samedi 27 février 2016

Percer l’idéologie, retrouver l’Être ?




K. G. Dürckheim (1896-1988), professeur en psychologie allemand, qui découvrit le zazen en 1945 au Japon, développa une « thérapie initiatique », qui a pour objectif de retrouver l’Unité essentielle de l’Être essentiel (le Ciel) et du moi existentiel (la Terre). « L’être est une réalité qui nous appelle intérieurement à travers une souffrance particulière ; il est la véritable Réalité, en nous et en chaque chose. »[1]

La méthode de Dürckheim est enseignée dans les centres Dürckheim . Elle ne s’inspire pas seulement du zazen, mais aussi, notamment en ce qui concerne l’Être, de maître Eckhart[2].
« Le zazen. Exercé de l'attitude correcte, comme une assise absolument immobile, l'esprit dégagé de tous ses contenus c'est-à-dire dans le vide total, cet exercice prépare le terrain pour une rencontre de l’Être. »
Il s’agit de faire une percée (Durchbruch), « la Percée de l’être », de l’être profond, à travers la couche du moi existentiel, afin de « devenir un avec la source de notre Être » et de « rapatrier l'âme dans cet Être ». Voilà le sens de la méditation Dürckheimienne.[3] Celui qui réussit la Percée, peut alors se centrer dans son être essentiel.
« Le sens final de ce devenir est une "extinction", un épanouissement et un anéantissement dans le UN divin qui est, lui, au-delà du devenir et du disparaître. »[4]
L’homme naît comme un être de nature, mais en se socialisant il se coupe de celui-ci, et il souffre en conséquence, « parce qu'il se prive de sa vérité intérieure »[5].

Le réel, voire la Réalité (l’Être), est recouverte par de l’idéologie. Pour un adepte de l’Être, l’idéologie, quelle qu’elle soit, est un mensonge.
« Before we were born, a whole society of storytellers was already here. The storytellers who were here before us taught us how to be human. First they told us what we are -- a boy or a girl -- then they told us who we are, and who we should or shouldn’t be. From the storytellers, we learned how to create our own story. By exploring the story that we create, I discovered that the story has a voice. You can call it ‘thinking’ if you want. I call it ‘the voice of knowledge’ because it’s telling you everything you know. It’s always trying to make sense out of everything. That voice is always there. It’s not even real, but you hear it. You can say, ‘Well, it’s me. I’m the one who is talking.’ But if you are talking then who is listening?
The voice of knowledge can also be called the liar who lives in your head. The liar speaks in your language, but your spirit, the truth has no language. You just know truth: you feel it. The voice of your spirit tries to come out, but the voice of the liar is stronger and louder and it hooks your attention almost all of the time
! »[6]
Vivre dans le mensonge cause de la fatigue et de la souffrance (« pain body »[7]), le vrai repos est le « ravissement »[8] dans l’Être (Dürckheim) ou dans la Divinité (Gottheit, Maître Eckhart). Le rapt du niveau existentiel et le transport au niveau essentiel. Ce qui se transporte ainsi n’est pas le corps, mais l’âme.

Eckhart Tolle parle du menteur qui vie dans notre tête, dans le Śūrāṅgamasūtra le Bouddha explique à Ānanda qu’il y a deux niveaux de pensée, la pensée ordinaire (l’idéologie) et « la pensée véritable et éternelle, qui ne serait autre que la pensée pleinement éveillée de tous les bouddhas ».[9] Pour exemple, le Bouddha compare les pensées ordinaires (l’déologie de Destutt de Tracy) à des conspirateurs.
« Mais maintenant tes yeux, oreilles, nez, langue, corps et pensée sont comme des conspirateurs qui ont laissé des voleurs entrer dans votre maison, pour vous dérober de vos biens. De cette façon, depuis les temps sans commencement, les êtres et le monde du temps et de l’espace ont été associés par l’effet de l’illusion, et c’est pourquoi [les êtres] ne peuvent transcender ce monde. »[10]
Dans le bouddhisme du grand véhicule, on ne « perce » pas l’illusion, pour s’installer ensuite dans l’être. Le deuxième niveau (« ultime ») est la connaissance de la nature de l’idéologie ; celle-ci peut être transformée et utilisée en connaissance de cause et dans le sens de l’éveil universel. Il n’y a rien de définitif dans le sens de l’éveil, à part qu’il est présenté en s’appuyant sur l’éthique, la transformation et la sagesse (triśikṣā) et en se voulant l’élimination des trois poisons (convoitise, haine et aveuglement). Il ne faut pas confondre l’éveil et la percée. La percée n’est que la première étape, l’éveil, dans le sens de « manifestation éveillée » (tib. mngon byang sct. abhisambodhi) est le retour du « repos ». Le repos du bodhisattva n’est en fait que la connaissance de la nature de la « vérité conventionnelle ». On peut s’attarder, se délasser dans le liquide amniotique essentiel de l’Être, mais on ne peut pas véritablement appeler cela « éveil ».

Dans le Śūrāṅgamasamādhisūtra (tib. dpa' bar 'gro ba'i ting nge 'dzin gyi mdo), qu’il ne faut pas confondre avec le sūtra au nom très similiaire ci-dessus, Mañjuśrī, bodhisattva de la dixième terre, un quasi Bouddha, décide de sortir du liquide amniotique essentiel de l’UN (« une "extinction", un épanouissement et un anéantissement dans le UN divin qui est, lui, au-delà du devenir et du disparaître »), et s’éveille (sct. sambodhi) en s’engageant dans l’ « idéologie » de la « marche héroïque », qui n’est pas tant une « marche vers l’éveil » que la marche de l’éveil (sct. bohicārya).

Une idéologie détermine le monde des sujets de l’idéologie, et c’est à travers l’idéologie que les sujets peuvent transformer leur monde. Un monde se transforme par l’idéologie et les pratiques sociales. Dans l’idéologie du Śūrāṅgamasamādhisūtra et du Bodhicāryāvatāra, tournés vers la terre qu’ils regardent avec compassion, l’éveil passe par la marche de l’éveil du bodhisattva. Il en va autrement dans l’idéologie tantrique qui regarde le Ciel avec dévotion. La compassion envers les êtres est en fait la volonté de les sauver de la Terra Pestefera afin de les établir dans la Terra Lucida. Une mauvaise langue pourrait comparer ce type de compassion à une sorte de prosélytisme. Les bodhisattvas des tantras sont des nostalgiques de la Terre de Lumière. Ils présentent une idéologie où la terre est privée de toute agentivité. Seul un soulagement provisoire est possible, en fait un pis-aller, en reconstituant ici-bas ce qu’ils imaginent être là-haut. Alors, comme un genre d’effet « trickle down »[11], les bénédictions de la Terre de Lumière descendraient sur la terre par sympathie universelle.

Le dzogchen tardif est présenté comme un chemin en deux parties, la première étant la percée (tib. khregs chod, « percer à travers la rigidité ») qui s’inscrit plutôt dans la méthode bouddhiste commune. Pour la deuxième partie, il ne propose pas tant de suivre une idéologie éveillée terrestre comme dans la voie des bodhisattvas, que de remplir, visionnairement, le temps et l’espace avec le symbolique de la Terre de Lumière en préparation du grand transfert, qui reste l’objectif et la réussite ultime. Le passage ici-bas ne serait que la préparation aux diverses opportunités que présente la mort et l’expérience post-mortem pour rejoindre la Terre de Lumière.

Là où Dürckheim, Maître Eckhart, Eckhart Tolle et autres adeptes de l’Être suivent un mystique discret, assez vague, le bouddhisme ésotérique a pour objectif de rendre son idéologie visible, partout et tout le temps, pour frapper autant que possible les esprits. Si cela n’aurait pas d’autre effet, cela créerait au moins des connexions de bonne augure (tib. rten ‘brel).

L’effet secondaire de cette idéologie de salut post-mortem, à moins que ce ne soit le véritable objectif, est de prendre modèle sur une suprastructure et de l’appliquer ici-bas dans la mesure du possible. Les hiérarchies terrestres s’appuient alors sur les hiérarchies célestes, auxquels seront subordonnés les principes de démocratie, d’égalité, de parité, de liberté d’expression etc. L’imaginaire et le symbolique du bouddhisme ésotérique sont de type féodal, que ce soit réellement pour notre bien ou non. Est-ce que ce type d’idéologie est (toujours) compatible avec notre monde ?

Blog sur Bergson et le mystique actif

***

[1] Source

[2] «Durchbruch in die Gottheit»

[3] Source

[4] K. G. Dürckheim. La percée de l'Etre

[5] Jacques Castermane, Pourquoi méditer chaque jour vingt-cinq minutes ?

[6] Eckhart Tolle cité dans Times of India, Patna , Sunday Mar 19, 06. Il semblerait que cette idée soit plutôt celle exprimée par don Migel Ruiz et Janet Mills.

[7] Expression d’Eckhart Tolle

[8] « État mystique, supérieur à l'extase, dans lequel l'âme, soustraite à l'influence des sens et du monde extérieur, se trouve transportée dans un monde surnaturel, amenée vers Dieu. » Atilf  

[9] « The Buddha then compounds his cousin's confusion by stating that there are fundamentally two kinds of mind — first, the ordinary mind of which we are aware and which is entangled, lifetime after lifetime, in the snare of illusory perceptions and deluded mental activity; and second, the everlasting true mind, which is our real nature and which is identical to the fully awakened mind of all Buddhas. The Buddha adds that it is because beings have lost touch with their own true mind that they are bound to the cycle of death and rebirth. » Śūrāṅgamasūtra traduit en anglais par Buddhist Text Translation Society Burlingame, CA avec un commentaire par Venerable Master Hsüan Hua..

[10] « But now your eyes, ears, nose, tongue, body, and mind are like conspirators who have introduced thieves into your house to plunder your valuables. In this way, since time without beginning, beings and the world of time and space have been tied to each other because of illusion, and that is why beings cannot transcend this world. »

[11] « théorie selon laquelle le bien-être des riches finit par profiter aux classes sociales défavorisées « Larousse

mercredi 24 février 2016

Réalité et/ou idéologie


Facebook au salon mobile de Barcelone (février 2016)
C’est à Antoine Destutt de Tracy[1] (1754-1836) que nous devons le terme « idéologie », pour désigner une science ayant pour objet l'étude des idées afin de remplacer la métaphysique traditionnelle.
« Dans le prolongement des Lumières et du sensualisme (toute connaissance découle de la sensation) de Condillac (1715-1780), le groupe des Idéologues, constitué autour de Destutt de Tracy, de Cabanis et de Volney voulait démonter les mythes et l'obscurantisme par une analyse scientifique de la pensée et de ses origines. »[2]
Antoine Destutt de Tracy est également l’auteur de l'Analyse raisonnée de l'origine de tous les cultes, ou Religion universelle, qui reprend l’œuvre de Charles-François Dupuis.

Dans son livre Éléments d’idéologie il explique qu’il ne distingue pas entre « sentir et penser » (tout comme d’ailleurs Antonio Damasio) et il présente (au moins) quatre facultés de la pensée :
« On appelle sensibilité la faculté de sentir des sensations ; mémoire, celle de sentir des souvenirs ; jugement, celle de sentir des rapports ; volonté, celle de sentir des desirs. »
Voici quatre types d’idées qui contribuent à construire notre monde (idéologie). La définition d’idéologie a beaucoup évolué par la suite et prend désormais différents sens, moins psychologiques. Voici par exemple la définition de Karl Jaspers
« Une idéologie est un complexe d'idées ou de représentations qui passe aux yeux du sujet pour une interprétation du monde ou de sa propre situation, qui lui représente la vérité absolue, mais sous la forme d'une illusion par quoi il se justifie, se dissimule, se dérobe d'une façon ou d'une autre, mais pour son avantage immédiat. »
Le réel étant inaccessible, nous le représentons par un réel idéologique. Et un réel idéologique peut être avancé comme le support d’une imposition (as-sujet-issement). Une idéologie peut être imposée à l’aide d’« appareils idéologiques », qui « apparaissent comme des superstructures, des formations que l'on pourrait qualifier de "psycho-sociale" du fait qu'elles ont pour but d'inculquer des "façons de voir", d'évaluer les choses, évènements et relations des classes sociales entre elles » (Wikipédia).

Quand une communauté est assujettie à une idéologie, celle-ci devient comme invisible, totalement intégrée : « ce qui est, ce qui sera, ce qui fut. »[3] Comme l’eau est invisible pour les poissons qui y vivent. Destutt de Tracy cite Hobbes[4]
« Quand les hommes ont une fois acquiescé à des opinions fausses, et qu’ils les ont authentiquement enregistrées dans leurs esprits, il est tout aussi impossible de leur parler intelligiblement que d’écrire lisiblement sur un papier déjà brouillé d’écriture »
Dans la collection d’essais « The Faithful Buddhist » de Tom Pepper, celui-ci décrit le saṁsāra comme un royaume idéologique[5], et il rappelle le premier sens du mot saṁsāra qui est de « tourner en rond en cercles ».[6] Il rappelle également que le fait que le bouddhisme (Nāgārjuna) enseigne deux vérités, une vérité ultime et une vérité conventionnelle (sct. saṁvṛiti-satya), ne veut pas dire que seule la première est vraie et que la deuxième est une illusion. La vérité conventionnelle est très réelle, mais elle est entièrement construite et peut évoluer (sct. pratītyasamutpāda), contrairement à la vérité ultime. Nous pouvons intervenir sur elle et en même temps nous pouvons être as-sujet-tis à elle.

Tournons-nous maintenant vers le Sūtra de la marche héroïqueŚūrāṅgamasūtra », Taishô n° 945) aussi connu comme le Buddhoṣṇīṣa-sūtra (Fo-ting king), considéré comme la source canonique de l’expression « regarder la pensée » (tib. sems la blta ba), car Mañjuśrī[7] y dit : « Une seule des facultés sensibles étant retournée à sa source, les six facultés sensibles parfont leur délivrance. »[8]

Ānanda était parti avec son bol d’aumônes, pour permettre à tous, quel que soit leur rang, d’accumuler du mérite. Il s’est donc aussi rendu dans le quartier des prostitués, mais « il tomba au piège d'un puissant sortilège. Par la force du mantra de Kapila, qui venait du ciel de Brahma, la fille de Matangi l'attira sur une couche impure. » Le Bouddha se trouva ailleurs au même moment, mais fut conscient du danger imminent.
« 97 Alors, l'Honoré du Monde, du sommet de son crâne, émit des centaines de rayons de lumière précieuse qui dispersent toute crainte. Au coeur de la lumière apparût un lotus aux mille pétales, sur lequel était assis un Bouddha au corps de transformation en posture de lotus complet, proclamant un mantra spirituel. 
100 Le Bouddha Çakyamuni ordonna à Manjusçrì de prendre le mantra et d'aller fournir protection, et, lorsque le mauvais mantra fut dissipé, d'aider Ananda et la fille de Matangi et de les encourager à retourner là où se trouvait le Bouddha. »
Le corps émané produit par le Bouddha pour sauver Ānanda n’est pas le véritable corps du Bouddha, bien qu’il ait pu sauver Ānanda… Ānanda a pu être sauvé par ce qu’il avait vu de ses yeux charnels ou de ses yeux de l’esprit. Mais qu’avait-il vu au juste ? S’ensuit un dialogue intéressant sur ce que c’est vraiment de voir et de voir le Bouddha ou la Pureté, et où le Bouddha montre comment retourner la vision vers l’intérieur, pour se libérer.
« 114 Ananda dit au Bouddha: "J'ai vu les trente-deux marques spécifiques de l'Ainsi-Venu, qui étaient si suprêmement merveilleuses et incomparables que son corps tout entier en avait une translucidité luisante juste comme celle du cristal.
«J'ai souvent pensé que ces marques ne pouvaient avoir été le fruit du désir et de l'amour. Pourquoi donc? Les vapeurs du désir sont fortes et enivrantes. De la copulation infecte et putride sort une trouble mixture de pus et de sang qui ne peut donner une concentration aussi magnifique, pure et brillante de lumière pourpre et or. Alors j'ai passionnément regardé en l'air, j'ai suivi le Bouddha, j'ai laissé tomber mes cheveux de ma tête
" »
Le corps aux trente-deux marques du Bouddha, son sambhogakāya, est un corps pur, où le « pus et le sang » du corps impur sont une « lumière pourpre et or ». Il ne s’agit pas de voir l’aspect impur, ni l’aspect pur, mais de retourner la vision sur ce qui voit, et ce qui voit est également vide.

Le fait qu’Ānanda a failli succomber aux charmes de la courtisane est évidemment condamnable, mais l’enseignement du Bouddha porte surtout sur le fait qu’il s’est laissé entraîner par « l’idéologie » au sens de Destutt de Tracy. Le Bouddha demande à Ānanda où se situe sa pensée ? Elle ne se situe ni dans le corps, ni en dehors du corps, ni entre les deux, ni ailleurs, ni la faculté visuelle, ni se produit-elle en s’associant avec des objets. Il lui explique ensuite qu’il y a deux types de pensée, l’ordinaire, prisonnière de l’idéologie, et une pensée éveillée qui est celle des Bouddhas.

Après cette introduction, le Bouddha entame avec Ānanda une discussion sur la vision, qu’est-ce que c’est que de voir et qu’est-ce qui voit les yeux ou la pensée. Ils commencent par parler de la vision du corps qu’eut Ānanda du corps émané du Bouddha venu pour le sauver du lit de la courtisane. Comment Ānanda avait-il vu le Bouddha produisant des rayons de lumières ? Pas avec ses yeux, ni avec sa pensée, mais avec ses « processus mentaux qui attribuent des attributs faux et illusoires au monde d’objets perçus. Ces processus t’induisent en erreur au sujet de ta nature véritable et depuis les temps sans commencement, jusqu’à maintenant ils t’on fait prendre un voleur pour ton enfant, et t’ont éloigné de ta pensée originelle, en t’assujettissant au cycle de morts et de naissances. »[9] Autrement dit au royaume idéologique…

Ce n’est pas davantage en s’assujettissant à des idéologies bouddhistes que l’on s’en sort selon le Bouddha du Śūrāṅgamasūtra chinois.
« Les individus qui suivent une pratique spirituelle, mais qui passent à côté de l’éveil ultime. Par exemple, les auditeurs (śravaka), les auto-éveillés (pratyekabuddha) et les sages solitaires (ṛṣi ? 16 arhats ?), les êtres célestes et les autres comme les rois de démons et les membres de leurs suites, qui suivent des chemins erronés. Tous échouent, car ils ne comprennent pas ces deux fondements et se méprennent sur leur pratique. Ils sont comme quelqu’un qui fait cuire du sable en espérant préparer un met délicieux. Mais même en faisant cuire des tas de poussière durant des éons sans nombre, il n’en sortira pas de met délicieux. »[10]

From time without beginning, all beings have mistakenly identified themselves with what they are aware of. Controlled by their experience of perceived objects, they lose track of their fundamental minds. In this state they perceive visual awareness as large or small. But when they're in control of their experience of perceived objects, they are the same as the Thus-Come Ones. Their bodies and minds, unmoving and replete with perfect understanding, become a place for awakening. Then all the lands in the ten directions are contained within the tip of a fine hair.” The Śūrāṅgamasūtra, Buddhist Text Translation Society

Le Śūrāṅgamasūtra enseigne que la seule sortie possible du « royaume idéologique » est de se réfugier dans une sorte de royaume libre d’idéologie. Mais est-ce vraiment possible de se dé-sujet-tir du royaume idéologique ?
« Il n’y a, au fond, que deux idées de la subjectivité : celle de la subjectivité vide, déliée, universelle, et celle de la subjectivité pleine, enlisée dans le monde, et c’est la même idée comme on le voit bien chez Sartre, l’idée du néant qui ‘vient au monde’, qui boit le monde, qui a besoin du monde pour être quoi que ce soit, même néant, et qui dans le sacrifice qu’il fait de lui-même à l’être, reste étranger au monde. »
« La subjectivité est une de ces pensées en deçà desquelles on ne revient pas, même et surtout si on les dépasse. »[11] (Merleau-Ponty) 
Le bodhisattva est le sujet du « royaume idéologique » et ne cherche pas à en sortir. Ce n’est pas un sacrifice de sa part, même si on parle de « marche héroïque », car il connaît la nature de ce royaume et il sait qu’il peut le transformer à cause de la coproduction conditionnée. Rien n’est « absolu » dans ce royaume. En langage mythologique bouddhiste, Mañjuśrī, bodhisattva de la dixième terre, tout en « résidant » dans la dixième terre (libre d’idéologie)[12], se met au service des autres en « créant des corps de métamorphose (nirmāṇa) », pour « enseigner la Loi aux hommes ». Il s’engage dans la « marche héroïque ».

Afin d’agir dans le monde et d’y exercer son influence bénéfique (Śantideva, Nāgārjuna…), le bodhisattva s’as-sujet-tit dans le « royaume idéologique », qu’il partage avec tous les autres, et le transforme très concrètement dans l’intérêt de tous. Pas le contraire. La « marche héroïque » ne consiste pas à imaginer la dixième terre à longueurs de journée, tout en résidant physiquement sur la terra pestifera, ni à enseigner à d’autres comment faire de même.

Śantideva parle très bien de ce que pourrait être le « sujet du royaume idéologique » dans le huitième chapitre de sa Marche vers l'Eveil (Bodhicaryāvatāra). Le bien n’est pas un idéal qui se limite à un seul individu.
103. Que la douleur de tous
Doit être évitée n’est contesté par personne
Si elle doit être évitée, évitons toute souffrance
Même celle qui n’est pas mienne, celle de tous les êtres
113. L’idée d’un moi individuel est vicié
Tandis que l’altruisme est un océan de qualités
Aussi je rejetterai la saisie d’une essence individuelle (ahaṃkāra)
Et je développerai l’altruisme
.

114. Tout comme les mains etc.
Sont considérées comme des parties du corps
Pourquoi ne pas considérer ceux qui ont un corps (dehinaḥ)
Comme des parties du monde (jagat
) ?

***

[1] En 1796 dans « Mémoire sur la faculté de penser ».

[2] Source

[3] Hésiode, Theogonie, 32 et 38

[4] Hobbes, Traité de la Nature humaine, traduction du baron d’Holbach

[5] « It will be my claim that many of the conceptual difficulties and apparent contradiction in Buddhist thought dissolve once we understand samsara as the realm of ideology. »

[6] « If we understand the term “samsara” in its literal sense of “going around in circles,” then we can see the sense in which it refers to the stagnant reproduction of a social formation that is not open to change. »

[7] Mañjuśrī n’est cependant pas l’interlocuteur du Bouddha dans le Śūrāṅgamasūtra apocryphe, mais Ānanda. Mañjuśrī est l’interlocuteur du Bouddha dans le Śūrāṅgamasamādhisūtra.

[8] Concile de Lhasa, Demiéville, p. 52

[9]It is merely your mental processes that assign false and illusory attributes to the world of perceived objects. These processes delude you about your true nature and have caused you, since time without beginning and in your present life, to mistake a burglar for your own child — to lose touch with your own original, everlasting mind — and thus you are bound to the cycle of death and rebirth.” The Śūrāṅgamasūtra, Buddhist Text Translation Society

[10]People who undertake a spiritual practice but who fail to realize the ultimate enlightenment — people such as the Hearers of the Teaching34 and the Solitary Sages, as well as celestial beings and others, such as demon-kings and members of the demons' retinues, who follow wrong paths — all fail because they do not understand two fundamentals and are mistaken and confused in their practice. They are like someone who cooks sand, hoping to prepare a delicious meal. Even if the sand were cooked for eons numberless as motes of dust, no meal would result from it.” The Śūrāṅgamasūtra with Excerpts from the Commentary by the Venerable Master Hsüan Hua, Buddhist Text Translation Society Burlingame, CA

[11] Extraits de Éloge de la philosophie, Merleau-Ponty p. 190-191

[12] « Le corps du Bodhisattva est pareil à la lune du quatorzième jour; celui des Buddha à la lune du quinzième. La différence est si minime que la Prajñāpāramitā affirme: „Le Bodhisattva, le grand être, qui se trouve dans la dixième terre doit être appelé purement et simplement un Tathāgata” »

mardi 23 février 2016

La foi qui déplace la montagne (de Mañjuśrī)




Hommage à Louis et Etienne[1],

En français, la référence en matière d’informations de fond sur Mañjuśrī est sans doute l’article d’Etienne Lamotte dans l'étude collective éditée par Paul Williams[2]. Quelques extraits choisis.

« Comme Mademoiselle M. Lalou l’a fait remarquer, Mañjuśrī présente des affinités assez étroites avec Pañcaśikha, le roi des Gandharva, bien connu des anciennes écritures canoniques du bouddhisme. En sa qualité de Gandharva, Pañcaśikha fut un musicien qui charma le Buddha par la douceur de ses chants et son talent de harpiste. On l’appelait Pañcaśikha parce qu’il portait cinq boucles ou cinq tresses à la façon des jeunes garçons. Un sūtra le présente comme une émanation de Brahma Sanatkumāra, une forme de Brahma éternellement jeune. De telles analogies, en conclut Mlle Lalou, ne sont pas fortuites: „La popularité du Gandharva Pañcaśikha et le culte du Bodhisattva Mañjuśrī paraissent dériver d’une même source mythique: la croyance à un dieu éternellement jeune. Timidement représenté dans le bouddhisme du Petit Véhicule par Pancasikha, qui ne joue jamais qu’un rôle épisodique, ce mythe a pris une importance considérable dans certaines sectes du Grand Véhicule. Mañjuśrī, comme le prouvent ses épithètes et ses attributs, paraît bien être l’équivalent mahâyâniste du Kārttikeya brâhmanique et du Pañcaśikha hînayâniste”. »

« Ajoutons que le culte de Pañcaśikha jouit d’une grande popularité dans le Nord-Ouest de l’Inde et que la Mahāmāyūrī[3] lui attribue comme résidence les confins du Cachemire (Kāśmīrasaṃdhi), tandis qu’elle situe son fils aîné (jyeṣṭhaputra) dans les territoires du Cīna (Cīnabhūmi), manifestement la Cīnabhukti, district himālayen localisé par Hiuan-tsang à proximité de l’actuel Fīrōzpur. »

Mañjuśrī apparaît relativement tardivement (Vaipulyasūtra) sur la scène bouddhiste.

« Or les sūtra qui s’inspirent de Mañjuśrī et l’introduisent dans leurs dialogues sont fort nombreux; ils apparaissent dès les origines du Mahāyāna et se rangent parmi les premiers textes à avoir été traduits en chinois, au début du grand mouvement missionnaire qui devait conquérir la Chine au bouddhisme. »

C’est à partir du Śūrāṅgamasamādhisūtra (tib. dpa' bar 'gro ba'i ting nge 'dzin gyi mdo) que Mañjuśrī commence véritablement à jouer un rôle important, au point où Lamotte suggère d’appeler ce texte le Mañjuśrī-Śūrāṅgamasamādhi. A ne pas confondre avec le Śūrāṅgamasūtra.

« A la fin du IVe siecle avant notre ère, Évhémère de Messine publia une Inscription sacrée qu'il pretendait avoir lue sur un autel de la ville de Panara, capitale de la Panchaïe, dans l'Ocean Indien. Cette inscription rapportait qu'Ouranos, Kronos et Zeus avaient été des rois de la Panchaïe, divinisés apres leur mort. L'auteur partait de là pour édifier sa théorie selon laquelle les dieux de l'Antiquité avaient été des êtres humains mais divinises après leur mort par la crainte ou l'admiration des peuples. En histoire des religions l'évhémérisme n'est pas mort, car il répond à une tendance profonde de l'esprit humain de chercher la réalité à travers le mythe. Les Buddha et les Bodhisattva eux-mêmes n'y ont point échappé. Ainsi, ces trente dernières années ont vu se multiplier des tentatives sans cesse renaissantes pour faire du bodhisattva Maitreya un personnage historique et, malgré ses inconcevables pouvoirs miraculeux, Mañjuśrī lui-même a risque le même sort. »

« L’épithète de kumārabhāta, en tibétain gzhon nur gyur pa, est presque synonyme: dans la dixième terre, le Bodhisattva reçoit l’onction (abhiṣeka) qui le consacre prince héritier (kumāra) du Roi de la Loi [dharmaraja] et l’associe au pouvoir royal auquel il est appelé à accéder. »

« Enfin, c’est dans la dixième terre que le Bodhisattva entre en possession du Śūrāṅgamasamādhi ‘concentration de la Marche héroïque’ qu’il ne partage qu’avec les Buddha. Par cette concentration „il domine le champ de toutes les concentrations”. ‘Par la force de cette concentration, il manifeste au choix, dans les dix régions, naissance (jāti), sortie du monde (abhiniṣkramaṇa), Nirvāṇa, Parinirvāṇa ou partage de ses reliques (śarīrānupradāna): tout cela pour le bien des êtres”. »

« Tout au long du saṁsāra, il se manifeste en Inde, dans l’univers à quatre continents et dans les grands chiliocosmes répartis à l’infini dans les dix régions. C’est là que „le Bodhisattva, doué de pouvoirs psychiques inconevables (acintyavimokṣa), se manifeste sous les apparences diverses d’un Buddha, d’un Pratyekabuddha, d’un Śrāvaka, d’un Bodhisattva orné des marques, d’un Brahmā, d’un Śakra devendra, d’un Cāturmahārājika deva, d’un roi Cakravartin: bref, de n’importe quel être” »

« L’un des textes les plus intéressants concernant le présent sujet est le Mañjuśrī- parinirvaṇasūtra traduit en chinois (Wen chou che lipan nie p'an king, T 463), à la fin du IIIe siècle, par Nie Tao-tchen, qui fut, on l’a vu, le collaborateur et le continuateur de Dharmarakṣa [d’origine Yuezhi, né à Dunhuang, autour de 233[4]]. »

Il y est décrit un Mañjuśrī qui agit par « métamorphoses » (tib. sprul pa sct. nirmāṇa). Il se manifeste sur sur le Mont Siue chan (Mont des neiges)[5], désignant l’actuel Himalaya, comme le chef d’un groupe de 500 tīrthika, dont il sera le maître (ācārya) et manifeste un parinirvāṇa « salvifique » (upāya).

« Après sa mort, huit grandes divinités recueillent Mañjuśrī et le déposent sur le sommet de diamant (Vajrasikhā) du Mont Hiang chan (Mont des parfums), où d’innombrables Deva, Nāga et Yakṣa viendront toujours l’honorer. »

« Au VIIe siècle, l’école du Ti-louen-tsong fut absorbée par l’école du Houa-yen-tsong ou de l’Avataṃsaka proprement dit. Son fondateur et son premier patriarche Tou-chouen (557-640), en religion Fa-chouen, se concilia les bonnes grâces de l’empereur des T’ang, T’ai-tsong [Tang Taizong], qui régna de 626 à 649. Il se rendit fameux par ses miracles et passait pour une incarnation de Mañjuśrī. »

Pour les très nombreux détails intéressants, je renvoie à l’article de Lamotte. Je ne reproduis ici, pour un aperçu rapide, que les extraits qui m’intéressent, qui vont dans le sens de mon hypothèse. L’article montre bien comment le culte de Mañjuśrī s’installe en occupant le temps, l’espace, les figures de pouvoir, considérés comme ses « métamorphoses » (tib. sprul pa) ou avatars, bref tout l’imaginaire.

« De toute manière, au fur et à mesure qu’il se répandra en Asie Centrale, au Tibet, en Extrême-Orient, le culte de Mañjuśrī sera invariablement localisé sur une chaîne de montagnes à cinq pics, entourant un lac. Il s’agit d’une véritable constante. »

« Selon une croyance commune à l’Inde et la Chine, les Mahāyānasūtra prêchés par le Buddha et compilés par les grands Bodhisattva, étaient de dimensions considérables et dépassaient pour la plupart 100.000 gāthā (unités de 32 syllabes). C’est ce qui leur valut le nom de Vaipulyasūtra „Sutra développés”. »

Les Mahāyānasūtra comportaient non seulement des sūtras enseignés par le Bouddha dans sa dernière existence, mais de toutes les existences précédentes.[6] Fa-tsang (Fazang 643-712) raconte :

« Selon le Prajñāpāramitopadeśa (T 1509, k. 100, p. 756 b 15), beaucoup de Mahāyānasūtra furent compilés par Mañjuśrī, et notamment ce Sūtra [de l’Avataṃsaka] fut compilé par Mañjuśrī. Mais, après le départ du Buddha, les saints se cachèrent et les hérétiques se disputèrent l’hégémonie. Comme on manquait de récipients pour contenir ces Sūtra du Grand Véhicule, ils demeurèrent dans le palais du Roi des Nāga de la mer et, durant plus de six siècles, ils ne circulèrent pas dans le monde. Le bodhisattva Nāgārjuna entra dans le palais des Nāga et, un jour qu’il visitait ce palais profond, il apprit par cœur ces Sūtra. Quand il en ressortit, il les publia, et c’est ainsi que ces Sūtra se répandirent. »

Mañjuśrī est présenté comme le dépositaire des Mahāyānasūtra. C’est lui qui guide Sudhana dans sa quête racontée dans le Gaṇḍavyūha. Mais il est également considéré comme le dépositaire des tantras (anciens), avant que ce rôle ne soit attribué à Vajrapāṇi (tantras nouveaux).

En ce qui concerne quelques lieux de cultes et leurs légendes associées. Je n’en citerai que quelques-uns développés par Lamotte. Au Népal.

« Au témoignage du Svayambhūpurāṇa[7], Mañjudeva arriva, de la montagne de Mañjuśrī en Chine, à la vallée du Népal qui était originellement un lac, le Kālīhrada (Nāgahrada selon la Vaṃsāvalī). Là, il ouvrit les six vallées sur la rive sud du lac, en en drainant les eaux. Puis, du côté sud de l’une de ces vallées, la Gandhāvatī, il creusa un nouveau lac et éleva une montagne à côté de l’ancien Kālāhrada. Au sommet de cette montagne, il creusa un nouveau lac dans lequel les Nāga du Kālāhrada furent invités à prendre place... Au Népal le principal sanctuaire du bouddhisme est la colline de Svayambhū, située à un mille et demi à l’ouest de Kāthmandū. Selon le Svayamhhūpurāṇa, le nom de cette colline était Padmagiri durant le Satya-yuga, à cause de ses cinq lotus faits de joyaux. Durant le Tretāyuga, la colline fut appelée Vajrakūta; durant le Dvāparayuga, Gośṛṅga; enfin, durant le Kaliyuga, Gopuccha. Près du Svayambhācaitya (selon Wright, sur le pic occidental de la colline de Svayambhū) est située la résidence népalaise de Mañjuśrī, le Mañjuśrīcaitya. »

La version du Svayambhūpurāṇa semble s’appuyer sur des sources qui situent la montagne de Mañjuśrī en Chine. Ce serait intéressant d’en connaître la raison. La montagne de Mañjuśrī en Chine, justement, est Wou-t’ai chan (Mont des cinq terrasses tib. ri bo rtse lnga), « située au nord-ouest de la sous-prefecture de Wou-t'ai et au nord-est de celle de Fan-tche, dans l'actuel Chan-si ».

« Au cours de sa longue histoire, la montagne fut encore connue sous d’autres noms. Un auteur du VIIe siècle relève les appellations Ts ’ing-leang chan, ‘Mont frais’, Wou-fong chan, ‘Mont aux cinq cimes’, et Tseu-fou chan, ‘Mont du palais pourpre’. »

« La montagne fut un centre taoïste et un séjour d’immortels jusqu’ au début du IVe siècle (309). Au cours du IVe siècle, les bouddhistes se l’annexèrent et y situèrent le bodhisattva Mañjuśrī. La montagne avec ses cinq pics, son lac et ses Immortels était, comme le Gandhamādana[8] en Inde et le Gośṛṅga ("Corne de vache") au Khotan, un lieu saint tout indiqué pour Mañjuśrī et ses cinq cents ṛṣi. A une date que nous essayerons de déterminer, les traducteurs chinois de l’Avataṃsaka introduisirent dans le texte original un passage donnant le Ts’ing-leang chan (autre nom du Wou-t’ai chan) comme une ancienne résidence de Mañjuśrī. Dans la seconde moitié du Ve siècle, en 471 ou 477, l’empereur Hiao-wen Hong des Pei Wei érigea sur la montagne le monastère du Ta Feou-t’ou Ling-tsieou qui fut sans doute le premier monument bouddhique de l’endroit. Vers la même date, un troisième prince y brûla son corps par ‘dévouement’ à Mañjuśrī. »


Quand on lit les diverses légendes[9] de Pañcaśikha, on a l’impression que celles concernant le Khotan sont les plus anciennes, ce que confirme Lamotte.[10]

D'une autre source anglophone :

« According to the account of the Gośṛṅga-vyakarana[11], Sakyamuni at one time came to the hill of Gośṛṅga in Khotan. There he saw the great lake, and prophesied the future of the country. Among his attendants on this occasion the text mentions the Gandharva-king, Pañcasikha. Finally, the Buddha ordered Śariputra and Vaiśravana to give the land manifest borders, and they, with monk’s staff and lance respectively, “ dried half of the mountain of Sa, and, taking it, set it down on the western aide and made a great water course. The lake with its living beings they transferred into the middle of Śo-rtsang-po [a mountain (?) on the north of the lake]. In this wise they disclosed the stupa of Go-ma-sa-la-gan-da and the hill of Gośṛṅga and the land of Li[12].” »

« Dès le IIIe siècle, le Khotan constituait une réserve de Mahāyānasūtra. Comme on l’a vu plus haut, Tchou Che-hing y trouva, en 260, un manuscrit indien de la Pañcaviṃśatisāhasrikā, texte qui fut traduit à Tch’ang-ngan, en 291, par le Khotanais Mokṣala (T 221). En 296, un autre Khotanais, Gītamitra, arrivait à Tch’ang-ngan avec un nouveau manuscrit du même texte. Enfin Fa-hien[13], qui séjourna trois mois au Khotan, en 401, fut frappé par l’essor du Mahāyāna en ce petit royaume, entouré de régions restées jusqu’alors d’obédience sarvāstivādin. Le religieux kāśmīrien Buddhayaśas, alors qu'il tenait école à Cha-lö (Kashgar[14]), instruisit Kumārajīva (344-409) dans le Grand Véhicule et l’initia à la scolastique mādhyamika. »

Grottes de Mogao

« The ancient Kingdom of Khotan was one of the earliest Buddhist states in the world and a cultural bridge across which Buddhist culture and learning were transmitted from India to China »[15]. The inhabitants of the Kingdom of Khotan, like those of early Kashgar and Yarkant, spoke Saka, an Iranian language. Khotan's indigenous dynasty (all of whose royal names are Indian in origin) governed a fervently Buddhist city-state boasting some 400 temples in the late 9th/early 10th century—four times the number recorded by Xuanzang around 630. The kingdom was independent but was intermittently under Chinese control during the Han and Tang Dynasty. After the Tang dynasty, Khotan formed an alliance with the rulers of Dunhuang. Khotan enjoyed close relations with the Buddhist centre at Dunhuang: the Khotanese royal family intermarried with Dunhuang élites, visited and patronised Dunhuang's Buddhist temple complex, and donated money to have their portraits painted on the walls of the Mogao grottos. Through the 10th century, Khotanese royal portraits were painted in association with an increasing number of deities in the caves. » (Source Wikipédia)

La montagne Gośṛṅga se situerait-t-elle peut-être dans le Cordillère du Kunlun ou ses contreforts ?

Après la dynastie Tang (618-907), le royaume du Khotan fit une alliance avec les gouvernants de Dunhuang. Les communautés bouddhistes de Dunhuang et de Khotan entretenaient des rapports étroits avec des mariages interalliés. Les grottes de Dunhuang et les temples bouddhistes étaient sponsorisés par les rois de Khotan, dont on retrouve les représentations dans les grottes de Mogao.

Au Xème siècle, Khotan commença un conflit avec les Qarakhanides, une dynastie de Transoxiane d’origine turque. En 920, les Qarakhanides dirigés par Satuq Bughra Qara-Khan 'Abd al-Karim (règne 920-956) se convertirent collectivement à l’Islam. Khotan perdit son indépendance entre 1006 et 1165, et devenait une partie du royaume des Qarakhanides.

La conquête de Khotan créa la panique il a été suggéré que les grottes de Dunhuang furent scellées à cette occasion, quand les administrateurs apprirent que des édifices bouddhistes furent rasés par les musulmans et que la religion bouddhiste avait cessé d’exister au Khotan.[16] Quand Marco Polo visita le Khotan au XIIIème siècle, il observa que tous les habitants furent des musulmans[17].

Logiquement, ce fut la fin de la montagne de Mañjuśrī au Khotan, Gośṛṅga, comme le lieu de pèlerinage originel en Mahācīna de Mañjuśrī. Il n’est pas exclu que la popularité de Wou-t’ai chan, autre lieu de pèlerinage, ait pu bénéficier de cet état de choses. Des bouddhistes illustres de l’Inde et du Tibet (Vairocanavajra, Dampa Sangyé…XI-XIIème siècle) s’y seraient rendus par la suite.

Mais ce fut aussi déjà le cas bien avant.

« Il a déjà été question plus haut de la formidable activité littéraire déployée au VIIe siècle autour de l’Avataṃsaka par Tcheyen (602-668) et Fa-tsang (643-712) qui furent respectivement les deuxième et troisième patriarches de la secte. À cette époque, le culte de Mañjuśrī au Wou-t’ai chan était en plein essor. On recherchait fébrilement les recensions longues de l’Avataṃsaka où la présence du grand Bodhisattva sur la montagne chinoise aurait pu être expressément définie. La recension en 40.000 gāthā découverte au Khotan par les envoyés de l’impératrice Wou Tsô-t’ien et apportée à Lo-yang par Śiksānanda [651-710, originaire de Khotan] ne contenait rien de pareil. Mañjuśrī ne figurait pas parmi les huit bodhisattva localisés par l’Avataṃsaka aux quatre points cardinaux et aux quatre régions intermédiaires du Continent habité. Il convenait de réparer un ‘oubli’[18] aussi regrettable. C’est la tâche que s’assignèrent les Bodhiruci, Yi-tsing, Fou-li, Fa- tsang et toute l’équipe de lecteurs, traducteurs, scribes et vérificateurs réunis autour de l’impératrice dans le Fo-cheou-ki sseu de Lo-yang. On introduisit, dans la traduction, un passage définissant la présence actuelle de Mañjuśrī dans la région du Nord-Est, au mont Ts’ing-leang. »

Ces efforts semblent avoir eu de l'effet, car on trouverait des références dans des textes indiens sur la présence de Mañjuśrī en Chine au Wou-t’ai chan. Par exemple dans un texte traduit par Bodhiruci en 710 :

« Après mon Nirvāṇa, dans la région située au nord-est du Jambudvīpa (Inde), il y a un pays nommé Ta Tchen-na (Mahācīna). Dans ce pays, il y a une montagne appelée Wou-ting (Pañcaśīkha = Wou- t’ai). Mañjuśrī kumārabhūta se rendra en cette résidence et y prêchera la Loi aux êtres). »[19]

La distance actuelle entre la préfecture de Khotan et le Mont Wutai est env. 4000 km (Google maps).

Le succès de Wou-t’ai et des allers-retours par la route de la soie ont sans doute fait que cette manipulation (la falsification de l’Avataṃsaka etc., voir l’article de Lamotte) devenait un fait, car par la suite on trouve des textes indiens authentiques[20] qui semblent confirmer la présence de Mañjuśrī en Chine. Les influences voyagent dans les deux sens sur la route de la soie.

Lamotte dresse une liste d’indiens qui se sont rendus en pèlerinage à Wou-t’ai en Chine : le kaśmīrien Buddhapalita en 676, Bodhisena en 735, Amoghavajra (peut-être de Samarkand) en 770. Il arriva en Chine avec son père à l’âge de 10 ans et fut converti à la religion bouddhique par Vajrabodhi (671-741). Le kaśmīrien Prajñā en 794. Les pèlerins n’affluaient d’ailleurs pas seulement de l’Inde, mais aussi du Japon (VIII-IXème siècle).

L’article Tibetan Buddhism at Ri bo rtse lnga/Wutai shan in Modern Times de Gray Tuttle mentionne des visites tibétaines dès le XIIIème siècle.

Quand on lit l’article de Lamotte et que l’on compare les situations d’Oḍḍiyāna et du Khotan aux mêmes époques, on voit un bouddhisme en perdition à Oḍḍiyāna et en même temps un bouddhisme en plein essor au Khotan. Le Khotan avait un trésor en textes du mahāyāna et un lieu de pélérinage de Mañjuśrī avant les autres. Les indiens avaient connaissance de Wou t’ai en Chine dès le VIIème siècle, tandis que les sources tibétaines ne le mentionnent pas avant le IX-Xème siècle.[21] La grande question qui surgit alors est pourquoi les maîtres mentionnés ci-dessus voulaient visiter Mañjuśrī en Chine et recevoir des enseignements ésotériques, s’ils pouvaient se rendre dans un pays beaucoup plus proche (surtout pour les Kaśmīriens), Oḍḍiyāna, pays béni par Vajrapāṇi ? Ne connaissaient-ils donc pas leurs voisins magiciens, que les tibétains semblaient connaître si bien ? Je me suis déjà expliqué sur le rôle d’Oḍḍiyāna, apparu tardivement mais comme une utopie rétrospective. Mañjuśrī fut le gardien des anciens tantras, Vajrapāṇi, qui hantait la terre d’Oḍḍiyāna, fut celui des tantras nouveaux. C’est la rétrodatation des faits « historiques » (lire hagiographiques) des nouveaux tantras qui crée la confusion. Messieurs les universitaires et chercheurs francophones, au travail ! À quand la réincarnation de Louis et d’Etienne ?

***

[1] Louis de la Vallée-Poussin et Etienne Lamotte

[2] BUDDHISM, Critical Concepts in Religious Studies, edited by Paul Williams, Volume III The Origins and Nature of Mahayana Buddhism; Some Mahayana Religious Topics, pp. 227-301

[3] « Mahamayuri's dharani, translated into Chinese by Kumārajīva, is considered to predate Mahayana Buddhism.[4] It contains the only mention of the Rig Veda in the entire Chinese Buddhist canon. » Wikipedia

[4] Wikipedia

[5] « Mais, dans l’idée des Chinois, la dénomination de Siue chan est beaucoup plus élastique. Pour ne citer qu’un exemple, „le Siue chan est aussi le nom de diverses montagnes situées dans l’Ouest de la Chine, et en particulier, des monts Richthofen dont les neiges étemelles s’élèvent aux confins du Kan-sou et du Ts’ing-hai, au Sud-Ouest de la route conduisant vers Touen-houang entre Leangtcheou et Sou-tcheou, et qui sont identifiées sous le nom de K’i-lien dans certains commentaires des T’ang” »

[6] Kumārajīva dans une une note annexée à sa traduction de l’Upadeśa.

[7] En français : Svayambhūpurāṇa: mythe du Népal ; suivi du Maṇicūḍāvadāna : légende du prince Maṇicūḍā, par Siegfried Lienhard, Patrimoines d'Orient, Findakly, 2009.

[8] Voir les sources pāli au sujet de ce site

[9] Legends of Khotan and Nepal, de Ravi Shakya

[10] « Un détail minime peut avoir contribué à cette conviction. On a vu plus haut comment les légendes khotanaises relatives à Mañjuśrī ont été transplantées au Népal parce que, à un moment donné, le toponyme Li-yul, qui désignait primitivement le Khotan, a été pris pour le Népal. Nous avons déjà signalé la collusion qui a toujours existé entre Mañjuśrī, le bodhisattva à la voix douce, et le roi des Gandharva, le dieu-musicien Pañcaśīkha. Or celui-ci était localisé aux confins du Kaśmīr, tandis que son fils aîné (son jyesthaputra ou kumāra) avait sa résidence dans le district himālayen de la Cīnabhukti, là où Kaniṣka avait confiné ses otages chinois). Entre Cīnabhukti, district indien, et Cina tout court désignant la Chine, la confusion était facile, et tous les traducteurs chinois et tibétains de la Mahāmāyūrī sont tombés dans le piège. »

[11] Prof. F.W. Thomas, Tibetan Literary Texts and Documents from Chinese Turkestan, vol. i, 12-35 ; cf. also pp. 95, 307.

[12] Khotan est Li yul en tibétain, actuellement la région autonome de Xinjiang. L’extrait vient de Legends of Khotan and Nepal par John Brough publié dans Bulletin of the School of Oriental and African  Studies, University of London, Vol. 12, No. 2. (1948), pp. 333-339

[13] Faxian ou Fa-Hsien (vers 337-422), source wikipédia.  Arrivé à Khotan, où il restera trois mois en 401, il est le témoin d'une grande fête bouddhiste. Faxian y découvre un bouddhisme florissant.

[14] Actuellement la région autonome ouïghoure du Xinjiang. L'oasis de Kachgar se trouve au point de rencontre des routes nord et sud qui contournent le désert de Taklamakan.

[15] "Khotan - Britannica Online Encyclopedia". Britannica.com. Retrieved 2012-04-06.

[16] Valerie Hansen (17 July 2012). The Silk Road: A New History. Oxford University Press. pp. 227–228. ISBN 978-0-19-993921-3.

[17] Latham, Ronald (1958). Marco Polo: the travels. p. 80.

[18] « Car la version tibétaine des débuts du IXe siècle qui en est le lointain écho situe Mañjuśrī non pas dans la région du nord-est, mais dans celle de l’est, déjà occupée par Vajraśrī. De plus, elle lui assigne comme montagne un Span-ri (Sādvalaparvata) qui n’a rien de commun ni avec le Ts’ing-leang chan ni avec le Wou t’ai chan. »

[19] Mañjuśrīdharmaratnagarbhadhāranīsūtra

[20] Mañjuśrīmūlakalpa (ch. 36 Rājavyākaranaparivarta, v. 568) où il est dit à propos du Mahācīna (Chine):  Bodhisattvo mahādhiraḥ Mañjughoṣo mahādyutiḥ, tasmin deśe tu sākṣād vai tiṣṭhate bālarūpiṇaḥ). „En ce pays (la Chine), se trouve présentement, sous la forme d’un jeune homme, le bodhisattva Mañjughoṣa, très ferme et de grand éclat”.

[21] Demiéville a démontré que le roi Srong-btsan-sgam-po (mort en 650) n’a pas pu faire ce pèlerinage, comme le voudrait Bu ston (XIVème siècle).

jeudi 18 février 2016

Les noces terrestres



Les religions qui enseignent un dualisme « Ciel – Terre », avec le Ciel comme le Réel et la Terre comme son reflet difforme, s’attribuent toute agentivité (agency), en la retirant à la Terre. Si on veut réellement agir sur le monde, les choses et les êtres, il faut le concours du Ciel, de l’intelligence agente réelle, que les religions ne manquent pas de personnifier en divers agents hiérarchiques. Au lieu d’intervenir directement, il faudra passer par la bureaucratie céleste et remplir les nombreuses obligations rituelles. On prie pour…, au lieu d’agir, car la véritable agentivité n’est pas nôtre. L’homme propose Zeus (ou tout autre dieu au choix) dispose.

À cause d’une déchirure primordiale, la Terre et ses habitants sont le reflet du Ciel. Les religions parlent de Doubles célestes (Anges, ou tout autre agent au choix), mais ce serait inverser les choses, car les véritables doubles sont ici-bas, tandis que leurs modèles sont là-haut. L’objectif des religions est ainsi de restaurer l’union primordiale avec le monde céleste de l’intelligence agente. Le monde céleste est le modèle parfait. Le monde terrestre est imparfait, mais, si jamais, il imitait le monde céleste, il pourrait peut-être réussir un semblant de perfection (siddhi) ici-bas.
« C'est seulement dans l'imagination que l'on a inventé la légende des douze actes du Bouddha, dans l'espoir que l'imitation de ceux-ci conduise à la délivrance. Pour donner un exemple, les gens non-instruits ne voient pas le palais céleste de Śakra. Alors ils s'en font un modèle qui n'est pas une reproduction conforme. De la même façon, ne voyant pas que le bouddha est intérieur, [les gens non-instruits imaginent que le bouddha est :]
།གང་ཞིག་གང་ལ་གནས་པ་ནི།Quelqu'un quelque part

[Le bouddha] est présent au sein de l’identité de la conscience individuelle (sct. svacitta) [298], on ne peut pas le voir authentiquement sous une forme matérielle[1]. Tout comme on ne voit pas [sa propre ombre] dans l'obscurité. Mais en présence du soleil, de la lune ou d'une lampe, [l'ombre] devient visible. De la même façon, on ne voit pas l'élément réel (sct. dharmadhātu) qui est du domaine de l'inconcevable.
།དེ་ནི་དེ་རུ་མ་མཐོང་བ་སྟེ། Ce n'est pas ainsi qu'on peut voir [le Bouddha] 
Celui qui le voit est expert en le bien souverain. Ceux qui ne le voient pas, [le cherchent] dans les mots et les définitions des écritures, des traités. »[2]
Ce que proposent les religions à travers les discours, les représentations, les symboles, les rituels etc. est de reconstituer de façon perceptible, dans le temps et dans l’espace, ce monde modèle. Ce qui est en haut servira de modèle à ce qui devrait être en bas[3] (Table d'Emeraude), si le reflet était conforme au modèle. Et tout l’effort (agentivité) des religions s’appliquera à imprimer le plan directeur du monde céleste sur la terre. Un double effort, une partie concernant la vie ici-bas et une partie l’au-delà, quand le reflet tentera de se réunir à l’original, ou repart pour un autre tour ici-bas ou ailleurs si la réunification échoue.

De son vivant, l’adepte tentera de vivre en accord et en communication avec le monde céleste, comme si il y était déjà. Tout en vivant ici-bas, il imaginera le monde céleste, et c’est son imagination qui fera le lien entre les deux. L’imagination est friande de supports imaginaires dont elle a besoin pour se nourrir. Mais en même temps, plus elle consomme des supports, et moins elle s’envole. Pour Henry Corbin, elle constitue une « tierce faculté de connaissance », hormis les facultés sensorielles et intellectuelle. « Telle est la raison de l’importance reconnue à la conscience imaginative et à la perception imaginative comme organe de perception d’un monde qui lui est propre, le mundus imaginalis (‘âlam al-mithâl) ».

Pour les religions, après la mort, quand l’âme se libère du corps, plus rien ne l’empêche d'aller retrouver son Double céleste dans la Terre de Lumière/pure. Si la réunion aura lieu ou non dépendra le cas échéant de l’ensemble des actes, paroles et pensée de l’adepte « sans que la compassion ou l’intervention divine y puisse quelque chose »[4]. Dans ce sens, l’adepte a tout intérêt de suivre les préceptes des religions, pour ne pas rater le moment crucial après sa mort.

Selon les religions, tout ce que nous faisons ici-bas a seulement de l’intérêt si cela nous aide à préparer l’au-delà, les retrouvailles avec le Double céleste dans la Terre de Lumière/pure au milieu d'un festin d’arcs-en-ciel. Si, en tant qu’effet secondaire, la pratique de la religion contribue à rassurer l’adepte ou à produire un peu d’harmonie ici-bas sur la Terra pestifera, ce sera tout bénef, mais qu’il ne perde pas de vue le but véritable d'une religion, selon son propre discours.

L’amour et la compassion pour les êtres ici-bas peuvent être une bonne mise en bouche, mais l’amour qui nous sauvera réellement est quand-même celle qui a pour objet Zeus ou un de ses substituts consubstantiels.
« Nul ne peut servir deux maîtres. Car, ou il haïra l'un, et aimera l'autre; ou il s'attachera à l'un, et méprisera l'autre. » (Matthieu 6:24-34).
Et comme on ne peut à la fois servir Zeus et Mammon, les religions dirigent toute l’énergie et toutes les liquidités vers le Royaume qui n’est pas de ce monde, tout en priant Zeus de prendre pitié de ce monde. Et si les humains prenaient en mains leur propre agentivité et intelligence agente et dirigeaient toute l’amour, la compassion, l’énergie et les liquidités vers ce monde et ses habitants, sans se préoccuper de là-haut, mettant fin à la dualité Ciel-Terre ? Ici et maintenant comme on dit.


***

[1] gzugs yang dag par rjes su ma mthong ngo/

[2] Commentaire du Dohākośagīti de Saraha par Advayavajra.
rang la gnas pa sangs rgyas kyi dgongs pa ni ma mthong/ rnam rtog 'ba' zhig la sangs rgyas kyi mdzad pa bcu gnyis kyi sgrung dang lad mo byas pas thar ba thob tu re ba ni dper na byis pa rnams kyis rnam par rgyal ba'i gzhal yas khang ni ma mthong ltad mo byas pas thog tu ma pheb bzhin du/ sangs rgyas ni rang la gnas pa ma mthong ba yin pas/ gang zhig gang la gnas pa ni/ yang na rang sems mnyam pa nyid kyi ngang la gnas pa ni/ gzugs yang dag par rjes su ma mthong ngo/

[3] Et quod est supius est sicut quod est inferius ad perpetrada miracula rei unius. Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut : & ce qui est en haut, est comme ce qui est en bas, pour faire les miracles d'une seule chose. Source

[4] Frashokereti

mercredi 17 février 2016

Une religion peut-elle être non-dualiste ?


Représentation manichéiste d'Akshobya dans sa terre pure d'orient (notez le symbole de la croix)

J'aborderai ce sujet par un grand détour par les Frères de la pureté (Ikhwan al-Safa), qui furent à l'origine d'une « encyclopédie » du savoir en 52 épîtres, rédigée à Bassorah (dans l'Irak actuel) entre le VIIIe siècle et le Xe siècle par des « missionnaires » (dâ`i[1]) d’obédience chiite ismaélienne. Cette « encyclopédie » regroupait toutes sortes de savoir et reflète ainsi l’état de lieu de la connaissance de son époque, et c’est, en ce qui me concerne, en cela qu’il est intéressant. La ville de Bassorah subissait par ailleurs à l’époque une influence iranienne forte.

L'ismaélisme est un courant minoritaire de l'islam chiite. Son nom vient d’Ismâ`il ben Ja`far (719/722 -762), le septième imâm chiite. Les Frères de la pureté suivent un islam ésotérique et pratiquent le culte du secret (mystères). Les 52 épîtres constituent un chemin initiatique qui mène à travers les différents degrés de connaissance vers l’Un.

Les épîtres puisent leurs connaissances dans diverses sources religieuses (Bible hébreu, Nouveau testament, Qorân, gnostiques), philosophiques (Pythagore, Platon, Aristote, Plotin…) et scientifiques. Pour l’anecdote, la célèbre épître 45 traite de l’amitié en s’inspirant de Kalila wa Dimna, qui tire à son tour son inspiration du Pañcatantra indien.[2]
« Tome 1 : les sciences mathématiques (14 épîtres) incluent la théorie du nombre, la géométrie, l’astronomie, la géographie, la musique, les arts théoriques et pratiques, l’éthique et la logique
Tome 2 : les sciences de la nature (17 épîtres) comprennent la matière, la forme, le mouvement, le temps, l'espace, le ciel et l'univers, la génération et la corruption, la météorologie, les minéraux, les plantes, les animaux, le corps humain, la perception, l'embryologie, l'homme en tant que microcosme, le développement des âmes dans le corps, la limite de la connaissance, la mort, le plaisir et la langue
Tome 3 : les sciences psychologiques et rationnelles (10 épîtres) comprennent les principes intellectuels (ceux de Pythagore et ceux développés par les Ikhwân), l'univers en tant que macrocosme, l'intelligence et l’intelligible, les périodes et les époques, la passion, la résurrection, les différentes sortes de mouvement, la cause et l’effet, les définitions et les descriptions
Tome 4 : les sciences théologiques (11 épîtres) incluent les doctrines et les religions, le chemin menant à Dieu, la doctrine des Ikhwân, l’essence de la foi, la loi religieuse et la révélation, l'appel à Dieu, la hiérarchie, les êtres spirituels, la politique, la magie et le talisman. » (wikipédia)
La pensée des Frères de la pureté est porteuse d’influences néopythagoriciennes, néoplatoniciennes, gnostiques, manichéennes... Henry Corbin explique que le Qorân est un texte avec des sens cachés, des profondeurs ésotériques, des contradictions apparentes, dont le sens ne peut pas être construit à coup de syllogismes. « Il faut un homme qui soit à la fois un héritier spirituel et un inspiré, qui possède l’ésotérique (bâtin) et l’exotérique (zâhir). C’est lui le Hojjat de Dieu, le Mainteneur du Livre, l’Imâm ou le Guide. »[3]

Selon Corbin il y a un lien essentiel entre la gnose, et celui qui la transmet, le prophète et l’imâm. Il introduit les termes gnoséologie, prophétologie et imâmologie. « Il y a un lien essentiel entre la gnoséologie d’une philosophie prophétique et le phénomène du Livre saint ‘descendu du Ciel’ ».[4] Le « Livre saint descendu du Ciel » est reçu par un prophète qui est à l’origine de sa diffusion. Les imâms sont les héritiers du prophète et les Mainteneurs du Livre.

Dans la théosophie ismaélienne, les imâms sont des épiphanies divines, des théophanies.[5] « Les imâms sont […] ceux qui illuminent le cœur des croyants », « ils sont les khalifes de Dieu sur sa Terre, les Seuils par lesquels on pénètre vers lui, les Élus et les héritiers des prophètes. ». « Les imâms ne sont plus seulement les guides du sens caché, ils sont eux-mêmes ce sens ésotérique. ». « Ils sont la mine de la gnose, l’arbre de la prophétie, le lieu de la visitation des Anges, héritiers de la connaissance les uns des autres. En eux est la totalité des livres « descendus » (révélés) de Dieu. »[6]

L’imâm est pour la communauté spirituelle ce que le cœur est pour l’organisme humain[7]. Pour le chiisme, qui est l’ésotérisme de l’Islam, le plérôme de l’imâmat est constitué de douze imâms, qui sont « une seule et même lumière (nûr), une seule et même Essence (haqîqat), exemplifiée en douze personnes. Tout ce qui s’applique à l’un d’entre eux s’applique également à chacun des autres. »[8]
« Parce qu’ils sont la lumière du cœur des croyants, la célèbre maxime énonçant que « celui qui se connaît soi-même, connaît son seigneur » veut dire « celui qui connaît son Imâm » (c’est-à-dire la Face de Dieu pour lui). »[9]
Cette « connaissance » est une connaissance particulière appelée « gnose ». L’organe qui connaît ce type de connaissance est le cœur. C’est par elle que l’imâm illumine le cœur du croyant. Une connaissance qui est une épiphanie ou théophanie.
« C’est que le cœur (l’organe subtil de lumière, latifa nûrâniya, support de l’intelligence) a, par disposition foncière, capacité d’accueillir la réalité spirituelle (les haqâ’iq) de tous les cognoscibles. »
Dans l’ismaélisme, la gnose est en fonction de la médiation visible, audible ou invisible de l’Ange, « c’est-à-dire en fonction de la conscience que peut en prendre le sujet. »[10] La connaissance peut alors « assaillir le cœur, comme projetée inopinément »[11]. La communication divine passe par l’Ange, ou l’intelligence agente, qui est la « cause intermédiaire entre Dieu et l’homme pour l’actualisation de la connaissance dans le cœur. »[12] Même le philosophe, qui ne voit pas l’Ange, intellige par lui.[13] Les imâms entendent l’Ange par audition spirituelle, les prophètes le voient. C’est la vision de l’Ange qui confère la connaissance.[14] Cette connaissance est d’un ordre différent que la perception et l’intellection.
« L’authentification des visions prophétiques et des perceptions du suprasensible postule que l’on reconnaisse, entre la perception sensible et l’intellection pure de l’intelligible, une tierce faculté de connaissance. Telle est la raison de l’importance reconnue à la conscience imaginative et à la perception imaginative comme organe de perception d’un monde qui lui est propre, le mundus imaginalis (‘âlam al-mithâl), en même temps qu’à l’encontre de la tendance générale des philosophes, on en fait une faculté psycho-spirituelle pure, indépendante de l’organisme physique périssable. »[15]
C’est cette connaissance « du troisième type » qui permet la « perception imaginative » du monde imaginal, le plérôme. C’est elle qui fait l’objet de la transmission par l’imâm et qui est conférée par l’Ange.

Ce monde imaginal pourrait bien être un développement de la Terre de Lumière (Terra Lucida[16]) du manichéisme, qui aurait selon Gunner Mikkelsen[17] été inspirée par les Terres pures bouddhistes. Il ne s’agit pas de déterminer précisément le jeu des influences, mais la cohabitation de civilisations dans lesquelles existaient des croyances en un Au-delà éternel, fait que la terre pure d’une croyance spécifique puisse assimiler des aspects de celle d’une autre.

Mani (mort en 276 à l’âge de soixante ans) raconte avoir reçu la première visite de l’Ange al-Tawn à l’âge de treize ans (en 228), puis une deuxième à l’âge de 24 ans, qui prélude sa rupture avec le baptisme d’Elchasai et le commencement du « manichéisme ». C’est son disciple Mār Ammo (ʿAmmānūēl) qui fut envoyé vers l’est (Sogdiane, l’empire kouchan etc.). Il se serait inspiré du modèle de la Terre pure bouddhiste, pour décrire la Terre de Lumière manichéenne, notamment dans un Hymne de la Terre de Lumière (Tan mingjie wen 歎明界文 (Eulogy of the Light-world), traduit en chinois par Daoming (道明)[18].

La véritable nouveauté du message de Mani ne fut apparemment pas la lutte « manichéenne » entre la Lumière et l’Obscurité, que l’on devrait plutôt attribuer à ses disciples, mais sa prophétologie sur laquelle ouvre son livre Shabuhragan. Il y présente une transmission de « sagesse et de connaissance » qui descend d’Adam jusqu’à lui-même, Mani, nommé le « sceau des prophètes », le dernier prophète qui scelle l’ensemble. Et celui-ci y proclame un message apocalyptique de fin de temps avec des grandes guerres, de grands bouleversements religieux, astrales etc. pour annoncer la venue du messie Xradeshahryazd (le Dieu du Monde de la Sagesse).

L’idée des sauveurs/messagers de ce type est ancienne. On la trouve dans le Saoshyant du Zoroastrisme (la réforme monothéiste du mazdéisme), qui apporte le Frashokereti ou le renouvellement final du monde, quand le mal sera détruit et que tout sera de nouveau en parfaite unité avec Dieu (Ahura Mazda). La perfection originelle sera restaurée. Le salut individuel dépendrait de la totalité des actes, paroles et pensée de chacun, sans que la compassion ou l’intervention divine y puisse quelque chose[19]. Toute ressemblance avec le karma est évidemment fortuite…

Le Saoshyant ou sauveur du monde (Avesta : astvat-ereta tib. ‘gro ba’i mgon po) est décrit (Yasht 19.88-96) comme le fils de Vîspa.taurwairî, né du lac Kansaoya/Kansava et comme le porteur de l’arme Verethragna[20] (litt. qui détruit toute résistance), également portée par des héros et rois iraniens dans leur lutte contre les forces démoniaques.[21] L’invincible Mithra (Mithra Invictus, à gauche sur le relief) est également porteur de la même arme.

L'investiture du roi sassanide Ardashir II (au centre) par Ahura Mazda avec Mithra à gauche
Etienne Lamotte écrit que le nom (Ajita-)Maitreya et son ancienneté invitent à le rattacher au Mitra védique et au Mithra (Sol Invictus) iranien et que « Maitreya l'Invaincu » fut entraîné dans un grand mouvement d'espérance messianique qui traversa l'Orient à la fin de l'ère ancienne avec son combat entre la lumière et les ténèbres, intériorisé dans l'homme. Le culte de Maitreya est « presque exclusivement une religion de pure dévotion (bhakti), un monothéisme. Le fidèle n'acquiert plus de mérites en vue d'une bonne renaissance dans le monde des dieux ou des hommes ; l'ascète ne s'exerce plus dans l'octuple chemin pour accéder à un incompréhensible Nirvāṇa. La doctrine de la rétribution des actes est, sinon oublié, du moins mise en veilleuse. Le seul moyen de salut est désormais la grâce divine, prévenante et efficace. »[22] Le culte de Maitreya était commun au bouddhisme ancien et au Mahāyāna.

Henri Corbin[23] suggère un lien entre la Terre pure de Lumière absolue d’Amitābha et le mazdéisme, le culte d’Ahura Mazda.

Si nous considérons l’indosphère, ce melting-pot infini de civilisations, qui subit longtemps l’influence perse, et qui serait le berceau du mahāyāna et du vajrayāna, les diverses civilisation et filières religieuses et religio-magico-scientifiques se sont influencées mutuellement. Il ne s’agit pas d’établir qui a emprunté quoi et quand. Il est même probable qu’en cas d’emprunts et adaptations heureux, celui à qui l’emprunt fut fait se laissa inspirer à son tour par la nouvelle formule. Il est aussi très probable que toutes les satrapies portèrent la marque du mazdéisme et du zoroastrisme, les religions de l’empire. De toute façon, la royauté dérivait son pouvoir idéologique de la religion. Et les rois et roitelets de l’indosphère se sont sans doute inspirés de leurs cérémonies d’investiture etc.

Le trait caractéristique d’une religion est le dualisme du pur et de l’impur, de la Lumière et de l’obscurité, de la Terra lucida et de la Terra pestifera, du Ciel et de la Terre, de l’Esprit et de la Matière. L’objectif est de tourner le dos à ce qui est (en) bas et de lever les yeux vers le haut, cela s’appelle la conversion. La Terre de Lumière est le plérôme, qui envoie des messagers pour aider ceux qui sont empêtrés dans l’impur/l’obscurité/la terre, la matière à en sortir et à faire l’ascension vers la Terre de Lumière. Les véritables guides se trouvent dans le plérôme et envoient des messagers ici-bas pour les représenter à la fois au niveau spirituel et séculier, afin de guider les égarés ici-bas et les préparer à leur retour vers la Terre de Lumière. La véritable Terre de Lumière est invisible ici-bas, mais on peut la décrire, la représenter, l’imiter, s’en inspirer pour gouverner la terre, avec des hiérarchies (d’initiés et non-initiés) qui ressemblent celles d’en haut. Mais la Terra pestifera ne sera toujours qu’une pâle copie, l’original et le but ultime étant le retour de l’âme à la véritable Terra lucida.

Le bouddhisme est-il une religion ? Dans la mesure où ce qui précède et les pratiques sociales qui en résultent en constituent une part essentielle, et qu’ils sont pris au premier degré et non comme un discours symbolique et des expédients (upāya), oui. Et dans ce cas, la différence avec le mazdéisme et le zoroastrisme, et leur dualisme, est une question de goûts et de couleurs.

Pour revenir à nos Frères de la Pureté et leur connaissance encyclopédique, qui englobait la terre et le ciel, ils semblaient avoir estimé qu’une communauté pouvait se passer d’un imâm dans la quête du salut, pourvu que toutes les vertus soient présentes dans une communauté unifiée (umma). Selon eux, le rôle de l’imâm se limiterait à cela.[24]

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[1] Les zoroastriens furent également prosélytes et envoyèrent des missionnaires.
« La da`wa (arabe : دَعْوة [da`wa], invitation) est une invitation au non musulman à écouter le message de l'Islam. Elle désigne la technique de prosélytisme religieux utilisée par différents courants musulmans pour étendre leur aire de diffusion. Cette technique consiste à envoyer des missionnaires (dâ`i) dans la population. Ces missionnaires appellent pacifiquement les gens à la religion musulmane via un serment d'allégeance appelé la Shahada : « Achhadou an lâ ilâha illa-llâh, wa ashadou ana muhammad rasûlu-llâh », ce qui signifie « Je témoigne qu’il n’y a de dieu que Dieu et je témoigne que Mahomet est son messager ». (Wikipédia)

[2] Ou épitre 22, qui présente l’île des animaux, inspiré du pañcatantra, un texte qui précède la conférence des oiseaux (Mantiq at-Tayr) de cent ans.

[3] Corbin, p. 78

[4] Corbin, p. 85.
Les hagiographes tibétains expliquent que l'origine du bouddhisme au Tibet est dû à l’atterrissage miraculeux d'un coffret contenant de textes bouddhistes sur le toit du palais du roi Songtsen Gampo (609/613- 650).

[5] Corbin, p. 80

[6] Corbin, p. 82

[7] Corbin, p. 79

[8] Haydar Amoli (mort en 1385), cité par Corbin, p. 81

[9] Corbin, p. 83

[10] Corbin, p. 88. Un imâm peut entendre la voix de l’Ange, sans en avoir une vision, ni en songe, ni à l’état de veille.

[11] Ce qui est appelée inspiration (ilhâm).

[12] Corbin, p. 90

[13] Corbin, p. 91

[14] Corbin, p. 92

[15] Corbin, p. 92

[16] Lucida et beata terra, le contraire de la Terra pestifera

[17] Sukhāvatī And The Light-World: Pure Land Elements In The Chinese Manichaean Eulogy Of The Light-World (New Light on Manichaeism), Gunner Mikkelsen

[18] Cet hymne fait partie d’un rouleau, dit « Hymn-scroll (Xiabu zan 下部讚), retrouvé à Dunhuang (S 2659). Il daterait du milieu du Xème siècle (Le Manichéisme, Michel Tardieu, PUF).

[19] « 4) the "salvation for the individual depended on the sum of [that person's] thoughts, words and deeds, and there could be no intervention, whether compassionate or capricious, by any divine being to alter this." » Wikipedia 

[20] « Verethragna is not exclusively associated with military might and victory. So, for instance, he is connected with sexual potency and "confers virility" (Yasht 14.29), has the "ability to heal" (14.3) and "renders wonderful". The Yasht begins with an enumeration of the ten forms in which the divinity appears: As an impetuous wind (14.2-5); as an armed warrior (14.27) and as an adolescent of fifteen (14.17); and in the remaining seven forms as animals: a bull with horns of gold (14.7); a white horse with ears and a muzzle of gold (14.9); a camel in heat (14.11-13); a boar (14.15); a bird of prey (veregna, 14.19-21); a ram (14.23); and a wild goat (14.25). Many of these incarnations are also shared with other divinities, for instance, the youth, the bull and the horse are also attributed to Tishtrya » Wikipedia 

[21] Wikipedia 

[22] Histoire du bouddhisme, Etienne Lamotte, p. 785

[23] « The fact that the Absolute of Light represented in the Buddha of the Pure Land makes us think of Mazdeism is natural; and it is normal that the role of the future Maitreya makes us think of the Saoshyant of Zoroastrianism, that Savior who is to accomplish the transfiguration of the world at the end of the millennia. » The Voyage and the Messenger: Iran and Philosophy, Henry Corbin pp. 28-31

[24] « This important statement clearly shows that the Ikhwan believed that a community could in fact dispense with the Imam and still achieve salvation.87 At first, the Imam is placed on a pedestal as the sum total of all the virtues. But by the end there is an acknowledgement that, provided these virtues are present in a unified community (umma), the Imam is to all intents and purposes superfluous. The purpose of the Ikhwan becomes clear in the last exhortation: the unified community of the Ikhwan is a repository of all the above-mentioned virtues and as such replaces any need for an Imam. The equation of umma and Ikhwan becomes complete. » Netton, I.R. Muslim Neoplatonists: An Introduction to the Thought of the Brethren of Purity (Ikhwân al-Safâ’) . London: Allen & Unwin; 1982, p. 103