mercredi 10 septembre 2014

Esprit et matière, homme et femme, même débat


Par facilité... J'aurais aussi bien pu mettre une image de nonnes bouddhistes marchant derrière des moines ou de temples interdits aux femmes. Il y a simplement trop d'exemples.

Les religions aiment faire correspondre l’opposition esprit-matière, ou ciel-terre, à l’opposition homme-femme. L’homme correspond à la part active, motrice, et la femme à la part passive, animée. Ces mèmes, que l’on dirait religieux maintenant[1], ont pendant longtemps appartenu aux « sciences », avec des applications généralisées de l’opposition homme-femme dans absolument tous les domaines.

Le véritable élément procréateur était le sperme masculin, qui venait animer la matière[2] contenue dans la matrice. Selon Claude Galien (129-200/216), médecin grec qui « a eu une influence durable sur la médecine chrétienne, juive et musulmane du Moyen Âge », le cerveau est le siège de l’âme animale, une des trois âmes du corps, et il est principalement formé de sperme. La blancheur du cerveau fut expliquée par celle du sperme au Moyen-Âge, le cordon de la moelle épinière faisant le lien entre les deux.

La part ou la cause active (solaire, fulgurante) était également la part la plus chaude. Selon Aristote, pour chaque catégorie il existait une catégorie opposée, qui était comme son contraire. Le corps mâle était chaud et relativement sec et plus en état de bien digérer la nourriture et brûler l’excès de sang des humeurs en le transformant en muscles, du sperme et des cheveux/poils, contrairement au corps d’une femme. L'excès de sang des humeurs de la femme était recueilli dans la matrice, où il se corrompait en devenant toxique. Cette substance impure et toxique devait alors être expulsée une fois par mois sous forme de sang menstruel. Contrairement au corps mâle plus chaud, le corps de la femme était incapable de cuire (raffiner) le sang et de le transformer en essence virile.[3]

On trouve le même type de raisonnement en Inde, où Sivananda (1887-1963) expliqua que l’essence virile (vīrya) était l’essence du sang, et que pour chaque goutte de sperme il fallait 40 gouttes de sang.[4] Des sept éléments constituants (sapta dhātu) de l’Ayurveda, le sperme est le plus pur. Le mot vīrya, essence virile, signifie aussi « valeur, héroïsme; prouesse | énergie, vigueur, virilité, force” et est composé avec le mot vīra, qui signifie « mâle, guerrier, héros, chef; époux, fils”. Sivananda précisa qu’en fait le mental (manas?), le prāṇa et le vīrya sont uns et qu’en contrôlant un de ces trois, on contrôlait également les deux autres.[5]

Préserver la semence (vīrya) est préserver son essence virile. En préservant sa semence, celle-ci remonte vers le cerveau, nourrit le cerveau, rend le corps vigoureux et aiguise la mémoire et l’intellect.[6]

Idée que l’on retrouve chez Tailopa, où cette essence est appelée “bodhicitta” :
Utiliser une karmamudrā fait surgir l'intuition de la plénitude vide d'essence
La Science (l'homme) et la Sagesse (la femme) sont consacrées puis entrent en union
Laisse descendre lentement [la bodhicitta], guide-la, garde-la, fais la circuler et bloque-la
En amenant [la bodhicitta] aux [24] points cruciaux, le corps entier en est emplie[7]Si tu ne t'attaches pas à cette [expérience], elle surgira comme l'intuition de la plénitude vide d'essence
Tu auras une longévité, sans cheveux blancs, qui croît comme la lune
Avec une couleur de sang claire et une force de lion
Tu obtiendras rapidement les accomplissements ordinaires tout en approfondissant l’accomplissement suprême[8]
L’accomplissement suprême tout en accomplissant son devoir de yogi, qui procure les siddhi. Le sang impur doit être cuit, jusqu’à ce que chaque goutte de sang s’est transformé en essence virile (vīrya, bodhicitta), le dernier dhātu parfaitement pur, car séparé, sorti, libéré « de la matière ». L’essence virile « cuite » remonte par le cordon de la moelle épinière vers le cerveau, où elle forme comme un lac (candrakūpa, ou ret kuṇḍ) qui se déverse et se diffuse dans le corps purifié du libéré-vivant. Le tout s’apparente ainsi à un travail alchimique, raconté par David Gordon White dans The Alchemical Body (pp. 247-248). Par la sympathie macro-microcosmique, ce qui se passe dans le corps se passe simultanément dans l’univers du libéré-vivant[9].

La libération, en la considérant par les métaphores utilisées, semble ainsi se réduire à un processus de purification qui libère l’esprit de la matière, ou l’Homme de la femme, en transformant tout ce qui est matériel et féminin en essence virile (vīrya).

C’est par ce type de raisonnement que fut installée l’idée de l’impureté plus grande d’une femme et de la supériorité de l’homme sur la femme. L’homme est naturellement plus proche du divin de par sa virilité (vīrya), si celle-ci est libérée de la matière. Et cela se traduit évidemment dans la vie de tous les jours et les règles sociales, jusqu’à dans nos jours, et jusque dans les pays dits les plus civilisés.

Un tout petit exemple. J’ai vu à la télé néerlandaise (début septembre 2014), un sacristain de l'île de Texel expliquer, qu'à la mort d'un homme les cloches sonnent 100 coups, pour exprimer douleur et perte, et à la mort d'une femme ou d'un enfant 50 coups. Il savait bien que ce n'était pas très moderne et que "les féministes" étaient contre, mais que voulez-vous c'est la tradition... Si on pouvait commencer par se libérer de ce type d’idées…

***

MàJ 08092016 Suite à la circulation d'une photo photoshoppée (ajout de chaînes) dans les réseaux sociaux, j'ai découvert cet article qui montre que l'histoire de l'article vers lequel pointe la photo est un hoax.


[1] Après le divorce entre la science et la religion.

[2] “According to Aristotle, for each category of thing, there must also exist an opposite category of that same thing—an inversion of itself. This process of categorical inversion can be seen in Aristotle’s philosophical analysis of the human body: the warm and relatively dry male body was perfect; because of its innate heat, the male body could digest its food more efficiently and could burn off excess humoral blood, turning it into firm muscle, sperm, and hair. The inversion of this perfect male body was the corrupt female body, which was cold and unnaturally moist. Because of its lack of heat, the female body was unable to digest its food completely and could not burn off excess humoral blood; instead, this blood was stored in the uterus, where it became corrupt and toxic, whence it needed to be expelled once a month. For classical medical authorities such as Hippocrates and Galen, menstrual blood was a natural bodily fluid, no more or less toxic than phlegm or urine; for the seventh‐century theologian Isidore of Seville, however, menstrual blood was in and of itself a poison so toxic that it could cloud mirrors and melt glue. Isidore’s theory of toxic menstrual blood remained salient in theological discussions and was ultimately “proven” through the application of learned medicine and Aristotelian natural philosophy in the thirteenth century treatise De Secretis Mulierum, by Pseudo‐Albertus.19 Unlike the male body, then, the female body could not cook blood into firm muscles; female flesh was loose and spongy, typified in its pendulous breasts and soft abdomen. Generally cold and moist, the female body was a mal‐ formed or unformed male, incomplete, longing to be whole. Moreover, as female flesh lost its moisture with the old age, it would not become more male because of its increasing dryness. Unlike the naturally male body, which was dry in correct proportion and therefore firm, holding its moisture in proper balance, the female body would begin to starve, becoming increasingly wanton, constantly seeking the internal vital heat and the qualitatively warm and moist sperm that would both satiate and sustain it.” The Biology of Blood-Lust: Medieval Medicine, Theology, and the Vampire Jew, Brenda Gardenour Saint Louis College of Pharmacy [1] “Selon Giulia Sissa, la théorie d’Aristote qui prive la femme de toute autre apport que la matière a encouragé la croyance en la génération spontanée. Ce qui provoque la génération, c’est la chaleur (le sperme perd sa consistance en sortant à l’air libre et en refroidissant). Le sperme apporte l’origine du mouvement (arché kinoussa). Dans la génération spontanée des vers, la terre, la viande putréfiée et l’eau jouent le rôle de la mère, c’est-à-dire de la matière. » LES THÉORIES DE L’EMBRYON CHEZ LES AUTEURS MÉDICAUX ANTIQUES ET CHEZ LES PREMIERS AUTEURS CHRÉTIENS. Aline Rousselle (Université de Toulouse-le-Mirail). 
Voir aussi Paracelse, selon qui la matrice humaine n’est pas nécessaire : « That the sperm of a man be putrefied by itself in a sealed cucurbit for forty days with the highest degree of putrefaction in a horse’s womb, or at least so long that it comes to life and moves itself, and stirs, which is easily observed. After this time, it will look somewhat like a man, but transparent, without a body. If, after this, it be fed wisely with the Arcanum of human blood, and be nourished for up to forty weeks, and be kept in the even heat of the horse’s womb, a living human child grows therefrom, with all its members like another child, which is born of a woman, but much smaller. » De natura rerum (1537)

[3] According to Ayurveda [Indian medicine], semen is the last Dhatu [original element; core; constituent; the vital force in the human being] that is formed out of food. Out of food is manufactured chyle. Out of chyle comes blood. Out of blood comes flesh. Out of flesh comes fat. Out of fat comes bone. Out of bone comes marrow. Out of marrow comes semen. These are the Sapta Dhatus or the seven Dhatus that support this life and body. Mark here how precious is semen! It is the last essence. It is the Essence of essences. The Virya comes out of the very marrow that lies concealed inside the bones. The Value of Semen 

[4] “My dear brothers! The vital energy, the Virya [strength; power; energy; courage] that supports your life, which is the Prana of Pranas, which shines in your sparkling eyes, which beams in your shining cheeks, is a great treasure for you. Remember this point well. Virya is the quintessence of blood. One drop of semen is manufactured out of forty drops of blood. Mark here how valuable this fluid is!” The Value of Semen

[5] “Mind, Prana and Virya are one. By controlling the mind, you can control Prana and semen. By controlling Prana you can control the mind and semen. By controlling semen, you can control the mind and Prana.” The Value of Semen

[6] “The following is taken from HH Bhakti Vikasa Swami’s book Brahmacarya in Krishna Consciousness.
Retention of semen is so essential in progressive human life that it is simply astounding how the whole endeavor of modern civilization is based on discharging it as much as possible. Semen retained in the body goes upwards to nourish the brain, rendering the body robust and the memory and intellect sharp. Determination, optimism, confidence, will-power, fixed intelligence, noble character, photographic memory, and shining good health are all fruits of conserved semen. It is said that the four Kumaras were unwilling to adopt materialistic activities because they were highly elevated due to their semens’ flowing upwards (ūrdhva-retasaḥ). (SB 3.12.4)”

[7] ལས་ཀྱི་ཕྱག་རྒྱ་བསྟེན་ན་བདེ་སྟོང་ཡེ་ཤེས་འཆར།
ཐབས་དང་ཤེས་རབ་བྱིན་བརླབས་སྙོམས་པར་འཇུག
དལ་བར་དབབ་ཅིང་བསྐྱིལ་བཟློག་དྲང་བ་དང༌།
གནས་སུ་བསྐྱལ་ལ་ལུས་ལ་ཁྱབ་པར་དགྲམ།

[8] དེ་ལ་ཆགས་ཞེན་མེད་ན་བདེ་སྟོང་ཡེ་ཤེས་འཆར།
ཚེ་རིང་སྐྲ་དཀར་མེད་ཅིང་ཟླ་ལྟར་རྒྱས་པར་འགྱུར།
བཀྲག་མདངས་གསལ་ལ་སྟོབས་ཀྱང་སེང་ཀེ་འདྲ།
ཐུན་མོང་དངོས་གྲུབ་མྱུར་ཐོབ་མཆོག་ལ་གཞོལ་བར་འགྱུར།

[9] Voir le chant de Mokchogpa



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