vendredi 16 janvier 2015

Idolâtre toi-même !



Une idole est une « représentation d'une divinité que l'on adore et qui est l'objet d'un culte au même titre que la divinité elle-même » (Atilf). La représentation est prise pour l’objet de culte lui-même. Celui qui représente l’objet de culte et prend cette représentation pour l’objet de culte lui-même est appelé un idolâtre.

Le Bouddha avait également mis en garde ceux qui prenaient sa petite personne ou son corps pour le Bouddha ou le tathāgata. Ce que vous voyez ou entendez n’est pas l’Éveillé, répéteta-t-il. C’était une simple erreur, commise par ignorance, pas une offense.

Comment accuser quelqu’un d’idolâtrie, sans soi-même devenir un idolâtre par le même coup ?

Certains Hadiths semblent interdire les images à cause de leur risque d’idolâtrie. Et celui qui produit des images, pas seulement des caricatures, mais toutes les images, se poserait en quelque sorte en concurrent du Créateur ou en co-créateur. D’où l’an-icon-isme de certaines religions monothéistes. Rappelons que le bouddhisme avait commencé comme une religion plutôt an-iconiste et que le Bouddha n’était pas représenté.

J’ai personnellement de la sympathie pour cette approche (moins pour l’argument de faire concurrence au Créateur évidemment), mais de là interdire à d’autres de faire des représentations (icones) et de les punir y compris par la mort, c’est un pas que l’on n’aurait jamais dû franchir. Il semblerait qu’il y ait eu des périodes et des lieux géographiques où le prophète pouvait être représenté.

On pourrait dire que re-présenter est une chose, mais que faire des caricatures va vraiment trop loin. Une caricature est un « portrait en charge, le plus souvent schématique, dessiné ou peint, mettant exagérément l'accent, dans une intention plaisante ou satirique, sur un trait jugé caractéristique du sujet. » (Atilf)
« La critique par l’humour est un aspect de la liberté d’expression. La reproduction de l’image d’un individu est donc paradoxalement autorisée dès lors qu’elle est caricaturale, c’est-à-dire grotesque, ridicule, où les traits désavantageux sont exagérés. Mais si la caricature n’est pas une reproduction servile des traits d’un individu, celui-ci doit toutefois rester reconnaissable. »[1]
Une caricature indique déjà par son aspect que c’est un portait « pour de faux », pour rire. Le but n’est donc pas de re-présenter fidèlement. Ceux qui prennent une caricature du prophète Mahomet pour sa re-présentation, ont donc tout faux. Cette caricature n’est pas le prophète Mahomet. Ce n’est même pas sa caricature, car nous ne savons pas à quoi il ressemblait. Pour être une caricature, elle doit techniquement rester reconnaissable. Impossible de savoir si elle est ressemblante. Mais ceux qui s’en offusquent ont l’air convaincu qu’il s’agit d’une caricature et d’une représentation du prophète Mahomet. Ils confondent donc la représentation avec l’objet de culte lui-même et se rendent ainsi coupable d’idolâtrie. Certains ne se contentent pas de cela et vont jusqu’à assassiner les fabricants d'une image, qui n’est ni une re-présentation, ni même une caricature.

Est-ce qu’une représentation de type cubiste à la Picasso du prophète aurait eu la même charge émotionnelle ? Suffit-il alors de dire d’une chose, représentation ou non, qu’il s’agit du prophète, pour déclencher l’indignation ? Y compris dire « ceci n’est pas le prophète » comme « ceci n’est pas une pipe » ? Ce serait à toute évidence un non-sens, pourquoi y attribuer une quelconque importance ? N’est-ce pas celui qui investit une charge dans l’image, que celle-ci n’a pas, qui est le véritable idolâtre ?

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[1] La caricature, exception au droit à l’image, Basile Ader, Avocat au Barreau de Paris 

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