vernaculaire locale. Selon la tradition, 500 bhikkhus auraient travaillé pendant douze ans à cette révision. Il est parfois mentionné dans le courant theravada comme le « concile des moines hérétiques ». Wikipédia

[2] Selon le Mahàvamso, le Dipavawso et le Sutta-vibhanga de Buddhaghosa.

[3] Bhikkhu Ñānananda, The Magic of the Mind (1974).

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