dimanche 27 mars 2016

Gratitude



Le premier chapitre des Chants de Milarepa est un de mes favoris. Il parle de volonté et d’involonté, et du non-agir (tib. byar med).
« Ayant retrouvé l'enthousiasme, [Milarepa] repris son habit en coton, emporta une poignée de bois et retourna dans son lieu de pratique.
Dans sa cabane étaient assis cinq atsara[1] de [couleur] métallique, leurs yeux écarquillés comme des soucoupes. Un, assis dans le lit du Seigneur, enseignait la doctrine. Deux autres l'écoutaient. Un autre pétrissait de la pâte [pour faire des tormas]. Encore un autre se distrayait en feuilletant les textes [de Milarepa] (tib. phyag dpe)
. »
Tant que Milarepa cherche à se débarrasser des cinq atsara, ils resteront. Plus Milarepa veut se débarrasser d’eux et plus les atsara se montrant menaçant. C’est seulement quand il les invite à rester avec lui, qu’ils disparaissent.

Une des méthodes utilisées par Milarepa est la louange du lieu (tib. gnas la bstod pa).
« Au départ, il [se disait] qu'il leur était peut-être redevable de grâces (tib. zil). Ensuite il pensait que c'était peut-être un prodige provoqué par des dieux locaux mécontents.
"Partout où j'ai habité, je n'ai jamais eu besoin d'offrir des oblations/gâteaux sacrificiels (sct. bali tib. gtor ma) Je n'ai jamais manqué de faire l'éloge de chacun de ces [lieux]. Il va falloir aussi l'éloge de celui-ci." pensa-t-il
. »
Il chante alors les louanges du lieu, de ses habitants, et des génies qui l’animent. Il invite tous les génies (bhūta) et non-humains à boire du « nectar de l'amour et de la compassion » et de retourner dans leurs lieux respectifs, conformément aux rituels tantriques. Mais cela ne « fonctionne » pas, car Milarepa veut toujours se débarrasser des atsara. C’est la raison même pourquoi ils restent.

Même les louanges et les hymnes peuvent être des actes intéressés. Jaillissent-ils spontanément de nous, ou sont-ils un numéro obligé ? Quand j’étais allé voir l’ermite de Roquebrune sur-Agens frère Antoine, il y a quelques années, nous avions parlé de son séjour en Inde et de son intérêt pour les religions de l’Inde. Je voulais savoir quelle fut sa pratique, peut-être un mélange de christianisme et d’hindouisme ? Il n’avait qu’une seule pratique répondit-il, dire merci. Cela ne veut pas dire qu’il passe ses journées à dire « merci » comme un mantra, mais qu’il est continuellement rempli d’un sentiment de gratitude. La présence continue de gratitude vient automatiquement avec un sens de grâce. Comme si la grâce (« don accordé sans qu'il soit dû ») ne pouvait exister sans la gratitude.

***

[1] Déformation d'ācārya. Ce sont les clowns, caricatures d'ācārya indiens, que l'on voit pendant les danses religieuses. Dans ce chant, les caricatures d’ācārya servent à tourner en dérision les actes intéressés dits « religieux ».

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