dimanche 31 janvier 2016

Le son et le luth




« Supposons, bhikkhus, qu’il y a un roi ou le Premier ministre d’un roi qui n’a jamais entendu le son d’un luth (vīnā). Quand celui-ci entend pour la première fois le son du luth, il dit : « Mon cher, quel est ce son si exquis, si beau, si enivrant, si entraînant, si passionnant ? »

Et on lui répond : Sire, c’est le son de ce qu’on appelle un luth… »

Il dit alors : « Va et apporte-moi ce luth. »

On lui apporte le luth en lui disant : « Voici, Sire, le luth, dont le son est si exquis… si passionnant. »

Il ordonne : « Débarrasse-moi de ce luth, mon cher ! C’est le son qu’il me faut ! »

Et on tente de lui expliquer : « Cette chose que l’on appelle un luth, est faite de différentes pièces, de nombreuses pièces. Et c’est grâce à ses différentes pièces, qu’elle produit le son ; c’est-à-dire avec la caisse de résonance, le chevalet, la manche, la tête, les cordes, le plectre et la dextérité des doigts du joueur… »

Ce roi ou le Premier ministre d’un roi décide alors de briser le luth en une dizaine ou une centaine de pièces. L’ayant brisé, il le réduit encore en nombreux éclats, qu’il brûle dans un feu et qu’il réduit en cendres. Il éparpille les cendres au vent ou les jette dans le cours rapide d’un fleuve. Et il dit : « Vraiment, mon cher, quelle chose misérable que cet objet que tu appelles luth. Elle nous a envoûtés et trompés depuis bien trop longtemps.

De la même façon, bhikkhus, un bhikkhu analyse son corps pour ce qui est du corps, et il analyse la sensation, la perception, les activités mentales et la conscience pour ce qui est de la conscience. En analysant de la sorte ce qui se présente à lui, il n’y trouve ni « moi », ni « mien », ni « je suis ».

SN 35.205

samedi 30 janvier 2016

La politique du Gaṇḍavyūha sūtra


Sudhana chez le roi Anala
Le dernier chapitre du Soutra de l'ornementation fleurie (sct. Buddhāvataṃsakasūtra), aussi connu sous le nom de Gaṇḍavyūha sūtra, montre le parcours initiatique du fils de marchand Sudhana, suite à sa rencontre avec Mañjuśrī. Il rencontrera 53 amis spirituels (sct. kalyānamitra) de différentes couches sociales, chacun ayant sa méthode spécifique, tous étant des bodhisattvas accomplis.

Chez le financier du dharma Ratnacūda
Ainsi, après sa visite au « financier du dharma » (sct. dharmaśresthin) Ratnacūda, vivant dans l’opulence dans son palace à dix étages, il se rendit au cœur des ténèbres dans le royaume du roi Anala (tib. rgyal po me). Ce jeune et beau roi fut assis sur un trône de lions, dans un palais somptueux[1], entouré de 10.000 ministres… et de 10.000 tortionnaires. Comme le montre bien le panneau (II-35) du Borobudur, Sudhana est très mal à l’aise et n’arrive pas à regarder le roi Anala, distrait par tout ce dont il est témoin (voir la note n° 9).

Scène du film Apocalypse now
« [Sudhana] vit des centaines de milliers de personnes ligotées à cinq endroits, conduites par devant le roi. Il vit comment le roi Anala les condamna conformément. Le roi Anala ordonna qu'on leur tranche les mains et les pieds, à d’autres qu'on leur tranche les oreilles et le nez ou qu'on les arrache les yeux. À d'autres encore qu'on leur arrache les membres, ou les doigts ou doigts de pieds, voire même qu'on leur tranche la tête. D'autres furent immolés sur des bûchers, bouillis dans des chaudrons, écorchés vif etc. Il vit ces personnes succomber à toutes ces punitions violentes et insupportables. L’immense terrain d'exécution fut jonché de mains, de pieds, d’oreilles, d’yeux, de nez, de têtes, de membres, de coeurs, formant des tas de la hauteur du mont Mérou. Il y avait un océan de sang profond qui s'étendit à 3 yojana. Partout il vit des cadavres, des membres, des os et osselets, des têtes, des centaines de milliers, déchiquetés par des loups, des chiens, des corbeaux, des vautours, des faucons et des balbuzards, qui se pourchassaient en se donnant des coups de bec. Quelques cadavres avaient déjà changé de couleur, et étaient devenus verdâtres, d'autres noirâtres, en état de décomposition avancée, ou grouillant de vers. Il vit comment les condamnés tremblaient et furent terrifiés. Au moment de leur exécution, il entendit des cris inouïs de douleur et de terreur remonter du plus profond de ces condamnés. Et cela suscita en lui une grande terreur et malaise. Ces cris étaient comme ceux des êtres infernaux qui se firent écraser par des montagnes. [Les tortionnaires] les punissaient conformément au jugement, et voyant la violence terrifiante de tout cela, [Sudhana] pensa : je veux aider tous ces êtres. »[2]

Il ressentit une grande compassion et se rappela des instructions reçues des autres amis spirituels. Les dieux, témoins de son élan altruiste, lui crièrent des cieux :
« Fils de famille, ne te souviens-tu donc pas des instructions de tes amis spirituels qui avaient une expérience sainte (ṛṣi) et éveillée (jina) ? » [Sudhana] regarda vers le ciel, et répondit « si, je me souviens ». Les dieux lui dirent alors : « Fils de famille, n'aie pas de doute au sujet des instructions de tes amis spirituels. Fils de famille, ce qu'ils enseignent est authentique, et non pervers. Fils de famille, la gnose de la conduite habile des bodhisattvas est inconcevable. »[3]« Quand le fils du marchand Sudhana entendit les propos des dieux, il se rendit à l'endroit où se trouva le roi Anala, et lui rendit hommage en plaçant les deux pieds du roi sur sa propre tête. »[4]
Quand le roi Anala avait terminé les affaires de gouvernement, il se leva de son trône, prit Sudhana par la main et l'amena avec lui au palais royal de Taladhvaja. Il le fit entrer dans ses appartements privés, et installa le fils de marchand Sudhana au milieu de son harem sur un siège, avant de lui adresser la parole.[5]

Scène du film Apocalypse Now, le colonel Kurtz parle au capitaine Willard
« Fils de famille, que penses-tu ? Ces simulacres de pécheurs (pāpaka) confrontés au fruit de leurs actes, existent-ils réellement ? Ces simulacres de corps splendides, existent-ils vraiment ? Ce simulacre de la cour, existe-il vraiment ? Ce simulacre de grand luxe, existe-t-il vraiment ? Ces simulacres de mon statut de monarque et d’un grand pouvoir, existe-t-il vraiment ? Non, dit Sa Majesté, cela n'existe pas vraiment. Il poursuivit: Fils de famille, je suis un bodhisattva libéré (vimokṣika) avec des pouvoirs magiques. La plupart des sujets qui habitent mon royaume, tuent, volent, se méconduisent sexuellement, mentent, médisent, tiennent des propos incohérents, sont cupides, malveillants, entretiennent des vues fausses (mithyā-dṛṣṭi) et commettent des actes négatifs. »[6]
« Fils de famille, c'est pour éduquer ces personnes, et pour les amener à maturité, pour leur parfaite édification, et pour leur propre bien, et surtout avec la plus grande compassion qu'ils sont amenés ici, et que des simulacres de tortionnaires sont omniprésents sur le territoire de mon royaume. »[7]

« Ce sont des simulacres de tortionnaires, qui saisissent des simulacres de condamnés à mort, afin de les exécuter. Ce sont des simulacres de juges, qui prononcent divers jugements contre des simulacres de personnes ayant commis les dix actes négatifs. Et ce sont des simulacres de souffrances insupportables, causées par des mains, des pieds, des oreilles, de membres, de doigts et de têtes tranchées qui sont déployées par magie. En voyant tout cela, les habitants de mon royaume, renoncent à leurs fautes et développent la force du regret, la frayeur et la crainte. Ils renonceront ainsi aux actes négatifs et deviendront vigilants. Fils de famille, cet expédient a pour effet de faire renoncer ces êtres aux fautes et à leur inspirer la crainte, et le regret, afin qu'ils se détournent des actes négatifs. »[8]

Après cette leçon en politique bouddhiste, Sudhana poursuit son parcours initiatique de bodhisattva, qui se terminera dans le pavillon de Maitreya, le futur bouddha.

La leçon de politique donnée par le roi Anala est très problématique. Comment lire ce passage, comment le comprendre ? Quelle était l’intention de leurs auteurs ? Quelle est la moralité de cette étape initiatique ?

Avant d’aborder ces questions, une petite observation de Jan Fontein[9] (Entering the Dharmadhatu, Studies in Asian Art and Archaeology, Bril) au sujet de la représentation iconographique des souffrances des condamnés. Un condamné saisit son bras, tandis qu’on voit un yakṣa partir avec ce qui ressemble à un bras, l’autre recouvre son œil. En fait, les condamnés sont représentés en cachant les parties du corps qui ont été tranchées ou seront tranchées. Ces condamnés ont été condamnés « conformément » (tib. ci rigs) à avoir retranchée la partie du corps par laquelle ils ont péchés (pāpa). Œil pour œil, dent pour dent.


Cette particularité iconographique est peut-être aussi à l’œuvre dans des temples japonais, où sont quelquefois représentés les célèbres « trois singes sages » (三猿, san'en ou sanzaru) : Mizaru, qui recouvre ses yeux, ne voyant aucun mal, Kikazaru, qui recouvre ses oreilles, n’entendant aucun mal, et Iwazaru, qui recouvre sa bouche, ne disant aucun mal. (wikipedia). Les trois singes ont sans doute pour but de faire passer un conseil aux bouddhistes visitant le temple. Ne vois aucun mal, n’entends aucun mal, ne dis pas de mal… ou sinon !

Il semblerait d’ailleurs que cette tradition japonaise vienne de la Chine, et plus précisément d’une légende bouddhiste Tendai (école du Sūtra du Lotus) du VIIIème siècle (époque de Nara)[10].

Le message du Gaṇḍavyūha sūtra, en nous présentant le cas du roi Anala et la réaction de Sudhana l’apprenti Bouddha, semble être un peu le même que celui des trois singes. Même si celui qui vous gouverne « semble » se comporter comme un tyran, ou un dictateur sanglant, vivant dans l’opulence en oppressant le peuple, abstenez-vous de le juger. Il se peut qu’il soit un bodhisattva, qui veut le plus grand bien à son peuple et qui tente de l’éduquer à la dure.

Dans le Gaṇḍavyūha sūtra, l’opulence du « financier du dharma » Ratnacūda et du roi Anala montrent ce qui arrivera à celui qui suit les préceptes bouddhistes, et les horreurs et les tortionnaires ce qui arrivera à celui qui ne les suit pas. Le bâton et la carotte.

Mais tout cela, aussi bien le luxe que les tortures, ne sont que des simulacres pour édifier le peuple. En réalité, les puissants, les riches, les tortionnaires et les condamnés ( ?) sont des bodhisattvas. Et ces simulacres sont un expédient (sct. upāyakauśalya). Entre initiés, on peut jouer habilement avec ce qui est un simulacre et ce qui est réel, en distribuant les bons points, mais est-ce vraiment si habile à terme ? « La gnose de la conduite habile des bodhisattvas est inconcevable » comme « les voies du Seigneur sont inpénétrables »Quelle est la réalité de ceux à qui est destiné ce spectacle ? 
« Un simulacre désigne une apparence qui ne renvoie à aucune réalité sous-jacente, et prétend valoir pour cette réalité elle-même. C'est là, du moins, le sens grec d’eidôlon (εἴδωλον), qui a donné idole en latin, et qui est traduit par simulacre, par opposition à l'icône (eikôn, εἰκών), traduit par copie: la copie renvoie toujours à l'imitation du réel, sans dissimuler celle-ci (voir Le Sophiste de Platon). L’eidôlon s'oppose alors à l’eidos ou l’idea [ἰδέα], traduit par Forme et présent dans le Cratyle ». (wikipedia)
Pour un platonisant, ce qui se passe ici-bas n’est rien, et n’a pas de réalité. Tout ceci, tous ces simulacres ont-ils une réalité (tib. 'di lta bu yod dam), demande le roi Anala, Non, ils n’en ont aucune répond il lui-même (tib. de lta bu ni ma mchis so). La réalité c’est ce qui se passe là-haut, au plérôme, dans le pavillon de Maitreya.

Le Gaṇḍavyūha sūtra est présenté (MacMahan) comme la dernière étape avant le tantrisme, mais en réalité, il est déjà du tantrisme.

Baudrillard écrit : « Le simulacre n'est jamais ce qui cache la vérité – c'est la vérité qui cache qu'il n'y en a pas. Le simulacre est vrai. »[11]

Et :
« […] le secret des grands politiques fut de savoir que le pouvoir n'existe pas. Qu'il n'est qu'un espace perspectif de simulation, comme le fut celui, pictural, de la Renaissance, et que si le pouvoir séduit, c'est justement […] parce qu'il est simulacre. »[12]


***

[1] « Then Sudhana went to King Anala and saw him sitting on a great jeweled lion throne brilliant with diamonds, set on legs of countless varieties of luminous jewels, with beautiful figurines inlaid with jewels, arrayed with cowrie shells on golden threads, lit by many jewel lamps, in a lotus calyx made of magic gems, spread with many precious celestial robes, perfumed with various celestial incenses, embellished with a hundred thousand jeweled parasols, adorned with a hundred thousand jeweled banners, beautified by trailing flower garlands made of varicolored jewels, covered by a canopy of various celestial jewels. The king was young and handsome, with the marks and embellishments of a great man, wearing a crown of wish-fulfilling jewels, his forehead adorned with golden crescents, pure blue sapphire earrings hanging from his ears, a breastplate radiant with jewels on his chest, bracelets of the finest celestial gems on his arms, shaded by a large precious parasol with a cane of pure lapis lazuli and a thousand ribs of jewels with a gold covering, a wreath of jewel bells sweetly ringing, illumining all directions with its luster. The king had great regal power; his rule was invincible to enemy armies, his sovereignty was free of danger from enemy armies. » Traduction anglaise de Thomas Cleary

[2] brgya stong mang po bcing ba dam po lngas bcings shing rgyal po mye'i drung du khrid pa dag kyang mthong ngo // de dag la'ang rgyal po myes ci rigs bar chad pas gcad par gyur pa mthong ngo // des de na rgyal po mes bsgo zhing la la ni rka lag gcad/ la la ni rna ba dang sna bcad/ la la ni myig phyung / la la ni yan lag dang nying lag dang / mgo bcad/ la la ni lus thams cad mes btang / la la ni ba tshwa'i chu khol mas lus la gtor cing pags pa brnyil ba la stsogs pa/ de lta bu'i chad pa sna tshogs du ma mi bzad pa drag pa brlang ba yid du mi 'ong ba srog 'phrog pa dag kyang byed par mthong ngo // gsad pa'i sa de na 'ang bsad pa'i rka lag dang / rna ba dang / myig dang / sna dang / mgo dang / yan lag dang / nying lag gi phung po ri rab tsam du spungs pa mthong ngo // khrag gi mtsho dpag tshad gsum tsam du zabs su zab la chu zhing du dpag tshad du ma yod pa yang mthong ngo // de na shi ba'i rkeng rus yan lag dang nying lag dang / mgo dang bral ba brgya stong du ma la/ spyang ki dang wa dang / khyi dang bya rog dang / bya rgod dang / khra dang bya ku rar mang pos gang ste/ 'drad cing 'thog pa mthong ngo // de la'ang la la ni kha dog gyur te/ sngon por gyur pa tsam/ la la ni rnags pa tsam/ la la ni bam pa tsam/ la la ni 'bu zhugs pa tsam du gyur te/ shin tu skyi g.ya' zhing 'jigs 'jigs ltar 'dug pa mthong ngo // gsang ba de dag gsod pa'i tshe/ myi sdug pa cho dgur byas pas na 'jigs 'jigs skad dang / snying rdo rje skad du sgra 'byin cing cho nges 'debs pa'i sgra chen po thos na/ skyi g.ya' zhing mi dga' ba chen po bskyed pa/ sems can dmyal ba chen po ris gzhom pa'i sgra lta bu'ang thos so// des de ltar kha btags te brdungs pa dang / shin tu 'jigs pa'i drag shul mthong nas/ 'di snyam du gyur te bdag ni sems can thams cad la phan pa dang /

[3] rigs kyi bu drang srong rgyal ba'i drod kyi skye mched kyi dge ba'i bshes gnyen gyi gdams ngag tu bya ba mi dran nam/ des gyen du nam mkha'i dbyings la bltas nas/ dran no zhes brjod do// lha rnams kyis smras pa/ rigs kyi bu khyod dge ba'i bshes gnyen gyi gdams ngag la de ltar the tshom ma bskyed cig/rigs kyi bu dge ba'i bshes gnyen rnams ni yang dag pa ma nor bar ston gyi log pa ma yin no//

[4] tshong dpon gyi bu nor bzangs kyis lha'i ngag mnyan te/ rgyal po me gang na ba der song ste phyin nas/ rgyal po me'i rkang pa gnyis la spyi bos phyag 'tshal te/

[5] de nas rgyal po myes rgyal po'i bya ba byas te/ seng ge'i khri las langs nas tshong dpon gyi bu nor bzangs kyi lag pa g.yas pa nas bzung ste/ rgyal po'i pho brang ta la'i rgyal mtshan du khrid do// de mthar gyis rang gi gnas su phyin nas/ tshong dpon gyi bu nor bzangs btsun mo'i 'khor gyi nang du khrid de khri la bzhag nas 'di skad ces smras so//

[6] rigs kyi bu ji snyam du sems/ cig sdig pa byed pa rnams la las kyi rnam par smin pa mngon par grub pa 'di lta bu yod dam/ lus phun sum tshogs pa 'di lta bu yod dam/ 'khor phun sum tshogs pa 'di lta bu yod dam/ skyid pa chen po phun sum tshogs pa 'di lta bu yod dam/ dbang phyug dang dbang chen po thob pa phun sum tshogs pa 'di lta bu yod dam/ smras pa 'phags pa de lta bu ni ma mchis so// des smras pa/ rigs kyi bu nga ni byang chub sems dpa'i rnam par thar pa/ sgyu ma'i rnam pa thob pa ste/ rigs kyi bu nga'i yul na gnas pa'i sems can 'di dag kyang phal cher srog gcod pa byed pa/ ma byin par len pa/ 'dod pas log par g.yem pa/ brdzun du smra ba/ phra ma can tshig brlang bor smra ba/ byung rgyal du brjod pa/ chags sems dang ldan pa/ gnod sems can/ log par lta ba/ sdig pa'i las byed pa/

[7] de ltar rigs kyi bu nga ni sems can 'di dag gdul ba dang / yongs su smin par bya ba dang / shin tu dul bar bya ba dang / phan pa la dgod par bya ba'i phyir/ snying rje chen po mdun du byas te/ gsod pa'i gshed ma sprul pa rnams sa kun nas yog pa/

[8] gsod pa'i gshed ma sprul pa rnams gsad pa'i myir sprul pa rnams la/ gsod du gzung pa dang / chad pas gcod pa'i mi sprul pa rnams mi dge ba'i las kyi lam la spyod par sprul pa'i myi rnams la chad pa sna tshogs kyis gcod du gzud pa dang / rka lag dang sna dang rna ba dang /yan lag dang nying lag dang /mgo bcad pa las byung ba'i sdug bsngal mi bzad pa nyams su tshor bar gyur ba lta bu dag kyang yongs su ston pa byed de/ de mthong nas nga'i khams na gnas pa'i sems can de dag nyes pa gtong zhing skyo ba'i shugs thob par 'gyur ro// 'jigs pa skye zhing bag tsha ba skye bar 'gyur ro// de dag sdig pa'i las byed pa rnams gtong zhing bag byed par 'gyur ro// rigs kyi bu de ltar nga ni sems can 'di dag thabs des nyes pa stong zhing 'jigs pa'i sems dang ldan pa dang / skyo ba'i yid dang ldan par shes nas/ mi dge ba bcu'i las kyi lam las bzlog ste/

[9] « The body language of the two principal occupants of the palace is highly unusual. Contrary to previous practice, this kalyānamitra does not seem to address Sudhana directly, but instead turns away from his visitor. Sudhana, too, does not look directly at the King, but turns his attention—and, thereby, that of the viewer—towards the scene outside the palace on the right. There, a yaksa with drawn sword sits on a plain seat next to two men, who are obviously in a state of distress. One is shielding his eyes and the other grasping his upper arm. Underneath the palm tree a third man is shown walking away, carrying what Krom (1927, 36) called “a cylinder-shaped object”. The text provides the key to this curious scene. It describes how Sudhana sees the king’s henchmen, armed with all kinds of weapons, mete out cruel punishments to the king’s subjects who have broken the law. They cut off their hands, limbs, ears and noses, and gauge out their eyes (Cleary 1989, 119). Krom’s “cylinder-shaped object” turns out to be a criminal’s severed arm. Following a tradition honored earlier by the sculptors of some of the Karmavibhanga reliefs, the sculptors exercised great restraint in their depiction of scenes of violence. Instead of actually showing undisguised cruelty, they represented its victims covering their eyes that are about to be gauged out or grasping those body parts that are about to be cut off. » (Narrative Sculpture and Literary Traditions in South and Southeast Asia, publié par Marijke J. Klokke)

[10] Wikipedia 

[11] Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Galilée, Paris, 1981, p. 9

[12] Jean Baudrillard, Oublier Foucault, Galilée, Auvers-sur-Oise, 1977

vendredi 29 janvier 2016

Śakra met à l'épreuve Surūpa, l'Abraham bouddhiste


Saturne dévorant son fils, Goya

En la personne du roi Surūpa, le Bodhisattva régna avec sagesse et vertu. Ses sujets étaient riches et heureux. Le roi seul restait insatisfait, car il désirait ardemment connaître la Doctrine, mais elle ne pouvait lui être révélée avant la venue du Bouddha. Le roi se découragea et dépérit. Le dieu Śakra décida alors de le mettre à l’épreuve. Il lui apparut sous la forme d’un géant et se déclara prêt à lui révéler la Doctrine à condition qu’on le nourrît de la chair et du sang humains de son choix. Le roi consentit aussitôt, mais il hésita lorsqu'il apprit que la première victime serait le prince héritier, son fils unique. Cependant, à la demande expresse du prince lui-même, il s’inclina. Devant le roi et sa cour, le géant dévora le corps et but le sang du prince. Puis le monstre insatisfait réclama la reine et la mangea aussi. Enfin, il réclama le corps du roi lui-même. Celui-ci demanda comment il pourrait entendre la Doctrine après avoir été mangé et exigea de connaître la Doctrine d’abord. Après, il ne se refuserait pas au monstre. Le géant lui fit prêter serment et lui dévoila la Doctrine. Le roi, heureux et satisfait, lui fit don de son corps. Ému, le dieu Śakra reprit sa forme habituelle, rendit la vie au prince héritier et à la reine et annonça que Surūpa accéderait bientôt à la Sagesse Suprême.


Chandi Borobudur, Dr. Soetmoko, p. 41

A fresco painting on a Haft Tanan mausoleum wall in Shiraz, Iran,
has this image of Abraham preparing to sacrifice his son Ishmael.
Photo courtesy of Evgenia Kononova, via Wikimedia Commons


jeudi 28 janvier 2016

Le Gandavyuha en vol d'oiseau



Extrait de Chandi Borobudur par Dr. Soekmono

Les séries qui couvrent les murs de la deuxième galerie sont consacrées à Sudhana et à son infatigable quête de la Sagesse Suprême. Le récit se poursuit sur les murs et les balustrades des troisième et quatrième galeries. Les sujets de la plupart des 460 panneaux proviennent du Gandavyuha, les écritures saintes du Mahayana ; les épilogues sont tirés d’un autre texte, le Bhadracari.

Le héros principal de l’histoire, le jeune Sudhana, fils d’un très riche marchand, n’apparaît que sur le seizième panneau de la série couvrant le mur de la seconde galerie. Les bas-reliefs qui précèdent constituent un prologue à l’histoire des miracles accomplis par la méditation la plus profonde du Bouddha, le samadhi, devant une assemblée de cent disciples dans le Jardin de Jeta à Sravasti. Les disciples qui entourent le Bouddha en méditation ne peuvent pas voir les miracles qui s’accomplissent sous leurs yeux, mais le bodhisattva Samantabhadra leur explique la nature du samadhi du Bouddha.

À la fin de la démonstration des miracles, le bodhisattva Manjusri prend congé du Bouddha et part vers le sud, suivi d’une foule de bodhisattva et de milliers de moines. Lorsqu’il arrive au sanctuaire de Vichitrasaladhvaya, les habitants de la ville se précipitent pour l’entendre décrire les actes merveilleux du Bouddha. À cette occasion, Manjusri désigne le jeune Sudhana comme le seul être prêt à recevoir l’enseignement de la Connaissance Suprême.

Cette rencontre avec le Bodhisattva Manjusri lui montre qu’il est temps d’entreprendre son voyage à travers le monde et désormais Sudhana va aller d’un maître à l’autre. Chaque nouveau maître lui est désigné par le précédent et à chaque stade il reçoit de nouvelles instructions, de nouvelles réponses à ses questions. Il doit alors méditer sur la connaissance nouvellement acquise avant de poursuivre son chemin.

Aucun des 30 maîtres qu’il va voir ne peut le satisfaire pleinement, car la connaissance que chacun détient de la Doctrine est limitée. Sur la recommandation de Manjusri, Sudhana se rend au mont Sugriva pour rencontrer le moine Megasri. Il le salue respectueusement et le prie de l’instruire dans la ligne du Bodhisattva. Le moine lui explique qu’il a rendu visite à tous les bouddhas de tous les pays et de toutes les écoles, qu’il leur rend continuellement hommage et qu’il peut en évoquer un nombre infini. Il envoie Sudhana chez un autre sage, Sagaramegha, qui lui donne son enseignement et lui parle d’un miracle advenu après qu’il eut passé douze années à méditer. Une énorme fleur de lotus avait surgi de la mer, soutenue par une foule d’êtres célestes. Le Bouddha était assis sur le lotus. Le moine lui avait rendu hommage, avait reçu son enseignement pendant douze cents ans et c’est cet enseignement qu’il transmettait à Sudhana.

Puis Sudhana rencontre Supratisthita, qui enseigne du milieu des airs, où il marche entouré d’une foule de dieux et d’êtres célestes. De là, Sudhana se rend à Vajrapura, chez le médecin Megha.

Lorsque Sudhana paraît devant lui, Megha le Sage est en train d’expliquer la Doctrine à dix mille hommes. Apprenant que Sudhana a évoqué l’Esprit de la Connaissance Suprême, il lui rend hommage. Après une longue conversation, il envoie Sudhana chez un banquier du nom de Muktaka.

Questionné par Sudhana, le sage Muktaka se met à méditer. Son corps devient transparent et laisse apparaître d’innombrables bouddhas du monde entier.

Sudhana connaît ensuite une expérience assez voisine lorsqu’il rend visite au moine Saradhavaja. Cette fois, les êtres célestes innombrables, parmi lesquels se trouvent des bouddhas et des bodhisattva, n’apparaissent pas sur le corps du moine immobile, mais en émanent.

Puis Sudhana rencontre le premier sage de sexe féminin, Vupasika Asa, épouse du roi Suprabha, qui a renoncé aux joies de la vie terrestre pour vivre seule dans la forêt. Sudhana lui demande à quel moment, dans le passé, elle a évoqué l’Esprit de la Connaissance Suprême. Elle lui raconte comment elle a rendu hommage à tous les bouddhas du passé et comment elle a accumulé des mérites au cours de ses existences précédentes.

Le sage que Sudhana rencontre ensuite est le voyant Bhismottaranirghosa, qui, vêtu d’écorce et d’une peau de gazelle, est assis sur une botte de paille, entouré de mille autres voyants. À la demande de Sudhana, il accomplit un miracle : il présente le jeune voyageur aux bouddhas de tous les mondes dans les dix directions de la rose des vents.

Sudhana trouve le brahmane Jayosmayatana en pleine ascèse sur le mont de l’Épée. Des flammes le cernent de tous côtés. Il apprend au pèlerin qu’afin de purifier sa conduite, celui-ci doit escalader le mont de l’Épée et se jeter dans le feu. Sudhana s’exécute et accède à l’état de samadhi en plein milieu du saut.

Sudhana, ainsi purifié de nouveau, se rend au palais du roi Singha-ketu où il voit la princesse Maitrayani qui, devant la foule, dévoile le dharma.

Son maître suivant est le moine Sudarsana. Il est debout sur une fleur de lotus soutenue par des êtres célestes. Il explique à Sudhana qu’il a rendu hommage à tous les bouddhas du monde entier, que leurs vies se déroulaient devant lui de la naissance au parnirvana, et lui apprend comment il peut revivre toutes ces expériences dans l’espace d’une pensée.

Indriyesvara, un jeune garçon qu’il trouve en train de jouer dans le sable sur la rive d’un fleuve avec des milliers d’amis, devient son nouveau guide spirituel (kalyanamitra). Il s’avère qu’Indriyesvara a déjà atteint un très haut degré d’initiation grâce aux enseignements que le bodhisattva Manjusri lui a donnés lui-même.

Sudhana poursuit sa route et connaît son second maître de sexe féminin, Prabhuta. Les vêtements blancs et l’absence de bijoux de Yupasika forment un contraste frappant avec la splendeur de sa demeure. Devant elle se trouve un bol magique qui lui permet de satisfaire la faim, la soif et les souhaits de tous les êtres vivants.

Au cours d’une visite chez le banquier Ratnachuda, Sudhana parcourt les dix étages de sa magnifique résidence, dont chacun contient des objets différents. Le premier des aliments et des boissons ; le second des vêtements ; le dernier étage abrite des bodhisattva et des bouddhas. L’état présent de Ratnachuda résulte des mérites qu’il a accumulés au cours de ses existences précédentes.

Karmavibangga Borobudur
Ensuite, Sudhana a pour guide spirituel le roi Anala (tib. rgyal po me, voir ch. 17), qui n’accomplit pas des miracles mais le fait assister aux horreurs les plus affreuses. Sur son ordre, un grand nombre de ses sujets subissent des tourments abominables : décapitations, mutilation des pieds et des mains. D’autres suppliciés sont jetés dans le feu ou dans l’eau bouillante. Ce spectacle inhumain horrifie Sudhana qui décide de partir lorsqu’un deva l’incite à rester et à demander au roi Anala de l’instruire. Le roi entraîne Sudhana dans son palais dont il lui montre les splendeurs et lui explique que inciter à suivre l’exemple des bodhisattva, au lieu de se perdre dans le pêché.

L’enseignement du roi Anala sur la cruauté comme moyen de révélation de la loi est le seul de ce genre que recevra Sudhana. Il séjourne ensuite auprès d’une série de maîtres qui tous évoquent les miracles accomplis par le samadhi, lui expliquent que l’illumination peut être reçue en rendant un hommage constant aux bouddhas et que l’accumulation des mérites au cours des existences précédentes confère un statut exceptionnel.

On s’étonne de voir Sudhana rencontrer le maître du panthéon hindou, le dieu Siva Mahadeva, aisément reconnaissable parce qu’il est toujours représenté avec ses attributs principaux : un rosaire et un chasse-mouche. II est intéressant aussi de noter que Sudhana est un jour envoyé à Kapilavastu, lieu de naissance du Bouddha historique, pour y recevoir l’enseignement des Huit Déesses de la Nuit. De là, Sudhana est envoyé chez la déesse du parc Lumbini, qui lui décrit avec force détails les miracles qui eurent lieu au moment de la naissance du prince Siddhârta.

Sudhana rend également visite à la reine Maya, mère du prince Siddhârta. Elle vit sur un lotus gigantesque qui s’élève dans le ciel. Elle lui récite les noms des bouddhas auxquels elle a donné naissance au cours d’existences antérieures.

La quête de Sudhana décrite dans la seconde galerie de Chandi Borobudur se termine par la rencontre de Sudhana et du bodhisattva Maitreya, le futur Bouddha humain.

Maitreya réside dans le « Palais Élevé » (kutagara) de Mahavyuha, dans le pays de Samudrakatiha. Quand il a fini de donner son enseignement à Sudhana, il l’invite à pénétrer dans sa merveilleuse résidence. Sur un claquement de ses doigts, les portes du kutagara s’ouvrent et Sudhana pénètre dans un monde d’une splendeur sans pareille. Il admire les merveilles du royaume céleste, les vertus du Bodhisattva (troisième galerie de Chandi Borobudur) et assiste aux miracles innombrables accomplis par Maitreya. Sudhana ne peut pas réellement saisir ce qui lui arrive tant il est impressionné. Alors Maitreya vient à son secours dans le kutagara et rompt l’enchantement en faisant de nouveau claquer ses doigts. Il lui transmet ses dernières instructions et l’envoie chez le bodhisattva Manjusri.

Après un bref entretien avec celui-ci, Suddhana se rend à la résidence du bodhisattva Samantabhadra (quatrième galerie). La série tout entière de reliefs traite maintenant de l’enseignement de Samantabhadra qui touche la tête de Sudhana afin de lui donner le samadhi final. A ce stade, le récit se perd dans une profusion de miracles et d’apparitions concernant des bouddhas et des bodhisattva célestes et, enfin, Sudhana acquiert la Sagesse Suprême et la Vérité Ultime.

Chandi Borobudur Dr. Soekmono 41-46

Liste des 53 guides spirituels de Sudhana

Soutra de l'ornementation fleurie (buddhāvataṃsakasūtra)

Soutra de l'ornementation fleurie (sct. buddhāvataṃsakasūtra tib. sangs rgyas phal po che zhes bya ba shin tu rgyas pa chen po'i mdo, en abrégé phal po che’i mdo, Toh. 44)

La version tibétaine traduit compte 45 chapitres. Le dernier sūtra de l'ensemble est le Gaṇḍavyūha sūtra, qui raconte la quête de l'éveil par Sudhana (tib. nor bzang).

1. འཇིག་རྟེན་གྱི་དབང་པོ་ཐམས་ཅད་ཀྱི་རྒྱན་གྱི་ཚུལ་ལེའུ། ('jig rten gyi dbang po thams cad kyi rgyan gyi tshul le'u)

2. དེ་བཞིན་གཤེགས་པའི་ལེའུ། (de bzhin gshegs pa'i le'u)

3. ཀུན་བཟང་ཏིང་འཛིན་རྣམ་འཕྲུལ་ལེའུ། (kun bzang ting 'dzin rnam 'phrul le'u)

4. འཇིག་རྟེན་གྱི་ཁམས་རྒྱ་མཚོ་བསྟན་པའི་ལེའུ། ('jig rten gyi khams rgya mtsho bstan pa'i le'u)

5. འཇིག་རྟེན་ཁམས་གཞི་སྙིང་མེ་ཏོག་གི་བརྒྱན་ལེའུ། ('jig rten khams gzhi snying me tog gi brgyan le'u)

6. འཇིག་རྟེན་འཁོར་ཡུག་རྒྱན་བསྟན་པའི་ལེའུ། ('jig rten 'khor yug rgyan bstan pa'i le'u)

7. འཇིག་རྟེན་ཁམས་རྒྱ་མཚོའི་ས་གཞི་རྒྱན་བསྟན་པའི་ལེའུ། ('jig rten khams rgya mtsho'i sa gzhi rgyan bstan pa'i le'u)

8. ཞིང་གི་རྒྱུད་གནས་བསྟན་པའི་ལེའུ། (zhing gi rgyud gnas bstan pa'i le'u)

9. འཇིག་རྟེན་ཁམས་རྒྱུད་རྣམ་འགོད་བསྟན་པའི་ལེའུ། ('jig rten khams rgyud rnam 'god bstan pa'i le'u)

10. རྣམ་པར་སྣང་མཛད་ལེའུ། (rnam par snang mdzad le'u)

11. དེ་བཞིན་གཤེགས་པ་རྨད་གཅད་ལེའུ། (de bzhin gshegs pa rmad gcad le'u)

12. སངས་རྒྱས་ཀྱི་ལེའུ། (sangs rgyas kyi le'u)

13. འཕགས་པ་བདེན་པའི་ལེའུ། ('phags pa bden pa'i le'u)

14. དེ་བཞིན་གཤེགས་པའི་འོད་ཟེར་ལས་རྣམ་པར་སངས་རྒྱས་པ་ལེའུ། (de bzhin gshegs pa'i 'od zer las rnam par sangs rgyas pa le'u)

15. བྱང་ཆུབ་སེམས་དཔས་དྲིས་པ་སྣང་བ་ལེའུ། (byang chub sems dpas dris pa snang ba le'u)

16. སྤྱོད་ཡུལ་ཡོངས་སུ་དག་པའི་ལེའུ། (spyod yul yongs su dag pa'i le'u)

17. བཟང་པོའི་དཔལ་གྱི་ལེའུ། (bzang po'i dpal gyi le'u)

18. དེ་བཞིན་གཤེགས་པ་རི་རབ་རྩེར་གཤེགས་ལེའུ། (de bzhin gshegs pa ri rab rtser gshegs le'u)

19. བྱང་སེམས་ཚོགས་ཀྱི་ཚིགས་བཅད་ལེའུ། (byang sems tshogs kyi tshigs bcad le'u)

20. བྱང་སེམས་རྣམ་དགོད་བཅུ་བསྟན་པའི་ལེའུ། (byang sems rnam dgod bcu bstan pa'i le'u)

21. ཚང་པར་སྤྱོད་པའི་ལེའུ། (tshang par spyod pa'i le'u)

22. བྱང་སེམས་དང་པོ་བསྐྱེད་པའི་བསོད་ནམས་ཕུང་པོ་ལེའུ། (byang sems dang po bskyed pa'i bsod nams phung po le'u)

23. ཆོས་སྣང་བའི་ལེའུ། (chos snang ba'i le'u)

24. རབ་མཚེ་མའི་གནས་ན་རྣམ་འཕྲུལ་ལེའུ། (rab mtshe ma'i gnas na rnam 'phrul le'u)

25. རབ་མཚེ་མའི་གནས་སུ་བྱང་སེམས་འདུས་པ་ཚིག་བཅད་ལེའུ། (rab mtshe ma'i gnas su byang sems 'dus pa tshig bcad le'u)

26. བྱང་ཆུབ་སེམས་དཔའི་སྤྱོད་པ་བསྟན་པའི་ལེའུ། (byang chub sems dpa'i spyod pa bstan pa'i le'u)

27. གཏེར་མི་ཟད་པ་བཅུ་བསྟན་པའི་ལེའུ། (gter mi zad pa bcu bstan pa'i le'u)

28. དེ་བཞིན་གཤེགས་པ་བཞུད་གཤེགས་བཞུགས་རྒྱན་ལེའུ། (de bzhin gshegs pa bzhud gshegs bzhugs rgyan le'u)

29. དགའ་ལྡན་གནས་སུ་བྱང་སེམས་འདུས་པའི་ལེའུ། (dga' ldan gnas su byang sems 'dus pa'i le'u)

30. རྡོ་རྗེ་རྒྱལ་མཚན་ཡོངས་བསྔོའི་ལེའུ། (rdo rje rgyal mtshan yongs bsngo'i le'u) (vajradhvajapariṇāma)

31. ས་བཅུའི་ལེའུ། (sa bcu'i le'u) (daśabhūmika)

32. ཀུན་བཟང་བསྟན་པའི་ལེའུ། (kun bzang bstan pa'i le'u) (samantabhadracāryanirdeśa)

33. ཏིང་འཛིན་བཅུའི་ལེའུ། (ting 'dzin bcu'i le'u)

34. མངོན་ཤེས་ལེའུ། (mngon shes le'u)

35. བཟོད་པའི་ལེའུ། (bzod pa'i le'u)

36. སེམས་ཀྱི་རྒྱལ་པོ་དྲིས་ནས་གྲངས་ལ་འཇུག་པ་བསྟན་པའི་ལེའུ། (sems kyi rgyal po dris nas grangs la 'jug pa bstan pa'i le'u)

37. ཚེ་ཚད་ལེའུ། (tshe tshad le'u)

38. བྱང་ཆུབ་སེམས་དཔའི་གནས་ཀྱི་ལེའུ། (byang chub sems dpa'i gnas kyi le'u)

39. སང་རྒྱས་ཆོས་བསམ་མི་ཁྱབ་བསྟན་པའི་ལེའུ། (sang rgyas chos bsam mi khyab bstan pa'i le'u)

40. དེ་བཞིན་གཤེགས་པའི་སྐུ་མཚན་རྒྱ་མཚོ་བསྟན་པའི་ལེའུ། (de bzhin gshegs pa'i sku mtshan rgya mtsho bstan pa'i le'u)

41. དཔེ་བྱད་འོད་ཟེར་བསྟན་པའི་ལེའུ། (dpe byad 'od zer bstan pa'i le'u)

42. ཀུན་ཏུ་བཟང་པོའི་སྤྱོད་པ་བསྟན་པའི་ལེའུ། (kun tu bzang po'i spyod pa bstan pa'i le'u)

43. དེ་བཞིན་གཤེགས་པ་སྐྱེ་འབྱུང་བསྟན་པའི་ལེའུ། (de bzhin gshegs pa skye 'byung bstan pa'i le'u) (tathāgatotpattisambhavanirdeśa)

44. འཇིག་རྟེན་ལས་འདས་པའི་ལེའུ། ('jig rten las 'das pa'i le'u) (lokottaraparivarta)

45. སྡོང་པོས་བརྒྱན་པའི་ལེའུ། (sdong pos brgyan pa'i le'u) (gaṇḍavyūha sūtra) Résumé en français


བཟང་སྤྱོད་སྨོན་ལམ། (bzang spyod smon lam) (bhadracaryāpraṇidhāna)

Notes sur la traduction française de l’Avatamsakasūtra par Patrick Carré (2008)

Kinnari are not what they seem...


Reliëf du Borobudur, représentant les kinnarī s'enfuyant, Manohara et le chasseur Halaka avec son lasso magique

Quand on met un doigt dans l’engrenage…

Les contes divins (Divyāvadāna) sont une anthologie de contes bouddhistes en sanskrit, qui pourraient avoir leur origine en des textes du Vinaya mūlasarvāstivādin, datant du IIème siècle. Bien que les contes eux-mêmes soient anciens, l’anthologie Divyāvadāna daterait du XVIIème siècle au plus tard.[1]

Un des contes, le Sudhanakumāra-avadana (tib. nor bzang rtogs brjod), raconte l’histoire de prince Sudhana et de la kinnarī (mi femme, mi oiseau) Manohara. Une version en pāli, le Pannasjataka, aurait été écrite par un moine bouddhiste à Chiangmai entre 1450 et 1470. On trouve d’autres versions au Cambodge, en Indonésie, au Japon, en Corée et en Chine dans le conte[2] de la tisseuse Zhinü (織女, symbolisant Vega) et du berger Nioulang (牛郎, symbolisant Altair.[3]

Dance Moley au Bhoutan
Le conte existe également en une version dansée en Thaïlande, appelée « Manorah Buchayan ». Et des éléments du Sudhanakumāra-avadana (tib. nor bzang rtogs brjod), sont également présents dans la danse bhoutanaise appelée « Pholey Moley » (Princes et princesses, tib. pho legs mo legs)[4]. Dans les civilisations himalayennes Manohara est d’ailleurs le plus souvent présentée comme une fille nāgā.

Le "chasseur Halaka" du Lac des cygnes...
Pavel Gerdt dans le rôle du prince,Saint-Pétersbourg, 1895. 
Pour ce qui est du conte, voici le résumé par Dr. Soekmono :
« Le Sudhanakumaravadana (les Saintes Actions du prince Sudhanakumara) fait l’objet des premiers 20 panneaux de la série inférieure de la première galerie. Ce récit est emprunté au Divyavadana. Il s’ouvre sur la rivalité de deux royaumes, celui du Panchala du Nord, qui est prospère, et celui du Panchala du Sud, qui souffre d’une grande pauvreté. Le roi du Sud découvre que le Panchala du Nord doit sa prospérité à un naga du nom de Janmachitraka, ami de son rival, qui lui assure des pluies régulières. Il décide d’appeler à son aide un puissant charmeur de serpents afin d’attirer le naga dans le Sud.
Le charmeur arrive, mais il est aussitôt tué par le chasseur Halaka, appelé par le naga. Pour le remercier, la famille du naga invite le chasseur et lui offre des bijoux d’une valeur immense. Un voyant pourtant conseille à Halaka d’accepter plutôt un objet appartenant aux naga, le lasso infaillible.
Un jour, Halaka se trouve près d’un grand étang de la forêt. Un ascète lui avait indiqué que la princesse kinnara Manohara y prenait son bain (kinnara veut dire oiseau humain). Il l’attend et la capture avec son lasso dès qu’elle s’approche, tandis que son escorte, effrayée, s’envole.
Apparaît alors le prince Sudhanakumara du Panchala du Nord avec sa suite de chasseurs. Halaka, pris sur le fait, est obligé de présenter sa belle captive au prince, qui en tombe aussitôt amoureux. Il entraîne Manohara au Panchala du Nord et l’épouse. Elle y vit heureuse.
Le prince Sudhanakumara choisit comme prêtre de sa cour (sct. purohita) un brahmane, ce qui tracasse fort le grand prêtre de son père, qui était inquiet pour son propre avenir. Lors d’une dangereuse rébellion, on conseilla au roi d’attacher son fils à l’expédition militaire qui se préparait. Le prince confia Manohara à sa mère et partit, ravi de recevoir l’appui du roi des Yaksa (les démons aimables), qui se joignit à l’expédition avec son énorme armée.
Pendant ce temps, le roi fit un rêve que le grand prêtre interpréta comme un mauvais présage : d’après lui, il fallait immoler un Kinnara. Le roi, désespéré, consentit au sacrifice, mais la princesse réussit à s’échapper avec l’aide de sa belle-mère. Elle s’enfuit à travers les airs pour se réfugier auprès de son père.
Dès que le prince Sudhanakumara, à son retour, eut rendu compte de sa mission à son père, il s’empressa d’aller retrouver sa Manohara bien-aimée. Sa mère lui raconta ce qui s’était passé en son absence et approuva sa décision d’aller chercher sa femme pour la ramener avec lui.
Le prince ne savait pas où commencer ses recherches. Il alla d’abord trouver le chasseur Halaka qui lui rappela l’ascète vivant près de l’étang. Effectivement, ce saint homme lui transmit un message de Manohara lui indiquant la route du royaume des Kinnara.
Après un long voyage, Sudhanakumara s’approchait de la capitale de ce royaume quand il rencontra un groupe de Kinnara portant de l’eau dans des jattes. Ils l’informèrent qu’ils portaient l’eau du bain de la fille du roi, Manohara. En guise de message, le prince laissa tomber sa bague dans l’une des jattes. Le roi Druma, père de Manohara, consentit à rencontrer Sudhanakumara à condition qu’il montrât sa valeur. Le prince fit la démonstration de son excellence au tir à l’arc et, par la suite, prouva son amour pour sa femme en la retrouvant au milieu d’un groupe de Kinnara qui lui ressemblaient trait pour trait.
Après un merveilleux séjour dans le royaume, le prince Sudhanakumara et Manohara furent autorisés à retourner dans le monde des humains. Ils furent chaleureusement reçus à Panchala. Peu de temps après, le prince était couronné et succédait à son père. Le jeune couple régna avec beaucoup de sagesse. Leur vertu et leur charité assurèrent la prospérité du pays. Ils firent des dons généreux à leurs sujets et leur bonne conduite s’exprima de mainte autre façon
. »[5]
L’influence des éléments ce conte, lui-même sans doute une version plus ancienne d’autres sources, semble très vaste. Quelques détails importants que l’on ne trouve pas dans le résumé du Dr. Soekmono. Ce n’est par hasard que le chasseur Halaka se trouve près du lac, où viennent se baigner les kinnarī. C’est un ṛṣi qui a raconté à Halaka que la princesse Manohara venait souvent se baigner dans le lac ensemble avec ses soeurs/dames de cour, au nombre de sept (le nombre des 7 planètes à son importance). Le chasseur Halaka capture Manohara, tandis que ces compagnes s’enfuient. Quand le prince Sudana la cherchera plus tard, il se rendra auprès du même ṛṣi, qui lui donna les instructions pour se rendre chez les kinnara, ainsi qu’une bague que Manohara lui avait remise.

Les éléments de ce conte sont très certainement plus anciens que le Sudhanakumāra-avadana qui n’est que son emprunt par les bouddhistes, et reflète (dans la surface du lac ou ailleurs) sans doute ce qui se joue dans le ciel, parmi les astres.

Olga Preobrajenska dans le rôle d'Odette et les cygnes, 1895.

Il n’est pas difficile de voir dans l’histoire du Lac des cygnes une autre version de l’histoire.

Waterhouse Hylas and the Nymphs Manchester Art Gallery 1896
Et un lac où des kinnarī atterrissent pour se baigner en se transformant en des beautés, fait penser au sort du malheureux Hylas, qui fut attiré au fond du lac par elles, au grand regret de son amant Héraclès. Tout comme Narcisse, il se trompa de direction, ce n’est pas vers le bas, mais vers le haut qu’il fallait tourner son regard. Kinnarī are not what they seem
« Dans la mythologie bouddhique et la mythologie hindoue, un kinnara est un amoureux exemplaire, un musicien céleste, mi-homme mi-cheval (en Inde) ou mi-oiseau (Asie du Sud-Est). »(wikipedia)
Elles sont le pouvoir de se transformer en de belles femmes. L’aspect amoureux et musicien les rapproche d’une autre catégorie d’être célestes, les gandharva. « Ils sont des esprits mâles de la nature, époux des Apsaras. Certains sont en partie animaux, le plus souvent oiseau ou cheval. » (wikipedia). Les kinnara et les gandharva semblent donc assez proches. La même proximité que les centaures et les Lapithes ?

Dans la mythologie grecque, les sirènes sont des êtres mi-oiseau, mi-femme. Mais dans la mythologie scandinave, elles sont mi-poisson, mi-femme. Ce sont des êtres ambivalents, capables de se transformer. Le côté mi-cheval mi-homme des kinnaras fait penser aux centaures. Et les centaures sont en fait des Lapithes, « un peuple mythologique de Thessalie célèbre pour son adresse à dompter les chevaux et par le combat victorieux[6] qu'il livra aux Centaures ». Ce peuple aurait pour ancêtre le dieu-fleuve Pénée.

La moralité de tout cela semble être gare aux lacs et aux femmes, qui peuvent très bien être mi-oiseau, mi-cheval, ou mi-poisson.

Un platonisant dirait que lorsque les beautés d’en haut se reflètent ici-bas dans notre réalité sublunaire, elles semblent comme transformées. En oubliant que la véritable source est en haut, et non pas en bas, Hylas et Narcisse ainsi que tous leurs adeptes se précipitent à leur perte. Et ce ne sont pas les beautés qu’ils retrouvent mais, des beautés difformes, mi-femme, mi-oiseau etc. qui leur révèleront que les « beautés » pourchassées sont des beautés déchues, sans vie, des reflets mort-nés susceptible de nous précipiter dans la mort. La « pensée de la chair » de Paul…

***

MàJ 20062016 Voir aussi les Chants de Milarepa, l'histoire où Milarepa reçoit la visité de huit pigeons, qui sont en fait huit déesses (phug ron lha'i bu mos mchod pa'i skor, p. 265, Chang, p. 89).

[1] Buswell, Jr., Robert; Lopez, Jr., Donald S. (2013). The Princeton Dictionary of Buddhism. Princeton University Press. p. 262. ISBN 9781400848058.

[2] Source wikipedia

[3] « Les deux étoiles, appelées Niou-Lang (le Berger) et Tsi-Nu (la Tisseuse) sont situées, la première à la rive orientale de la voie lactée (ou Tien-Ho, c'est-à-dire rivière du Ciel), et l'autre au bord occidental. D'après la vieille astronomie, elles ne se rencontrent qu'une fois par an et cette rencontre doit avoir lieu dans la nuit de la septième journée de la septième lune.
La légende prétend que le Berger était marié à la Tisseuse et que, pour les punir d'une faute commise dans la région céleste, — faute analogue au péché d'Adam et d'Ève — le souverain du ciel les sépara éternellement. Une seule fois par an, il leur permet de se voir un instant en franchissant le cours d'eau qui, pendant le reste de l'année, met une frontière infranchissable entre leurs amours. Encore ce jour-là les pies, emportant de la paille dans leur bec, vont-elles construire un pont à travers la rivière céleste, afin de permettre aux amoureux rationnés de passer à pied sec. J'ajouterai que, dès ce jour, les pies muent. Sur cette légende naturellement vinrent s'en greffer beaucoup d'autres. Ainsi l'on dit que la pluie qui tombe la veille de cette fête nettoie le chariot du ciel ; s'il pleut le jour même, ce sont les larmes de joie des deux amants ; si c'est le lendemain, ce sont les pleurs qu'ils versent sur leur nouvelle séparation
. » LES PLAISIRS EN CHINE, par le général TCHENG Ki-Tong (1851-1907), Charpentier, Paris, 1890, III+308 pages. Voir aussi la note de LA CHINE FAMILIÈRE ET GALANTE par Jules ARÈNE (1850-1903), G. Charpentier et Cie, éditeurs, Paris, 1883 (2e édition). 

« Niou lang le pasteur (capricorne), que par une fiction mythologique les astronomes chinois font l'époux de Che nuu, la tisseuse céleste (étoile Vega, α de la Lyre). Marquis d'Hervey Saint-Denys. »

[4] « Strangely enough, however, the only motif of the original story that has been retained in the Pholey Moley dance is that the princes go off to the war. Instead of being innocently accused, as in the original story, here the princesses blatantly commit adultery with the clowns during their husbands’ absence. When the heroes retum from the war and discover the infidelity of their spouses, they make them suffer for their indiscrétions by cutting off their noses. Later a doctor is called in to reattach the noses, a délicate surgical operation that is crowned with success only after a string of comic failures. » India and Beyond, Aspects of Literature, Meaning, Ritual and Thought, Edited by Dick van der Meij, p. 154

[5] Chandi Borobudur, Dr. Soekmono, p. 37-39

[6] « Lors de ses noces, le héros lapithe, prénommé Pirithoos, avait invité ses demi-frères, les Centaures. Comme les Centaures avaient abusé de vin, ils se comportèrent fort mal : ils voulurent violenter les femmes et la jeune épouse présentes au repas de noce. Les Lapithes et les Centaures s'affrontèrent. Le combat fut rude et sanglant. »

mardi 26 janvier 2016

Enchanter


Le phénomène Luk thep
Il existe un nouveau phénomène en Thaïlande, où des poupées d’enfants, appelées, « Luk thep », enfants angéliques, sont traités comme de véritables enfants et de petits anges porte-bonheur. Thai Smile Airways leur accorde désormais un siège individuel, à condition de mettre une ceinture de sécurité. Une poupée « Luk thep » qui reçoit les meilleurs soins portera bonheur (prospérité, bénédictions et protection) à son propriétaire.

Les poupées « véhicules » sont fabriquées en Chine et subissent ensuite en Thaïlande une cérémonie pratiquée par des moines, pour les investir de leur âme d’ange. Cette cérémonie s’inspirerait d’une pratique appelée « Kuman Thong », ce qui signifie « petit garçon doré », dont la version pour une fille s’appellerait « Kumari Thong » ou « Hong Phrai ». À l’origine, ce n’était pas une poupée qui était investie d’une âme, mais un fœtus mort-né. Celui-ci fut pour cela amené au cimetière où avait lieu la cérémonie pour invoquer le « Kuman Thong ». Le corps du fœtus fut grillé, jusqu’à ce qu’il soit parfaitement sec, pendant que le maître de cérémonie chantait des incantations. C’est le corps desséché, laqué et recouvert d’une feuille d’or, qui fut appelé « petit garçon doré ». [1] On peut supposer qu’il remplissait la même fonction de porte-bonheur et de protection.

« Kuman Thong »
On trouve le même phénomène d’investiture sous différentes formes dans le bouddhisme ésotérique. Des représentations de tout genre (monuments symboliques, statues, peintures etc.), servant de « véhicule », peuvent être investies (sct. pratiṣṭhā tib. rab gnas) d’une âme, donc animées, d’un pouvoir divin, d’une charge spirituelle, par la force magique des rituels et des incantations. Après avoir été dûment consacrés, ces « véhicules » désormais investis du « divin », doivent alors être traités ainsi, afin de pouvoir accorder bienfaits et protection.

Shan Cai Tong Zi (善財童子)
Le « petit garçon doré » semble aussi être connu en Chine sous le nom Shan Cai Tong Zi (善財童子). Ici, nous sommes clairement sur un terrain bouddhiste mahāyāna. Il s'agit de Sudhanakumāra mentionné dans l'avant-dernier chapitre (Gandavyūha Sūtra) de l'Avataṃsaka Sūtra, à la recherche de l'éveilEn Chine, on le trouve souvent dans des histoires bouddhistes, taoïstes et folkloriques, le plus souvent comme un acolyte d'Avalokiteśvara (Guan Yin) et en compagnie de son pendant féminin, une jeune fille nāgā (Long Nü, 小龙女). Sudhana aurait acquis son statut de jeune dieu de richesses à cause des trésors produits miraculeusement à sa naissance.

Sudhanakumāra
Pour la divination, une autre variante de rituel était utilisée dans le bouddhisme ésotérique. Ainsi, Amoghavajra (Pou-k’ong 705-774) originaire de Samarkand ou Vajrabodhi (Ch.金剛智) (671–741) de l’Inde du sud, animaient des jeunes enfants vivants d’un pouvoir divin, pour qu’ils servent de messager, de médium. Plus exactement, ils provoquaient leur possession (sct. āveśa). Dans le « Livre du yogin de tous les yoga du pavillon au faîte de diamant » (T. 867), traduit en chinois par Vajrabodhi , la procédure à suivre est expliquée.
« Si d’une incantation (dhāraṇī) tu charges de puissance filles et garçons,
Tu peux provoquer l’āveśa [la ‘possession’],
Des choses des trois mondes et des trois âges,
Tu peux apprendre le bon ou le mauvais présage. »
Et :
« Prends des garçons et des filles vierges,
Baigne-les, habille-les de frais,
Fais leur prêter le vœu de bodhisattva,
Et installe-les sur un lit de fleurs blanches,
Récite des incantations sur eux, couvre leur visage,
Et récite encore, mille huit fois,
Alors ils connaîtront directement l’āveśa,
Parfois leur corps sera suspendu dans les airs,
De toutes les choses passées, présentes et à venir,
Ils auront une totale connaissance. »[2]
Pourquoi utiliser des enfants vierges comme médium ? L’écrit gnostique L’Ogdoade et l’Ennéade peut sans doute nous pointer vers un début de réponse.
« Contemple l’âme d’un enfant, mon fils, quand elle n’est pas encore séparée d’avec son vrai soi et que son corps […] n’a pas encore atteint son plein développement, comme elle est belle à voir de tous côtés, à cette heure où elle n’a pas encore été souillée par les passions du corps demeure presque suspendue encore à l’Âme du monde ! »[3]
Investiture de Kyabje Trulshik Rinpoche
Je ne connais pas le contenu des cérémonies d’installation d’un tulkou tibétain, mais il ne me semble pas impossible qu’elles comportent des éléments d’investiture[4] similaires, que l'on trouve d’ailleurs aussi dans les initiations et les sādhana. On pourrait penser qu’un quelconque enfant possédant les caractéristiques d’un bon « véhicule », devrait pouvoir être investi de divin ou d'une « grande âme » (sct. mahātma)

La kumari au Népal
Hormis ce phénomène tibétain, il y a encore le phénomène Newar de la kumari.
« Une Kumari est une jeune fille vénérée comme une déesse vivante au Népal. La tradition des Kumaris (vierges en français) date du XVIIème siècle. Elle consiste à isoler de très jeunes filles pour les adorer. Ces déesses vivantes sont l'incarnation de la déesse hindoue Durga représentée par des petites filles pré-pubères. Des petites filles issues de familles bouddhistes sont choisies, dès l'âge de trois ans, parmi des milliers de candidates par un comité de prêtres bouddhistes. Chacune d'entre elles est sélectionnée au moment où elle perd sa première dent de lait et doit démissionner le jour où elle perd sa première goutte de sang, la plupart du temps le jour de ses premières règles, pour revenir à la vie normale. Chaque année en septembre, lors du festival Indra Jatra, les jeunes déesses participent à un rituel au cours duquel elles donnent au monarque régnant le pouvoir de gouverner pour l'année entière. »[5]
Dans un article du National Geographic on peut lire que cette tradition remonterait au Xème siècle, quand des jeunes filles et garçons furent utilisés de médium dans des rituels de divination.

Tout ce qui est ainsi investi de divin (sct. pratiṣṭhā tib. rab gnas), semble avoir le pouvoir d’accorder bienfaits et protection, en échange d’un culte (accumulation de mérite).

Avec tous ces phénomènes, nous sommes bien dans un cadre magico-religieux théiste, avec toute sa dualité, où l'esprit/un esprit vient animer la matière.

Le terme dhāraṇī se traduit souvent par « incantation » (p.e. par Strickmann), surtout s'il est utilisé dans des rituels d'investiture. Le terme incantation signifie "Formule magique (récitée, psalmodiée ou chantée, accompagnée de gestes rituels) qui, à condition qu'on en respecte la teneur, est censée agir sur les esprits surnaturels ou, suivant les cas, enchanter un être vivant ou un objet (opérée par un enchanteur ou un sorcier, et qui a un caractère soit bénéfique soit maléfique)." (Atilf) Incantation vient du latin incantatio qui signifie « incantation, enchantement, sortilège », et est dérivé du verbe latin incantare « enchanter, incanter ». Le verbe français incanter signifie « enchanter au moyen d'incantations »

Un phénomène de poupées dans le bouddhisme tibétain.

***

[1] Wikipedia

[2] Michel Strickmann, Mantras et mandarins

[3] Ecrits gnostiques, La Pléiade, L’Ogodade et l’Ennéade, p. 944-945

[4] « Les rituels de consécration (ou d'investiture) d’images ou de stūpa s’appellent pratiṣṭhā en sanskrit, et rab gnas en tibétain. Elles sont toujours pratiquées de nos jours. La partie principale de ces rituels consiste en quatre phases ("jaḥ hūṃ baṃ hoḥ") pour attirer (dgug pa), faire entrer (gzhug pa), lier (bcing ba) et faire fondre (bstim pa) le dieu (lha). »

[5] Wikipedia

lundi 25 janvier 2016

La Terre pure comme modèle


Potala terrestre

C’est sous le règne du Vème Dalaï-Lama (1617-1682) qu’est véritablement né, dans le cadre de la (ré)unification tibétaine, le concept de la théocratie tibétaine (tib. chos srid gnyis ‘brel), un règne à la fois séculier et spirituel, présenté comme un renouveau du système de la période impériale, du moins tel que l’on se l’imaginait au XVIIème siècle.[1]

Dési Sangyé Gyatso (1653-1705)
Le théoricien de ce concept fut le ministre Dési Sangyé Gyatso (1653-1705), le régent (1679-1703) du Vème Dalaï-Lama après la mort de ce dernier, et l’auteur de son hagiographie, où il tissait la généalogie séculière et spirituelle de son maître à partir des lignées du mahāyāna, des lignées royales tibétaines et des lignées de maîtres visionnaires découvreurs de Révélations (tib. gter ston). Le Vème Dalaï-Lama y est présenté comme une émanation d’Avalokiteśvara, qui retourne à la Terre pure du Poṭala, après chaque mission terrestre, pour ensuite y retourner et poursuivre son activité, tout comme les premiers empereurs tibétains remontèrent au ciel après leur règne.  Dési Sangyé Gyatso fut aussi responsable pour la construction du palais du Poṭala à Lhasa (photo ci-dessus). Dési Sangyé Gyatso fut lui-même un visionnaire reconnu par l’école nyingmapa. C’est une rencontre avec une femme nāgā qui lui aurait inspiré le temple secret du Pavillon des nāgās (tib. klu khang) et ses fresques dzogchen[2]. Ce temple est situé sur une petite île au milieu d’un lac derrière le palais du Poṭala.[3]

Karma Chagmé (Rāgāsya, 1613-1678) et Mingyour Dordjé (1645-1667), qui serait le descendant d’un ministre de Trisong Detsen), vécurent à la même époque, et leur œuvre, très visionnaire, semble souscrire aux mêmes prérogatives de l’unification tibétaine. Les doctrines de la Terre pure sont prises comme un modèle pour instaurer une paix durable au Tibet autour d’émanations d’Avalokiteśvara et de ses régents. Une combinaison du ritualisme du vajrayāna, de la sotériologie du mahāyāna et de l’idéalisme de la Terre pure servait à raviver la mémoire impériale et la conscience politique tibétaine au XVIIème siècle (article de Kalkias). Et cette combinaison se retrouve aussi dans le cycle des Dharma célestes de notre duo, qui fait l’union entre les courants de la mahāmudrā et du dzogchen visionnaire (Thugs rje chen po’i dmar khrid phyag rdzogs zung ‘jung thos ba don ldan).

Comme tous les maîtres visionnaires découvreurs de Révélations, Mingyour Dordjé fut reconnu comme l’émanation d'un disciple de Padmasambhava (dans son cas l'émanaton combinée de Pa gor Vairocana et de Shud bu dpal) et confié à l’âge de cinq ans aux bons soins de Karma Chagmé. Ce dernier l’éduqua selon les prescriptions de Gourou Cheuwang (chos kyi dbang phyug, 1212-1270), qui avait établi une sorte de charte pour la tradition des découvreurs de trésors. Ainsi, un découvreur de trésor devait d’abord « ouvrir son canal médian » par la pratique du yoga sexuel, avant d’être opérationnel en tant que terteun. Cela fut chose faite dès que Mingyour Dordjé en était capable. Karma Chagmé raconte comment Mingyour Dordjé, dès la première fois, fit cesser une éclipse lunaire en faisant remonter sa semence (tib. khams dkar po) et força la force vitale de remonter par le canal médian.[4] À en croire le colophon de la prière Chags med bde smon, c’est dès l’âge de treize ans que Mingyour Dordjé eut des visions… Georgios Halkias voit l’œuvre de Karma Chagmé et de Mingyour Dordjé comme une tentative réussie d’intégrer les instructions siddhiques (notamment de yoga sexuel) dans la lignée monastique de dpal yul.

Dans son article, Georgios Halkias développe davantage le mariage entre Terre Pure et vajrayāna, à commencer par le rapprochement de « bde (ba) can » (Sukhavātī) et « bde (ba) chen (po) » (mahāsukha), qui n’est pas fortuite, comme on peut le déduire du titre de la prière composée par Karma Chagmé : « rnam dag bde chen zhing gi smon lam », où Sukhavātī semble habilement remplacé par mahāsukha. Il mentionne une série de pratiques ésotériques qui se rapportent à la Terre pure, et que l’on trouve toutes dans le cycle de Karma Chagmé.

Les rites alchimiques de longévité autour d’Amitāyus (tib. tshe sgrub), le yoga du rêve (tib. rmi lam rnal ‘byor) visant des "voyages astraux" vers la Terre pure, pour y recevoir des instructions, les rites de crémation (tib. ro sreg) et des prescriptions funéraires à l’aide d’une carte d’effigie (tib. byang chog), des offrandes aux divinités de la Terre pure (tib. tshogs mchod), des cartes astrologiques pour déterminer les jours fastes à la pratique des sādhanas d’Amitabha (tib. dpe’u ris dus) ainsi que les rituels de pratique des protecteurs de la Terre pure (tib. zhing skyong).

En ce qui concerne justement la pratique (sādhana) d’Amitābha avec sa consécration (sgrub dang dbang las chog), reçue par le jeune Mingyour Dordjé, elle comprend en outre la pratique du yoga du rêve, des pratiques de longévité et le transfert de la conscience (tib. ‘pho ba).

Il est clair que ce travail prolonge l’œuvre de Karma Lingpa, qui avait pour objectif de développer un monde imaginal auquel furent associées des pratiques yogiques et théistes de type Tariki (force extérieure), où la foi, le culte et la grâce jouent un rôle essentiel. La Terre pure y est mise à pied d’égalité avec le monde imaginal de l’état intermédiaire de la réalité transcendante (tib. chos nyid bar do). Ce monde imaginal est la cible des pratiques visionnaires du Pic de franchissement, (tib. thod brgal) le deuxième pan du dzogchen.

Ces pratiques accordent une place importante aux moines, yogis, visionnaires et prêtres en tant que représentants et intermédiaires du monde imaginal dans la société théocratique tibétaine, et les idées qui les encadrent justifient son hiérarchie par des sources canoniques de sūtras et de tantras.

Extrait du Commentaire des Distiques de Saraha par Advayavajra :

« C'est seulement dans l'imagination que l'on a inventé la légende des douze actes du Bouddha, dans l'espoir que l'imitation de ceux-ci conduise à la délivrance. Pour donner un exemple, les gens non-instruits ne voient pas le palais céleste de Śakra. Alors ils s'en font un modèle qui n'est pas une reproduction conforme[5]. De la même façon, ne voyant pas que le bouddha est intérieur, [les gens non-instruits imaginent que le bouddha est :]
།གང་ཞིག་གང་ལ་གནས་པ་ནི།
Quelqu'un quelque part

[Le bouddha] est présent au sein de l’identité de la conscience individuelle (sct. svacitta) [298], on ne peut pas le voir correctement sous une forme matérielle[6]. Tout comme on ne voit pas [sa propre ombre] dans l'obscurité. Mais en présence du soleil, de la lune ou d'une lampe, [l'ombre] devient visible. De la même façon, on ne voit pas l'élément réel (sct. dharmadhātu) qui est du domaine de l'inconcevable.
།དེ་ནི་དེ་རུ་མ་མཐོང་བ་སྟེ།
Ce n'est pas comme cela qu'on peut voir [le Bouddha]

Celui qui le voit est expert en le bien souverain. Ceux qui ne le voient pas, [le cherchent] dans les mots et les définitions des écritures, des traités.[7] 

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Des phénomènes similaires chez les théosophes...

[1] Voir : Pure-lands and other visions in seventeenth-century tibet: a gnam chos sādhana for the pure-land sukhāvatī revealed in 1658 by gnam chos mi ‘gyur rdo rje (1645-1667), Georgios Halkias

[2] Georgios Halkias

[3] Wikipedia  Voir aussi Baker

[4] Note de Halkias : « Guru bkra shis 1990: 626. Tsering (1988: 49) recounts the same event without  going into any details. I am grateful to Geshe Gelek Jinpa, who while conducting his own research at the Oriental Institute in Oxford, has been generous with his knowledge during the writing of this article related to my D.Phil. thesis on Buddhist Paradises and Tantric Territories: the Gnam chos Propagation of Amitbha’s Pure-Land in Seventeenthcentury Tibet. »

[5] Et même si la reproduction était conforme, ce ne serait pas le véritable palais céleste qui ne serait pas accessible à travers ce modèle.

[6] gzugs yang dag par rjes su ma mthong ngo/

[7] rang la gnas pa sangs rgyas kyi dgongs pa ni ma mthong/ rnam rtog 'ba' zhig la sangs rgyas kyi mdzad pa bcu gnyis kyi sgrung dang lad mo byas pas thar ba thob tu re ba ni dper na byis pa rnams kyis rnam par rgyal ba'i gzhal yas khang ni ma mthong ltad mo byas pas thog tu ma pheb bzhin du/ sangs rgyas ni rang la gnas pa ma mthong ba yin pas/ gang zhig gang la gnas pa ni/ yang na rang sems mnyam pa nyid kyi ngang la gnas pa ni/ gzugs yang dag par rjes su ma mthong ngo/