dimanche 16 février 2014

Des réfugiés nostalgiques ?


Carte de Johan Elverskog dans Buddhism and Islam on the Silk Road 

En 1008, le Khotan, dont le roi se fit appeler « roi des turcs et des tibétains »[1], est conquis par les
Qarakhanides[2], après avoir résisté pendant une certaine période. Tout comme le Cachemire, Khotan se trouvait à la périphérie du bloc tantrique dans la représentation tripartite schématique de Johan Elverskog de la répartition du pouvoir politique et économique dans le monde de l’époque. Simultanément, il y avait les conquêtes de Mahmoud de Ghaznî (971 - 1030), dirigeant de l'Empire ghaznévide, en Inde du Nord-Ouest. 
« La tradition dit que Mahmoud avait fait le vœu de piller l'Inde une fois l'an et de réciter un verset du Coran après chaque destruction de temple. De fait, il y mène dix-sept campagnes de pillage, la première importante en 1001, la dernière en 1026. Ses premières expéditions ciblent le Panjâb et l'Inde du nord-est, tandis que la dernière atteint Somnâth sur la côte sud du Kâthiâwar dans le Goujerat. » (source Wikipédia)
Al-Biruni explique que les sciences indiennes se sont alors retirées et installés là où le califat ne s’étendait pas encore, au Cachemire, à Bénares etc.[3] Le Cachemire devient alors, avec le Népal, une des sources privilégiées du bouddhisme tibétain.

Depuis, Oḍḍiyāna, Shambala et les autres « śakti pīṭhas » dans le périmètre bouddhiste firent partie du caliphat. C’est à la même époque que fut composé le Kālacakra Tantra (xie siècle), peut-être par des bouddhistes d’Oḍḍiyāna, Shambala etc. ayant fui leurs régions natales désormais dans le zone d’influence du califat. Souffrant sans doute de mal de pays, leurs régions natales sont exaltées et deviennent les légendaires pays de Shambala etc. d’où, selon les prédictions du Kālacakra Tantra, partirait un jour la résistance contre la progression du califat.

Ce n’est cependant pas la cause de la disparition du bouddhisme de l’Inde, qui avait déjà commencé à perdre pied, à Oḍḍiyāna comme ailleurs en Afghanistan. Selon Elverskog, le développement du tantrisme aussi bien dans l’hindouisme que dans le bouddhisme, a fait que les différences entre ces deux religions s’étaient estompées. Il cite l’exemple du voyageur ibn Batutta au 14ème siècle, qui ne savait pas faire la distinction. Rappelons-nous aussi de l’observation qu’Atiśa (11ème siècle) aurait fait à la mort de Maitrīpa/Advayavajra. Comme les tantras puisent dans un terreau religieux (théiste, animiste, chamaniste…) ancien, le bouddhisme « athéiste » devait fournir plus d’efforts doctrinaires pour les intégrer. Cette complication doctrinaire, en combinaison avec la montée en puissance du bhakti (simplicité) a sans doute contribué à sa disparition en Inde.

***

[1] Elverskog, citant Vladimir Minorsky, Hudud al-‘Älamy 85.

[2] C'est probablement à cette occasion que fut composé le petit poème ci-dessous : 
« We came down on them like a flood,
We went out among their cities,
We tore down the idol-temples,
We shat on the Buddha’s head ! » Voic la note d'Elverskog sur l'origine du poème : note 121. Mahmud al-Kasgari, Compendium of the Turkic Languages (Diwan Lugat at-Turk) Volume 1, ed. and trans. Robert Dankoff and James Kelly (Cambridge: Harvard University Press, 1982), 270. Although this poem describes an attack on the Uygurs it most likely actually refers to the Qarakhanid conquest of Khotan, see Robert Dankoff, “Three Turkic Verse Cycles Relating to Inner Asian Warfare,” Harvard Ukranian Studies 3-4,1 (1979-1980): 161.

[3] Elverskog citant Newman, “Islam in the Kalacakra Tantra,” 312.

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