jeudi 23 janvier 2014

Spiritualisme matérialiste


Les mots « esprit » et « âme » ont des origines dualistes. Le dualisme le plus courant étant celui de l’opposition entre esprit et matière, ou entre des pôles équivalents. L’esprit vient du latin spiritus qui désigne le « souffle vital », le « principe de vie », ou « le souffle créateur envoyé par Dieu » (début XIIe s.). Le mot âme vient du latin anima qui signifie « souffle, air », et il est l’équivalent du grec pneuma. Le dualisme esprit-matière a la vie dure même parmi des philosophes naturalistes. L’idée que la matière est inerte, constituée d’éléments, animés par un « élément » actif venu de l’on ne sait où, mais souvent d’en haut, perdurera. L’esprit sera ainsi un hôte dans la matière, un voyageur, un oiseau, une parcelle de lumière, un prisonnier…

Les religions auront alors pour fonction de rappeler son origine lumineuse à l’âme ou l’esprit et de lui proposer de retrouver la source de lumière. Les méthodes pour ramener l’esprit au bercail sont appelées « spirituelles », la forme adjective de l’esprit. Une vie spirituelle est une vie conforme au grand retour de l’esprit, souvent associée à la volonté de sortir du monde, de la matière. Mais il est difficile de parler de l’esprit ou de l’âme sans évoquer, par logique, son pôle contraire, la matière, ce qui a pour résultat d’entretenir le dualisme.

Le bouddhisme, les religions et de nombreux philosophes ont développé de nombreuses théories sur l’opposition esprit-matière, et l’on peut constater une évolution générale qui va dans le sens d’une atténuation de l’opposition, et donc aussi de la nécessité de sortir l’esprit de la matière. La coproduction conditionnée a donné à « l’esprit » les moyens pour améliorer les conditions de son emprisonnement et ultimement pour sa sortie définitive. La vacuité renvoie dos à dos l’esprit et la matière et l’union des deux vérités rend caduque la nécessité d’une sortie. Pour l’esprit-seul (citta-mātra) la matière n’est qu’un épiphénomène de l’esprit (je caricature). Et pour les matérialistes, l’esprit est un épiphénomène de la matière. La « matière » reste un grand inconnu. Il y a également une approche mystique qui consiste à ne pas s’investir dans aucun pôle et d’accepter tel quel ce qui se présente. C’est ainsi que l’on peut accéder aux deux vérités sans en sacrifier aucune.

Mais en arrière-plan de tout cela, reste toujours l’opposition esprit-matière comme la pierre angulaire de toutes ces approches, avec le beau rôle pour l’esprit. Le passé pèse si lourdement sur le présent. Peut-être le Bouddha avait raisonné ainsi quand il hésita d’enseigner. Un pragmatique pourrait dire alors, ok, c’est ainsi, l’opposition esprit-matière est toujours de vigueur, faisons avec, partons de là. Et ses instructions seraient des upāya. Les upāya, pour véritablement être cela, doivent être des upāya pour toutes les parties. S’ils sont pris pour des upāya par les uns et au premier degré par d’autres, ce ne sont pas des upāya mais des malentendus. Et si le nombre de ceux qui les prennent au premier degré augmente et que celui de ceux qui savent que ce sont des upāya diminue, sont-ce toujours des upāya ? Peut-être que les initiés finiraient même par prendre les upāya au premier degré. Et il n’y aurait plus de bouddhisme, c’est-à-dire plus la doctrine de celui qui hésita à enseigner. Bien sûr, toute l’infrastructure est toujours en place, comme à l’époque du Bouddha, même mieux, ça brille de partout, mais sans upāya, tout cela est du premier degré. L’esprit traité matériellement ou la matière traité spirituellement. Une infrastructure au service de sa propre survie. Sans upāya, pas de non-dualité.

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