mardi 29 avril 2014

Les agents de la maya




Dans Qu'est-ce que l'ignorance métaphysique, Michel Hulin rappelle que la notion la plus ancienne de la māyā est celle du «pouvoir magique d’illusion», détenu d’abord par les "démons", puis conquis par les dieux, dans le but "de se jouer de leurs ennemis en se dérobant à volonté à leur vue sous mille et une formes trompeuses". L'idée derrière cela étant de maintenir "les mortels captifs des liens du désir et de la crainte, de telle sorte que, mûs par l’espoir de récompenses dans l’ici-bas ou dans l’au-delà et par la peur de châtiments célestes, ils ne cessent de travailler pour le compte des dieux, les «nourrissant» constamment par les sacrifices qu’ils leur offrent."

La māyā est donc comme un voile jeté sur la réalité brute (même si elle est inaccessible sans représentation), qui a pour objectif d'asservir l'homme. Ceux qui veulent asservir l'homme et l'enfermer dans un système sacrificiel, ce sont les "démons" et les dieux. Ce qui permet d'enfermer l'homme et de le maintenir enfermé dans ce système, ce sont ses espoirs et ses craintes. Les "démons" et les dieux tiennent l'homme captif, par ses propres espoirs et craintes (avidyā), en faisant miroiter (māyā) qu'ils pourront le protéger et exaucer ses vœux, en échange de sacrifices. Tout comme les programmes présidentiels, cette māyā n'engage que ceux qui y croient.

Si on adhère à l'existence de dieux et démons (génies), qui font tourner le monde, qui aident le soleil à se lever et se coucher, la nature a refleurir à chaque printemps, les cours d'eau à couler etc., il est tout naturel que notre reconnaissance s'exprime à leur égard. La croyance en les dieux et démons est un prolongement de l'idée générale d'une Nature inerte, mise et gardée en mouvement par des Agents experts, ce qui est à son tour un prolongement de l'idée d'un Esprit, d'une Intelligence (ou un Bouddha cosmique…) qui vient animer la Nature/Matière.

Si on n'adhère pas à l'existence de dieux et démons au sens mythologique et cosmogonique, on constate que, bien que les dieux et démons soient absents, il y a bien des personnes qui parlent et agissent à leur place, et en leur nom pour constituer un corps mystique. Ce que Michel Hulin a dit ci-dessus à propos de la māyā, s'applique alors à eux, c'est-à-dire ceux qui se réclament des dieux et démons et dont l'autorité relève d'eux. Les prêtres qui expliquent l'origine des dieux et qui conduisent les sacrifices, et ceux dont la généalogie royale aurait des origines divines et qui agissent en agents sur terre, représentant les Agents célestes de l'Esprit qui anime tout.

Ce sont alors les prêtres et les rois, pour faire court, qui veulent maintenir "les mortels captifs des liens du désir et de la crainte, de telle sorte que, mûs par l’espoir de récompenses dans l’ici-bas ou dans l’au-delà et par la peur de châtiments célestes, ils ne cessent de travailler pour le compte "des dieux" [les guillemets sont les miens], les «nourrissant» constamment par les sacrifices qu’ils leur offrent" et les tenir enfermés dans un système sacrificiel.

Les Lumières et la Révolution française étant passées par là, nous vivons désormais dans un monde éclairé et post-moderne. Nous ne croyons plus (avidyā) en les bobards (māyā) des prêtres et des rois, qui ont perdu leur "pouvoir magique d’illusion". Nous ne sommes plus asservis par eux. Mais même si "Dieu est mort", son ombre vit toujours.[1] Sur les trônes vides siègent actuellement d'autres agents experts avec leurs prêtres (médias) qui exercent leur "pouvoir magique d’illusion" (māyā) de façon magistrale, et qui nous tiennent captifs dans leur système sacrificiel (remboursement de la Dette), aussi longtemps que nous croyons (avidyā) en leur pouvoir.

***

[1] "Après la mort de Bouddha, l'on montra encore pendant des siècles son ombre dans une caverne, - une ombre énorme et épouvantable. Dieu est mort : mais, à la façon dont sont faits les hommes, il y aura peut-être encore pendant des milliers d'années des cavernes où l'on montrera son ombre. - Et nous - il nous faut encore vaincre son ombre!" Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir

lundi 28 avril 2014

L'ignorance comme une manipulation des dieux



Les textes védiques les plus anciens (second millénaire avant J.-C.) connaissent déjà la notion de māyā ou «pouvoir magique d’illusion». Détenu d’abord par les démons, puis conquis par les dieux, il permet à ceux-ci de se jouer de leurs ennemis en se dérobant à volonté à leur vue sous mille et une formes trompeuses. Dans les philosophies de l’hindouisme classique (les darśana) la māyā deviendra l’« illusion cosmique», c’est-à- dire le pouvoir de l’absolu (du brahman) par lequel il se cache derrière les apparences de l’univers sensible et se disperse faussement à travers la multiplicité indéfinie des consciences individuelles peuplant cet univers. Mais, dès le stade représenté par les Upanisad védiques (entre 800 et 300 avant J.-C.), la māyā avait déjà été comprise comme le pouvoir d’illusion par lequel les dieux maintiennent les mortels captifs des liens du désir et de la crainte, de telle sorte que, mûs par l’espoir de récompenses dans l’ici-bas ou dans l’au-delà et par la peur de châtiments célestes, ils ne cessent de travailler pour le compte des dieux, les «nourrissant» constamment par les sacrifices qu’ils leur offrent. L’ignorance métaphysique que les dieux suscitent et exploitent à leur profit se trouve ainsi décrite dans les plus anciennes Upanisad comme une sorte de méconnaissance de soi naturelle à l’homme, en fonction de laquelle il oublie que sa propre essence intérieure, ou ātman, loin de se réduire à une réalité finie et dépendante, est identifiable, au-delà même des dieux, au fondement ultime de l’univers, c’est-à-dire au brahman.

Le fait de repérer et de dénoncer l'avidyā comportera donc, à supposer qu’il soit possible, une dimension de transgression ou de sacrilège à travers laquelle l’homme remettra en question l’ordre du monde et refusera la place subordonnée qui, à l’intérieur de cet ordre, lui était depuis toujours réservée. C’est ce qu’explique la Bṛhadāranyaka-upaniṣad dans un passage décisif:
« En vérité, à l’origine, le brahman seul existait. Il ne connaissait donc que lui-même: «Je suis brahman», et il était le Tout. Puis chacun des dieux le fut, au fur et à mesure qu’ils s’éveillèrent à la pensée ; de même des sages, de même des hommes... De même aujourd’hui, celui qui sait ainsi : « Je suis brahman », celui-là est le Tout, et les dieux mêmes ne peuvent l’en empêcher, car il est leur Soi (ātman). Et celui qui considère : « Le dieu est un et moi je suis un autre », celui-là ne sait pas. Il est pour les dieux comme un bétail. Et comme beaucoup d’animaux sont au service de l’homme, chaque homme est au service des dieux... C’est pourquoi il leur déplaît que les hommes sachent cela ».
L'avidyā est donc originellement conçue comme une puissance de sommeil et d’aveugle­ment qui pèse sur la condition humaine en général - et non pas seulement sur certains individus - pour la maintenir dans la servitude. Mystérieusement, l’ordre du monde serait agencé de manière à tromper l’humanité, génération après génération, et à l’égarer sur des voies sans issue. Toutefois – et c’est là le second trait majeur de l'avidyā dans la spéculation des Upaniṣad - la tromperie cosmique exercée sur l’homme (et sur tout être fini pensant) ne revêt en rien le caractère d’une manipulation extérieure. Elle s’opère avec la participation active de l’homme et en se conformant à la logique immanente des structures fondamentales de son être-au-monde. Il importe en effet de voir que l'avidyā n’a rien d’une innocente ignorance ni d’une erreur intellectuelle pure qu’une pédagogie adaptée, ou une maïeutique, suffirait à redresser. Elle a une dimension existentielle et comporte une manière active, quoique non consciente d’elle- même et de ses démarches, de se détourner du réel, c’est-à-dire de se fuir soi-même en se projetant vers un extérieur fantomatique.

Le schéma qui préside à la notion d'avidyā est simple bien que difficile à percevoir immédiatement dans toute l’étendue de ses conséquences. L’avidyā représente un mélange détonant de savoir absolu et d’erreur radicale. D’un côté, elle fait fond sur la conscience inamissible d’exister en droit de toute éternité, et non pas seulement en fait et maintenant. Dans le langage du Vedānta classique, elle préserve une obscure réminiscence de l’identité ultime entre le Soi (l'ātman) et l’absolu (le brahman). Mais, d’un autre côté, elle admet tacitement comme évidente la délimitation de cette conscience de soi par les paramètres du corps physique et, à travers eux, par les fonctions et positions sociales. En d’autres termes, le moi se reconnaît à chaque instant comme grand, petit, malade, en bonne santé, riche, pauvre, homme, femme, maître, serviteur, etc. Et c’est le heurt de ces deux évidences incompatibles qui constitue l’essence conflictuelle de l’avidyā.

Extrait de : Michel Hulin, Qu'est-ce que l'ignorance métaphysique, J.Vrin, pp. 8-12

samedi 19 avril 2014

De la traçabilité chez les dieux


Yakṣi, sous un ashoka dynastie Shunga
Je reviens vers le culte de la Déesse, que j’appelle « la Femme », pour avoir un champ aussi vaste que possible. J’ai déjà parlé du culte des nymphes (yakṣi), de l’association entre la Femme et l’Arbre, entre la Femme et l’Eau. Ici, je veux parler de quelques éléments iconographiques persistants. Je commence par la représentation d’une yakṣi sous un arbre aśoka (saraca indica, 2ème/1er siècle av. J.C) de la dynastie Shunga[1] à Magadha. Elle semble faire corps avec l’arbre, ses pieds plantés fermement sur le sol, les mains sur les hanches. On observe un couvre-chef singulier sur la tête, qui fait penser à celui de déesses sumériennes.

L’arbre sal, sâla ou śāla (Shorea robusta) est souvent confondu avec l’arbre aśoka (saraca indica) dans la littérature ancienne de l’Inde.[2] C’est d’ailleurs d’après cet arbre (sal) que sont nommées les nymphes sylvestres (śālabhañjikā), souvent représentées dans la posture caractéristique de la mère du Bouddha.


Ambika, Ellora

Ambika, Maljagaon

Une autre représentation de « la Femme », ici Ambikā, la « Mère » (caves Jain d’Ellora), assise sur un lion sous un arbre (manguier ?), en posture lalitāsana, (« de bodhisattva »). Habituellement, elle porte dans la main une branche d’arbre (manguier ?).

Matanga, Ellora 

Cette représentation peut-être accompagnée (Ellora, Maljagaon,…) de celle du yakṣa Matanga assis sur un éléphant. L’éléphant sert aussi de monture à Kubera,[3] à Indra et à Samantabhadra.

Il se trouve sous un arbre sal/aśoka à Maljagaon (Maharashtra). Chez les jains, ce yakṣa est un « dieu » de la prospérité, au même titre que Kubera (Vaiśravaṇa, Jambhala) également un yakṣa. Le grand « fondateur » du jainisme Mahāvīra (599-527 av. J.C.) ne fut que le dernier d’une succession de 24 maîtres (tīrthaṅkara). A chaque tīrthaṅkara est associé un arbre, un yakṣa et une yakṣi, qui sont les protecteurs des tīrthaṅkara. Les yakṣa/yakṣi sont des vyantara, des « êtres intermédiaires », divisés en huit classes : piśācās, bhūtās, yakṣās, rākṣasās, kinnarās, kimpuruṣās, mahoragās et gandharvās. Ils peuvent être comparés avec les génies et les nymphes. Ils étaient associés aux villages, les étangs, les bosquets et à l’élément fluide et l’opulence (rasa), leurs dons aux humains étant la pluie, la rosée, le sang, la semence et le vin (sura).[4]

Quand Kubera (Vaiśravaṇa, Jambhala) apparaît comme le dieu de l’opulence, le seigneur des êtres intermédiaires, il s’agit sans doute d’une opération de subjugation, de l'apprivoisement de cultes mineurs. Traditionnellement, Kubera, le Seigneur du plaisir (kameśvara)[5], est l’époux de la yakṣi Bhadrā (« prospère »), aussi appelée Kauberi (« femme de Kubera »), la fille du démon Mura. En plus de sa femme, Kubera semble aussi avoir pour parèdre/ « maîtresse » la Femme Lakṣmi. Il est vénéré avec elle pendant la «Fête de la lumière» (Dīpāvali), au premier jour de la fête (dhanteras),[6] qui se tient avec la nouvelle lune d’automne (kārtika, entre mi-octobre et mi-novembre) pour célébrer la victoire sur l’obscurité et le retour de la lumière.

Le paradis de Kubera est Alaka(puri). Alaka signifie « boucle, mêche ». En tibétain, son paradis s’appelle « lcang lo can », qui signifie « tresse, natte ». Mais ce nom est plus connu pour indiquer le paradis de Vajrapāṇi, également un yakṣa. Il semblerait que le culte des yakṣa soit un culte ancien, qui a été intégré par la suite par les grandes religions (jainisme, bouddhisme, shivaïsme...), sous la forme du tantrisme.

Il y aura beaucoup à dire et on peut développer davantage le lien entre les yakṣa et les divinités tantriques, mais pour l’instant j’ai envie de passer à la divinité bouddhiste Tārā. Elle est sans doute mentionnée et décrite pour la première fois dans le Mañjuśrī-mūla-kalpa assise en dessous d’Āryāvalokiteśvara sur une montagne de lapis lazuli/béryl. Son corps y est de couleur dorée, sa main gauche tient un utpala bleu et sa main droite fait le geste d’exaucement de voeux (varada). Son corps est quelque peu incliné et entouré de flammes. La montagne de lapis lazuli, sur laquelle est se trouve est parsemée d’arbres takamaka (S. punnāga, L. Calophyllum inophyllum) en fleurs, qui abritent Tārā. Leurs branches sont couvertes de jeunes pousses et germes qui ont l’air de se tourner vers Tārā. Elle protège contre les dangers (maîtresse des animaux) et exauce les vœux.

Un des 21 aspects de Tara (dbang mchog ster ba'i sgrol ma) (copyright: Bokar Ngedhon Choekhor Ling)

Une louange de Tārā composée par Candragomin précise que sa pratique est surtout faite sur le littoral et sur les rives des grands fleuves.[7] Elle est celle qui aide à traverser et protège les marins. Elle réside à l’est (où se trouve également le paradis Alaka), dans son propre champs (kṣetra), où le grand roi des yakṣa, Jambhala, lui succède. La louange se termine en disant qu’un grand roi yakṣa fait également sa pratique et que dans les régions de Harikela, Karmaraṅga, Kāmarūpa et Kalaśa de nombreux messagères et yakṣa font des miracles.[8] La fameuse louange aux 21 aspects de Tārā comporte la louange à l’aspect particulier de Tārā qui écrase les quatre Māra et qui exauce tous les vœux.
« Hommage à vous, Tārā, la grande terrifiante
Qui par Ture (« la prompte », turā) détruisez complètement les puissants démons.
Votre visage de lotus grimaçant de courroux,
Vous anéantissez tous les ennemis sans exception. »
La louange aux 21 aspects que l'on trouve dans le Tantra de Tārā est attribué au parfait Bouddha Vairocana, dont elle est dite issue quelquefois (p.e. Ārya-tārā-stotra attribué à Mātṛceṭa). Cet aspect est assises en posture de danse (ardhaparyaṅka) sur une monture de makara. Son corps est de couleur dorée, son visage « grimace de courroux » (bhṛkuṭī-kṛta), et elle a quatre bras, la première main droite tenant la branche d’un arbre aśoka, la deuxième droite tient un joyau tout en faisant le geste d’exaucer les vœux, la première main gauche tient un lotus et la deuxième un jarre, pour accorder les perfections (siddhi). Elle fait penser à Gangama.

Gangama
Le procédé de « subjugation » que l’on trouve en Inde, au Tibet et ailleurs, consiste à rassembler tous les dieux, génies, nymphes « de village » ou païens en une seule divinité (celle qui subjugue) et dont ceux-ci seront désormais des aspects. Il en va de même pour tous les cultes associés, qui seront intégrés dans le culte officiel de la nouvelle divinité subjugatrice sous forme d’éléments liturgiques atténués. Tārā reprend ainsi les deux aspects de la Femme/déesse-mère protectrice et nourricière.

Illustration "In praise of Tara" (Andy Weber) p. 177
Un des aspects de Tārā protège contre les lions. L’anecdote associée décrit un aspect habillé de feuilles, à la façon de Parṇa[9]-śabarī, montrant les origines śabara de cet aspect. Dans son Rosaire doré qui raconte l’origine du tantra de Tārā, Tārānātha commence par raconter l’origine générale des sūtra du mahāyāna et des tantras. C’est quelque temps après le troisième concile[10], raconte-t-il, que la plupart des sūtra qui avaient été « gardés » dans les mondes des deva, nāga, yakṣa, gandharva et rākṣasa, commncèrent à être « progressivement introduits » dans le monde (Jambudvīpa). En même temps, apparurent des « textes spontanément apparus ». Ceux qui les pratiquèrent, réalisèrent que les dharmas étaient inengendrés et eurent des visions de Mañjuśrī, Avalokita, Maitreya et d’autres. A la même époque furent répandus les tantra kriyā, caryā et yoga ainsi que les tantra anuttara. Ceux qui les pratiquèrent eurent la vision de Vajrasattva et du Maître ésotérique (Guhyapati = Vajrapāṇi). Le tantra de Tārā en fit partie.

Le Maître ésotérique, Vajrapāṇi, yakṣa et chef des yakṣa, qui subjuguera même Śiva en personne, est en charge de recenser, garder et diffuser les tantras. Les tantras, attribués au Bouddha historique dans les mondes des êtres intermédiaires et préservés dans ceux-ci, jusqu’au moment de leur diffusion à Jambudvīpa, relaté par Tārānātha ci-dessus. Il n’est donc pas étonnant que les tantras portent la griffe des yakṣa et de leur culte. Ce récit de l’origine des tantras bouddhistes désigne donc bien la source véritable des tantras, mais en y ajoutant un écran de fumée. Il est un peu ironique que les méthodes préconisées par Vajradhara dans le Saṃdhivyākaraṇatantra soient à la fois pré-bouddhistes et post-bouddhistes. Ce sont les mêmes méthodes pratiquées avant l’introduction du bouddhisme, qui, évidemment adaptées et améliorées, sont proposées aux générations futures dégénérées, afin de les libérer de leurs inclinations matérialistes et hédonistes.

Les éléments iconographiques des dieux et génies peuvent constituer un excellent guide pour aider à rétablir leur évolution et leurs influences, une véritable traçabilité des dieux… La Femme, l’Arbre, la Maîtresse des animaux, l’Eau et les fluides, et du temps des sacrifices l’Homme-Taureau

Tara assise sous un arbre, détail de Tara protégeant contre les éléphants (Andy Weber, In praise of Tara)
Sceau minoen représentant Déméter

Sceau sumérien (3000 av. JC) de la maîtresse des animaux


***

[1] Après la chute des Maurya.

[2] Eckard Schleberger, Die indische Götterwelt. Gestalt, Ausdruck und Sinnbild Eugen Diederich Verlag. Cologne.

[3] Kubera also rides the elephant called Sarvabhauma as a loka-pala. « sarvabhūmi [bhūmi] f. la Terre entière — a. m. n. f. qui possède la Terre entière ». Source : Hopkins, Edward Washburn (1915). Epic mythology.

[4] Source

[5] Parmi d’autres nombreux titres, qui rappellent ceux de Vajrapāṇi. « Kubera also enjoys the titles "king of the whole world", "king of kings" (Rajaraja), "Lord of wealth" (Dhanadhipati) and "giver of wealth" (Dhanada). His titles are sometimes related to his subjects: "king of Yakshas" (Yaksharajan), "Lord of Rakshasas" (Rakshasadhipati), "Lord of Guhyakas" (Guhyakadhipa), "king of Kinnaras"(Kinnararaja), "king of animals resembling men" (Mayuraja), and "king of men" (Nararaja). Kubera is also called Guhyadhipa ("Lord of the hidden"). The Atharvaveda calls him the "god of hiding" » Source

[6] Fairs and Festivals of India. Pustak Mahal. September 2006. p. 32. ISBN 81-223-0951-8.

[7] In praise of Tārā, Martin Wilson, p. 42. Citant Mallar Ghosh, Development of Buddhist Iconography in Eatsren India

[8] In praise of Tārā, Martin Wilson, p. 43

[9] Butea frondosa, arbre sacré (légumineuse) aux larges feuilles trifoliées dont on fait des assiettes jetables, et aux grandes grappes de fleurs rose saumon et orange

[10] Env. 250 av. J.C. à Pataliputra.

mardi 8 avril 2014

In illo tempore


Vajrapāṇi sur le site de Himalayan Art

Sur l'expression "in illo tempore"
« Eliade étudie dans ce volume le concept de réalité dans les sociétés dites primitives et archaïques indo-européennes. Il part du principe que dans ces sociétés un objet ou un geste n'est réel que parce qu'il répète une action effectuée in illo tempore, c'est-à-dire à une époque mythique, originelle. Il acquiert un sens parce que le rituel, qui fait référence à un archétype, le lui confère en le dotant d'une fonction ou d'une force sacrée. Seul ce qui est sacré est réel. Par conséquent, tout ce qui n'entre pas dans le cadre d'un rite archétypal n'existe pas. Ce même phénomène apparaît dans la géographie et en particulier dans la situation des temples : ils doivent eux aussi se rapporter à un lieu sacré, à un modèle céleste qui leur est antérieur. » Wikipédia
Les tantra sont classés parmi les paroles du Bouddha (buddhavacana), au même titre que le vinaya, les sūtra et l’abhidharma (bouddhisme ancien). Officiellement, ce serait le Bouddha Śakyamuni, qui en prenant un aspect spécifique (Bouddha archétypal, divinité…) les aurait révélé au maître ésotérique (guhyapati), Vajrapāṇi. Comme il s’agit néanmoins de buddhavacana, ils doivent, pour s’authentifier, mentionner l’endroit, l’époque, l’entourage etc. C’est ce qu’ils font en effet, mais en y introduisant des éléments (evaṃ mayā śrutam), quelquefois non sans humour, permettant de savoir que ces enseignements furent donnés in illo tempore. Ces éléments spatiotemporels ont pour unique raison d’accrocher des personnes captives du temps et de l’espace, pour les en sortir et les placer dans la vraie réalité, le temps mythique des tantras.

Il s’agit tout de même de textes composés dans le monde des humains, à une certaine époque, et contenant les éléments linguistiques et spatiotemporels de l’époque de leur composition ou édition. Un texte comme le Guhyasamāja vient en une version racine et des tantras d’explication (bshad rgyud). Un des tantras d’explication est le Tantra de la révélation de la Pensée/Intention (T. dgongs pa lung bstan pa’i rgyud, S. Saṃdhivyākaraṇatantra), traduit en tibétain par Dharmaśrībhadra et Rinchen Zangpo (958-1055), probablement à Tholing (Guge) au Tibet, où Dharmaśrībhadra avait résidé pour y travailler avec des traducteurs tibétains. Rinchen Zangpo, était un des jeunes tibétains envoyés en Inde pour y apprendre le sanskrit. Cette mission s’inscrivait dans le projet du roi Yéshé Eu (T. ye shes ‘od 947-1024) de Guge, qui voulait assainir la région d’un point de vue religieux. C’est également dans ce cadre que le grand Atiśa fut invité. Le roi avait publié un édit contre les pratiques dégénérées de son époque :
« Vous êtes plus affamés de viande qu'un loup,
Vous êtes plus assujettis au désir qu'un âne ou un buffle en rut,
Vous êtes plus friand de restes en décomposition que les fourmis dans une ruine
Vous avez moins de notion de pureté qu'un chien ou un porc.
Aux divinités pures, vous offrez des fèces et de l'urine, du sperme et du sang
Hélas, avec une conduite pareille, avec une semblable conduite, vous renaîtrez dans un bourbier de cadavres en putréfaction
»
Grâce à l’omniscience et à la prévoyance du Bouddha, c’était pile à cette époque-là, que Vajrapāṇi diffusa des tantras qui semblaient tomber à pique. Dans le tantra d’explication du Guhyasamāja, Vajradhara remercie Vajrapāṇi de l’avoir demandé de regarder dans le futur, ce qui lui avait permis de constater la dégénération à venir et de donner des instructions taillées sur mesure pour venir en aide. Vajradhara décrit en détail les désordres, dont le roi Yéshé Eu avait fait également état. Les grands esprits se rencontrent et le Bouddha est un excellent gestionnaire.

Ceux qui ne veulent pas tout de suite se rendre in illo tempore, et qui se demandent comment des textes de ce genre sont introduits dans le monde, peuvent me rejoindre pour tenter d’avoir un aperçu des cuisines de Tholing avec ses gros chaudrons, et de ce qui s’y mijote.

Le Tantra de la révélation de la Pensée/Intention (T. dgongs pa lung bstan pa’i rgyud, S. Saṃdhivyākaraṇatantra), a été énoncé à un moment « très secret »[1], dans un lieu qui s’appelle Utopie[2], par le Prince secret, le Vajrabhagavat et destiné au Maître du secret (guyhapati). Les cartes sont brouillées intentionnellement, pour nous amener in illo tempore, selon Eliade. Mais, surprise, quand Vajradhara se met à parler, il semble parler de l’époque du roi Yéshé Eu, de Dharmaśrībhadra, Rinchen Zangpo etc. et des désordres dans la région transfrontalière de l’Inde. C’est comme si on entendait parler le roi dharmaraja en personne… Imaginez un sujet d’actualité dont parlent tous les médias, et tout d’un coup on redécouvre au même moment un évangile ou autre révélation, qui reprendrait l’exacte position du gouvernement. C’est un peu l’effet qu’ont dû avoir les tantras fraîchement ramenés de l’Inde (ou de Tholing ?)

Il y a eu par la suite des pamphlets comme le sngags log sun ‘byin, dont ‘Gos lhas btsas serait[3] l’auteur, contre les déviations tantriques qu'il imputait au Guyagarbha Tantra, mais ce sera dans le cadre des conflits intersectaires habituels. Ces pamphlets se sont sans doute inspirés des arguments que l’on trouve parmi les propos de Vajradhara himself. Jugez pour vous-mêmes.

« Ensuite, le Bienheureux Vajradhara
Rayonnant de lumière dit :
« Ayant vu les générations futures
Comme vous me l'aviez demandé
- C'est parfait, c'est parfait, grand individu,
C'est parfait, Maître ésotérique ! -
Les différents points à exposer en détail
Je vous les énoncerai ici.
Dans des temps à venir
Le monde inclinera vers le matérialisme (cārvāka)
Et entretiendra des vues erronées
Chacun agissant à sa guise
Certains aimeront les chants et les danses (S. nṛtti-gīti)
Et inclineront vers l'amusement et la séduction
Ils aimeront les parfums et les guirlandes
Et les rapports amoureux
Ces aveuglés se voueront aux haines
Et à la stupidité
D'autres seront obsédés par leur libido
Et auront envie de nouvelles expériences
Du poisson, de la viande, de l'alcool
Des excréments, de l’urine, du sperme et du sang
Ces individus imbéciles mangeront tout cela
Et s'associeront avec des nihilistes (nāstika-vādin)
Une femme, leur mère, leur sœur etc.
Ils feront l'amour avec celles avec qui cela n'est pas permis
Ils tueront leur père et leur mère
Ainsi que toutes les autres créatures
Ils diront des mensonges
Plus particulièrement, ils commettront le vol
Et convoiteront la femme d'un autre
Ils commettront également les autres vilenies (T. nyes smad).
Certains abandonneront le dharma authentique
Et commettront même les actes sans rémission
Mais même ayant commis divers actes négatifs
Les mantrikas aspireront toujours aux perfections (siddhi)
Les poisons auxquels s'ajoutent le poison de la douleur
[Causeront] diverses maladies insupportables
Déprimés par celles-ci
Ils aspireront alors à la quiétude
Mais ces aveuglés qui l'avaient rejetée auparavant
Ne commettront que des actes négatifs insupportables
Par leur inclinaison aux vues erronées
Ils iront dans les mauvaises destinées.

C'est pour les prendre en charge
Que j'ai enseigné ces instructions ésotériques.
Celui qui veut retrouver de l'authentique
Pourra devenir un tathāgata en cette [méthode] (tshul)
Maître ésotérique, les sages
Qui trouveront cette méthode suprême
Et qui trouveront le principe lumineux authentique
Et qui retomberont de nouveau dans l'orgueil
Ceux-là s'éloigneront de la quiétude de l'absorption
Et de la lucidité (prajñā)
Étant dotés d'enthousiasme (pramodya)
Ces yogis habitués à la vanité
D'avoir un Soi[4]
Posséderont des dharma trompeurs et fabriqués
Ils mépriseront (dūṣaṇa) la Quiétude, les autres créatures,
Et se mépriseront entre eux
En s'appuyant sur les mantras ésotériques
Ils se disputeront les uns avec les autres
Comme ils seront sous l'influence de Māra
S'ils trouvent la moindre perfection (siddhi)
Ils se gonfleront d’orgueil
En se prenant pour des sages
Ils se disputeront devant un large public
Comme des chiens se battant pour de la nourriture
Les bonnes choses qui se produisent naturellement ou volontairement
Il les empêcheront
Ils diront que les actes positifs et négatifs
Sont notre dynamisme[5]
Ces maîtres (ācārya) qui prendront l'air d'un véritable éveillé
Ne doivent être ni méprisés ni vénérés
Un instant, ils se mettront en colère,
L'instant suivant, ils seront en rut
Du chien, du porc et du corbeau
Ils imiteront le comportement
Ils se feront du mal les uns aux autres
Étant gonflés de vanité
Et sans connaître le Guhyasamāja
Ils en préserveront les liens (samaya) etc.
Étant incapables de le garder secret
Ils le révéleront à tout le monde
Se rabaissant au niveau du monde
Ils le divulgueront aux autres
Le Soi étant sans racine
Ils transgresseront les liens (samaya).
Étant stimulés par les sons rauques de plaisir
Ils n'auront pas d'opportunité pour eux-mêmes
Et ne se (re)connaîtront pas à l’aide de
L'absorption qui vient de l'intuition de l'essentiel
Même [en réaction à] des actes négatifs infimes
Ils pratiqueront une magie noire (abhicāra) violente
La mise en oeuvre inférieure du yoga
Ne donnera pas la réalisation aux mantrikas.
Ils se délecteront de traités non-bouddhistes
Et seront seulement experts en leur mise en oeuvre
Mais en renonçant à leur lien (samaya) naturel
Ils seront comme [des éléphants] sans cornac
En appliquant les mantras et les mudrā
Leur [seule] « réussite » sera de gagner leur vie ainsi
En acceptant tout ce qui leur tombe sous la main
Ils enseigneront la doctrine authentique

Afin de les regrouper parfaitement
J'ai enseigné les instructions ésotériques par le biais de la Pensée (abréviation pour le titre?).
Ceux qui ont endommagé leurs engagements
Seront tous attirés par celle-ci (la Pensée)
Si je ne sais pas me conformer (anugacchati) à eux
Comment pourraient-ils être apaisés ?
C'est donc pour les prendre en charge
Que ces méthodes ont été transformées. »

Ce passage est très intéressant de plusieurs points de vue. Je laisserai de côté le point de vue que les tantras, celui-ci y compris, avaient été enseignés par le Bouddha historique et que ce dernier avait en effet le don de connaître l’avenir et de faire des prédictions. Je pars donc du point de vue que ce tantra explicatif (le tantra-racine est plus ancien) avait été composé à l’époque des désordres qui y étaient décrits, et qui correspond à peu près à celle des acteurs mentionnés ci-dessus. Le roi Yéshé Eu a décidé de reprendre les choses en main pour ce qui est des pratiques religieuses et de réorganiser la religion en la finançant. Ce serait ce roi qui aurait envoyé Rinchen Zangpo et d’autres en Inde, pour y étudier et ramener les écritures bouddhistes, et qui aurait sans doute contribué à sponsoriser cette entreprise.[6] Entre autres, pour faire cesser les désordres. Quels désordres ?
« Selon la version officielle, après l’assassinat du roi tibétain Langdarma (842), le bouddhisme avait continué son développement, mais sans la forme monastique. Ce serait surtout le bouddhisme monastique qui avait souffert des persécutions. Il n’était plus une religion d’état, centralisé et soutenu par les familles puissantes. Les « religions de village », en revanche, avaient continué de se développer et prirent leur essor. Les officiants de ces religions, qui étaient un mélange de tantras indiens (bouddhistes et non-bouddhistes), de Bön… étaient les maîtres mantrika (T. sngags pa), très portés sur la magie. »
Le roi Yéshé Eu et ses successeurs semblaient donc vouloir renouer avec la tradition où la religion, bouddhiste, était organisée par le roi. L’intention de Vajradhara, en enseignant le Guhyasamāja et autres tantras, semble être de prendre pour une fait accompli que les temps étaient dégénérées, que les gens avaient des pratiques religieuses non conformes, et qu’il fallait reprendre ces pratiques religieuses tout en les transformant ou subjuguant. Il s’agissait donc d’éviter un pis-aller. Les pratiques répréhensibles étaient les pratiques sexuelles (T. sbyor ba), les pratiques sacrificielles (T. grol ba) à la fois avec des victimes animales qu’humaines (T. mchod sgrub), la manipulation de cadavres (T. bam sgrub) etc. Les croyances répréhensibles étaient l’essentialisme (ātmavāda) et une sorte de refus d’inhibition des volontés du dieu intérieur (nātha), considérées comme divines[7], par le biais de diverses observances. Toutes ces pratiques devaient être récupérées et réorganisées, afin de sauver tous ces pauvres égarés. Le choix de l'ancien yakṣa Vajrapāṇi, représentant des pratiques païennes, n'est alors pas arbitraire.

Ce vaste projet, initié par Vajradhara, dans le tantra explicatif du Guhyasamāja, devait demander toute un travail d’écriture, de ré-écriture et de traduction pour transformer[8] les anciennes méthodes des mantrika. Et c’est entre autres à Tholing que cela a dû se passer.

***

[1] shin tu gsang ba'i dus gcig na/

[2] gnas med pa la gnas zhes bya/

[3] probablement été rédigé par Chag Lo tsā ba Chos rje dpal (1197-1264)

[4] "This is one of seven prides which Nāgārjuna mentions in his Precious Garland, stanzas 407-412: pride of selfhood (bdag nyid nga rgyal), exceeding pride (lhag pa'i nga rgyal), pride beyond pride (nga rgyal las kyang nga rgyal), pride of thinking I (nga'o snyam pa'i nga rgyal), pride of conceit (mngon pa'i nga rgyal), erroneous pride (log pa'i nga rgyal), pride of inferiority (dman pa'i nga rgyal)" Source

[5] Ils suivent leurs impulsions en les considérant comme authentiques.

[6] « Most of the attributions to Rinchen Zangpo must be taken with some suspicion, as they are the invention of later tradition. Some of the more notable contributions he is said to have made include what would have been his first major temple, after Toling, Khachar (kha char; also spelled 'kha' char and 'khab char), a royal temple sponsored by either King Lhade (lha lde, 996-1024), the nephew of Yeshe O and the uncle of Jangchub O (byang chub 'od, r. 1037-57) who invited Atisha Dīpaṃkara (982-1054) to Tibet, or, alternately, by King Khorre (khor re, r. 988-996), Lhade's father and the brother of Yeshe O. This temple is likely near a town called Langka northwest Ladakh. Another temple was named Nyama (mya ma), now a pile of ruins near Tikse in Ladakh. He is also credited with establishing the famous Tabo Monastery in Spiti in 996. » Alexander Gardner

[7] Les éléphants sans cornac…

[8] tshul 'di dag ni gyur pa yin/

Texte tibétain en Wylie 

de nas bcom ldan rdo rje can/
'od chen ldan pas bka' stsal pa/
ma 'ongs skye bo mthong nas ni/
gang zhig khyod kyis nga dris pa/
legs so legs so sems dpa' che/
gsang ba'i bdag po khyod legs so/
smras don ji lta ji lta bar/
de ltar khyod la lung bstan bya/
ma 'ongs dus na mi rnams ni/
'jig rten rgyang phan mchog gzhol 'gyur/
log par lta ba la gnas te/
ci dga' bar yang spyod par byed/
la la glu dang gar la dga'/
dgod dang sgeg la mchog tu gzhol/
dri dang phreng ba la dga' zhing*/
de bzhin 'khrig pa la dgar 'gyur/
rmongs pa la sdang ba dang*/
de bzhin gti mug la rab gzhol/
la la de bzhin 'dod chags zhen/
shes pa gzhan dag 'dod par 'gyur/
nya dang sha dang de bzhin chang*/
bshang gci khu ba khrag rnams ni/
skyes bu glen pa za byed cing*/
med par smra ba chos su sgrog_/
ma dang sring mo la sogs pa/
bgrod min la ni bgrod pa dang*/
pha dang ma yang gsod pa dang*/
de bzhin srog chags gzhan rnams gsod/
rdzun gyi tshig nyid smra ba dang*/
khyad par du yang brku ba dang*/
gzhan gyi chung ma'i thad 'gro zhing*/
smad pa gzhan yang byed par 'gyur/
la la dam chos spong ba dang*/
de bzhin mtshams med byed pa ste/
sna tshogs sdig pa byas nas kyang*/
sngags pa dngos grub 'dod par 'gyur/
gzer nad dug dang sbyar ba'i dug_/
sna tshogs nad ni mi bzad pa/
'di rnams kyis ni gzir gyur nas/
zhi ba nyid ni 'dod par 'gyur/
'dor bar byed pa rmongs pa de/
mi bzad sdig pa byas pa dang*/
log par lta la mchog gzhol rnams/
ngan song gsum du 'gro bar 'gyur/
de rnams rjes su gzung ba'i phyir/
gsang ba 'di ltar bstan pa yin/
gang zhig yang dag thob pa nyid/
'dir ni de bzhin gshegs par 'gyur/
gsang ba'i bdag po mkhas rnams kyis/
tshul mchog 'di ni rnyed gyur nas/
don gsal yang dag rnyed pa dang*/
de yang nga rgyal dag tu ltung*/
de rnams ting 'dzin zhi nyid dang*/
shes rab nyid kyang shin tu ring*/
rab tu dga' dang ldan pa yis/
rnal 'byor pa ni bdag nyid ces/
mngon pa'i nga rgyal la rtag dga'/
sgyu dang bcos ma'i chos dang ldan/
mya ngan 'das dang gzhan 'gro ba/
phan tshun dag ni sun yang 'byin/
gsang sngags smra ba la brten nas/
gcig la gcig ni rtsod par 'gyur/
de rnams bdud kyi byin rlabs kyis/
gal te dngos grub phra thob na/
des ni mngon par nga rgyal bas/
mkhas pa snyam du shes par 'gyur/
tshogs pa'i nang du rtsod pa dang*/
khyi bzhin kha zas la spyod 'gyur/
rang las 'bras las byung ba yi/
phan pa la ni gnod pa byed/
de rnams dge dang mi dge rnams/
bdag cag rnams kyi stobs yin zer/
mngon sum sangs rgyas 'dra ba yi/
slob dpon smod cing bsnyen bkur med/
skad cig gcig gis sdang byed cing*/
de la skad cig gis rjes chags/
khyi dang phag dang khwa rnams kyi/
spyod pa dag ni ston par byed/
de rnams phan tshun rnam 'tshe bar/
mngon par dga' bar byed par 'gyur/
gsang ba 'dus pa mi shes par/
dam tshig la sogs byed par 'gyur/
gsang ba srung bar mi byed par/
thams cad du ni ston par byed/
'jig rten la ni smad byas nas/
gzhan dag la yang rab gsal byed/
bdag nyid rtsa ba med par ni/
dam tshig 'das par byed par 'gyur/
sgra bcas sbror ldan gyis bskul bas/
rang la rang gi glags rnyed med/
de nyid ye shes 'byung ba yi/
ting 'dzin de yis shes mi 'gyur/
nyes pa cung zad tsam gyi phyir/
mngon spyod rab tu byed par 'gyur/
rnal 'byor rab sbyor dman pa yi/
sngags pa rnams ni 'grub mi 'gyur/
phyi rol bstan bcos la rtag dga'/
de yi sbyor la gcig tu mkhas/
rang gi dam tshig yongs spangs nas/
lcags kyu med pa bzhin du spyod/
sngags dang phyag rgya'i sbyor ba yis/
de rnams 'tsho ba sgrub par 'gyur/
gang du rnyed pa thob 'gyur bar/
dam pa'i chos ni ston par byed/
de rnams yang dag sdud byed pa'i/
gsang ba dgongs pas bshad pa yin/
dam tshig nyams te gnas pa rnams/
'di yis thams cad dgug par bya/
de dag rjes rig mi shes na/
de rnams zhi bar ga la 'gyur/
de nas rjes su gzung don du/
tshul 'di dag ni gyur pa yin/