samedi 16 novembre 2013

Liens sogdiens



La succession du trône après l’abdication (797) et la mort (800) du roi tibétain khri srong lde'u btsan est entourée de mystères. C’est ce roi qui aurait fait venir Shantarakshita et Padmasambhava pour établir le bouddhisme au Tibet et éliminer toute résistance. La réalité semble être plus complexe que cela. Nous ne connaissons pas grand-chose du règne de son fils ainé mu ne btsan po (762-799). Il aurait établi quatre lieux de culte majeurs et aurait été empoisonné par sa mère. Le nom mu ne est un nom en la langue de Zhang Zhung qui signifie « espace »[1]. La légende raconte qu’il aurait tenté à trois reprises de redistribuer les richesses parmi ses sujet, mais sans succès. C’est idée n’est cependant pas une idée bouddhiste. D’où lui était-elle venue ?

Sous le règne du frère cadet Sad na legs/Khri lDe-srong btsan (799/800 – 815), le Tibet multiplie les campagnes militaires. Contre la Chine, entre 799 et 803, avec des batailles à Yanzhou, Linzhou, Weizhou, Yazhou et à Suizhou. Et contre les arabes à l’ouest. Selon al-Ya'qubi (décédé en 897/8), ils auraient fait le siège de Samarcande, la capitale de la Transoxianie à l’époque. Le gouverneur tibétain du Turkestan présenta une statue en or et en pierres précieuses au caliphe abbaside al-Ma'mun (r. 813–833). Cette statue aurait été envoyée plus tard au Ka'ba à la Mecque. A sa mort en 815, Sad na legs fut succédé par Ral pa can un de ses cinq fils (?), à la place de Langdarma car celui-ci était considéré comme anti-bouddhiste.[2] Ralpachen était en faveur du bouddhisme. Il proclama que chaque moine serait pris en charge par sept familles et que celui qui osa jeter un regard malicieux sur un moine, aurait ses yeux enlevés. On ressent une certaine tension derrière ces mésures. En 838, il fut assassiné par deux ministres pro-Bönpo qui firent Langdarma roi. Le tombeau de Ralpachen consisterait en un lion fait dans un style persan.[3] Langdarma fut le dernier empereur tibétain et avec son assassinat en 841 l’empire s’effondra.

Il est admis au Tibet qu'il y eut avant le bouddhisme trois pratiques religieuses originelles du Tibet, appelées sgrung (mythologie), lde’u (« dés », divination) et bön (chamanisme)[4]. Bön n’est ici pas la religion que nous connaissons actuellement sous ce nom, mais une forme de chamanisme. La forme la plus ancienne du chamanisme « bön » est appelée brdol bon ("bön source") Dans cette forme, on croyait à l’existence de dieux du terroir qui avait la charge du territoire, de la guerre, de la famille maternelle. Tous les saisons, d'immenses sacrifices d’animaux leur étaient offerts. Le "bön de source" croyait à l’existence d’une âme qui pouvait se réincarner. Dans les chroniques historiques, cette forme du bön aurait aussi été appelée « bon dkar po ». On croyait que les empereurs tibétains étaient d’origine divine et immortelle. Mais l’immortalité des empereurs cessa avec le huitième successeur, Gri gum btsan po, qui fut hostile à cette première forme de Bön et qui l’interdit.

C’est sous son règne, qu’un certain gshen rab mi bo che aurait alors mélangé le Bön originel (brdol bon ou bon dkar po) avec les doctrines de maîtres perses (T. stag gzig), pour fonder une nouvelle religion appelée « ‘khyar bon » (Bön dévié) ou encore « snang gshen ». Dans cette doctrine, on ne croyait plus aux existences antérieures et futures, mais en un univers gouverné par des dieux et des démons, qui se disputaient l’âme des humains. On y trouve donc pas mal de rituels de rançon. Finalement, quand le bouddhisme devint la religion officielle, le Bön entra dans une troisième phase où il intégrait la doctrine bouddhiste et recevait le nom « sgyur bon » (Bön transformé), qui est sa forme actuelle.

Les rapports entre les empereurs tibétains et le Bön furent difficiles. Après Gri gum btsan po, Srong btsan sgam po aurait interdit le Bön, à cause de ses immenses sacrifices. Quand (756) Khri lDe-srong btsan succéda à son père Khri lde gtsug btsan, il n’avait que seize ans et le véritable pouvoir fut dans les mains du ministre Ma zhang grom pa skyes. Celui-ci mena une politique farouchement anti-bouddhiste. Par la suite, Khri lDe-srong btsan devint le roi pro-bouddhiste que l’on connaît. En 759 aurait eu lieu un débat entre bouddhistes et Bönpo, qui aurait été gagné par les bouddhistes. C’est à partir de cette période, que le Bön aurait commencé sa troisième phase de « Bön transformé » (sgyur bon).

Sous le règne du roi pro-bouddhiste Ralpachen, des ministres pro-bön auraient fait en sorte de saper son pouvoir, de le faire assassiner et de mettre à sa place son frère Langdarma, pro-bön, qui serait à son tour assassiné (en 846) par un bouddhiste. Mais les persécutions anti-bouddhistes se seraient poursuivies.

Fait intéressant, selon l’hypothèse de Bronislav Kuznetsov, le bön est issu de migrations de masse d’Iraniens quittant la Sogdiane (5ème s. av. J.C.) pour le nord-ouest du Tibet, le Zhang Zhung ? Le bön aurait donc initialement été une sorte de mithraïsme/zoroastrianisme (culte de Mithra) avec des rituels de type tauroctonie[5].

Que font les sectes religieux persécutés par d’autres ? Comme par exemple les gnostiques dont les doctrines furent condamnés par les chrétiens orthodoxes ? Ils cachent leurs écrits afin de les préserver, comme cela était le cas des écrits gnostiques enterrés à Nag Hammadi, redécouverts seulement en 1945.

Quoi qu’il en soit, il semble établi que des rapports et des échanges ont existé entre le Tibet et les états sogdiens (centrés autour de Samarcande).

Sogdia and Bactria on the Eve of the Umayyad PeriodThe Historical Interaction between the Buddhist and Islamic Cultures before the Mongol Empire
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[1] Dans le chamanisme sibérien (Bө Murgel ou Bө Shazhan, murgel ou shazan signifiant « religion », Bө étant le nom de la religion), on trouve le culte du ciel bleu éternel (Münhe) et des dieux qui l’habitent (Huhe Münhe Tengeri). Source : Dmitry Ermakov, Bө and Bön: Ancient Shamanic Traditions of Siberia and Tibet in Their Relation to the Teachings of a Central Asian Buddha

[2] Shakabpa, Tsepon W. D. Tibet: A Political History (1967), p. 48. Yale University Press, New Haven and London.

[3] Ancient Tibet: Research Materials from the Yeshe De Project (1986), p. 304. Dharma Publishing, California. ISBN 0-89800-146-3.

[4] Mkhas-pa Lde’u, Rgya Bod-kyi Chos-’byung Rgyas-pa. Voir aussi le sgrung lde'u bon gsum gyi gtam e ma ho de Namkhai Norbu. Ou encore le bon sgrung lde'u gsum gyis srid bskyangs tshul dang bod kyi spyi tshogs lo rgyus kyi 'phel rim gle composé par tshe ring don grub

[5] « La tauroctonie est une représentation religieuse en relation avec l'univers ; le dieu grec romanisé Mithra, sur l'ordre du Soleil qu'il regarde par dessus son épaule, égorge un taureau dont le sang fertilise le monde. Les forces du Mal représentées par un chien, un serpent et un scorpion mordent l'animal pour s'opposer au sacrifice et à la fécondation du monde. » Wikipedia

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