samedi 13 décembre 2014

Le Franchissement du pic dans la lignée Kagyu


Karma Chagmé (1613-1678)

Le terme « Dzogchen nyinthig » se réfère au contenu de la Section des transmissions tantriques (man ngag sde) qui consiste en 17 textes (quelquefois 18). Cycle que l’on appelle aussi quelquefois les dix-sept tantras de la Claire lumière (T. yang gsang 'od gsal gyi rgyud bcu bdun).[1] Il n’est pas très clair à partir de quelle époque ce terme a fait son apparition. On le voit néanmoins dans les biographies de maîtres rattachés (ultérieurement ?) à l’école nyingmapa. Zhangton Tashi Dorje (1097-1167) fut l’auteur de la Grande histoire du Dzogchen Nyingthik (T. rdzogs pa chen po snying thig gi lo rgyus chen mo), dans lequel ce terme apparaît dans le titre. Les 17 tantras de ce cycle auraient été découverts par Dangma Lhungyel (ldang ma lhun rgyal) au 11ème siècle dans un temple au nord de Lhasa (zhwa'i lha khang). Ils auraient été cachés à cet endroit par Nyang Tingdzin Zangpo (myang ting 'dzin), un disciple de Vimalamitra (8ème siècle). On ne sait pas grand-chose de ce découvreur du « Dzogchen nyinthig », excepté le fait qu’il l’aurait transmis à Chetsun Sengge Wangchuk (lce btsun seng ge dbang phyug, 12ème siècle). Ce maître aurait eut des visions de Vimalamitra et caché à son tour le « Dzogchen nyinthig » à trois endroits différents.[2] A plus de cent ans d’âge, il transmit le cycle à notre historien Zhangton Tashi Dorje (1097-1167), et atteint le corps d’arc-en-ciel dans une grotte à Oyuk (?). Zhangton passa le cycle à son fils Nyima Bum (1158-1213). Celui-ci le transmit à son neveu Guru Jober (gu ru jo 'ber 1196-1255). Ce cycle passa successivement à Trulzhik Sengge Gyabpa ('khrul zhig seng ge rgyab pa 13ème s.), Melong Dorje (me long rdo rje 1243-1303), Kumārāja (1266-1343), qui transmit le « Dzogchen nyinthig » au 3ème Karmapa (1284-1339) et à Longchenpa (1308-1364) approximativement en 1136.

Un autre maître du 3ème Karmapa fut Orgyenpa Rinchen Pel (o rgyan pa rin chen dpal 1229/1230-1309), qui était éduqué comme un nyingmapa dans sa jeunesse, mais n’avait cependant pas eu accès au « Dzogchen nyinthig ». Il auraît fait un voyage à Oḍḍiyāna, où il eut une vision de Vajravarahī qui lui donna le cycle de “l’Approche et l’accomplissement du triple vajra” (T. rdo rje gsum gyi bsnyen sgrub, alias o rgyan bsnyan sgrub). Le triple vajra est d’ailleurs aussi le thème principal du Dzogchen nyingthik. C’était Orgyenpa qui avait reconnu le 3ème Karmapa, et qui pourrait être le concepteur de la lignée des Karmapa.

Le premier élément solide de la lignée du Dzogchen nyingthik semble être Zhangton Tashi Dorje (1097-1167), par ailleurs l’auteur de la Grande histoire du Dzogchen Nyingthig. Rétroactivement, avec l’apparition des autres Nyingthik, celle-ci sera (re)nommée Vima Nyingthik. Cela n’empêche pas que la lignée du « Dzogchen Nyingthik » remonte traditionnellement à Garab Dordjé par le biais de Padmasambhava. Selon la tradition, ces textes auraient été cachés par un disciple de Vimalamitra, Nyang Tingdzin Zangpo (myang ting 'dzin) du clan de Nyang et un ministre du roi Tri Songdetsen. Un autre membre de ce clan illustre, Nyangrel Nyima Ozer (myang ral nyi ma 'od zer 1124/1136-1192/1204) jouera un rôle capital pour la lignée nyingmapa, notamment pour le culte de Padmasambhava. Il aurait découvert le lieu (brak srin mo sbar rje), qui abritait le trone de Padmasambhava avec de nombreux attributs et trésors. Il y découvra des cycles comme celui de la Grande compassion (thugs rje chen po) connu sous le nom de Maṇi Kambum (ma ṇi bka' 'bum), qui déclara Avalokiteśvara comme le patron du Tibet. Son fils prit sa relève et transmit les cycles à Gourou Cheuwang (chos kyi dbang phyug (1212-1270), qui établit une sorte de charte pour la tradition des découvreurs de trésors [3]et composa une pratique de Padmasambhava (bla ma gsang 'dus).

Comme le 3ème Karmapa avait reçu le « Dzogchen Nyingthik », rétroactivement Vima Nyingthig, de Kumārāja, et que son père était un nyingmapa, il est présenté comme quelqu’un qui avait fait converger les courants Mahāmudrā et Dzogchen, mais on ne trouve pas vraiment des écrits confirmant cela dans la liste de ses œuvres (gsung ‘bum).

Il en va autrement pour le maître Karma Chagmé (1613-1678), dont le père Anu Pema Wang descendrait du roi Trisong Detsen. C’était un auteur prolifique de 77 volumes sur la Mahāmudrā et le Dzogchen ainsi qu’un découvreur de trésors inspirés, au cours de sa retraite de douze ans. Pendant les sept dernières années de cette retraite, il fut rejoint par un jeune disciple Mingyur Dorje (1645-1667), descendant d’un ministre de Trisong Detsen), qui avait des visions que Karma Chagmé répertoria dans les treize volumes d’Instructions célestes (gnam chos).

Karma Chagmé respecte la charte de Gourou Cheuwang, car son cycle comporte les trois éléments gourou yoga, Dzogchen et pratique d’Avalokiteśvara, le pivot central de son enseignement. Et le Dzogchen qu’il propose est bien la combinaison de l’Éradication de la rigidité (T. khregs chod) et du Franchissment du pic (T. thod brgal). Nous sommes au 17ème siècle et après le déclassement de la mahāmudrā de Gampopa.
« Ainsi, l’union de la double vision de la base – c'est-à-dire, assister à l’essentielle nature de trancher la rigidité, mahamoudra – et de la voie – c'est-à-dire, la claire lumière du franchissement du pic – est le pinacle des neuf yanas. »[4]
Karma Chagmé semble dire ici que la mahāmudrā correspondrait à la première phase de l’Éradication de la rigidité et qu’elle doit être suivie par la pratique visionnaire du Franchissement du pic de la Claire lumière, qu’il explique par la suite. La suite est la copie conforme (mais sans mentionner l’original) du trésor de Karmalingpa (1326–1386) « Le manuel d'instruction de l'état intermédiaire de la réalité-en-soi, l'autolibération de la vision » (chos nyid bar do'i khrid yig mthong ba rang grol). Le cycle de Karma Chagmé semble avoir eu pour objectif d’intégrer les instructions nyingmapa relatives au Franchissement du pic (T. thod brgal) dans le cursus kagyupa.

Par ailleurs, Mingyour Rinpoché est considéré comme le tulkou du jeune Mingyur Dorjé (1645-1667. L’actuel tulkou est le fils d’Urgyen Rinpoché (1920-1996), tulkou de Gourou Cheuwang (ci-dessus) et de Noubchen Sangyé Yéshé.

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[1] « The eighteen are The Penetrating Sound Tantra (Tibetan: sgra thal ‘gyur),[7] to which was appended the Seventeen Tantras of Innermost Luminosity (Tibetan: yang gsang 'od gsal gyi rgyud bcu bdun). » http://en.wikipedia.org/wiki/Seventeen_tantras

[2] « Langdro Chepa Takdra (lang gro'i chad pa ltag), Uyuk (u yug), and Jelphug (jal gyi phug), all in U. Shangpa Repa revealed the treasures hidden at Langdro; Shang Tashi Dorje discovered those at Uyuk in 1117, as well as those at Jelphug. »

[3] P.e. le fait que chaque cycle de trésor devait comporter les trois éléments gourou yoga, Dzogchen et pratique d’Avalokiteśvara (bla rdzogs thugs gsum), et qu’un découvreur de trésor devait d’abord ouvrir son canal médian par la pratique du yoga sexuel.

[4] « [705] Thus, the union of the twofold vision of the ground—namely, attending to the essential nature of the Breakthrough, Mahamudra—and the path—namely, the clear light of the Leap-over—is the pinnacle of the nine yanas. » Naked Awareness: Practical Instructions on the Union of Mahamudra and Dzogchen par Karma Chagme,Karma Chagme, Gyatrul Rinpoche, B. Alan Wallace, p. 154

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