vendredi 1 novembre 2013

Les matrices de Mère Nature et comment en sortir par le haut



En lisant les écrits gnostiques, je suis souvent frappé par des parallèles avec le bouddhisme ésotérique. P.e. dans la Paraphrase de Sem, je trouve la cosmogonie suivante.


L’Obscur, qui est comme l’ombre de la Lumière, semble se prendre pour le principe supérieur, sans rien au-dessus de lui, mais se couvrant d’eau, par malice. Il se met en mouvement. Il tire orgueil de l’Intellect et s’enveloppe de l’ignorance mauvaise. La lumière de l’Esprit se manifesta alors à l’Obscur qui s’en étonna, car il ne savait pas qu’il y avait un principe supérieur à lui. Il veut alors promouvoir l’Intellect (« l’œil de l’amertume de la malice ») et en faire l’égal de l’Esprit, mais il échoue et la ressemblance avec l’Esprit n’est que partielle.

La Lumière supérieure se manifeste alors à l’Esprit qui se reconnaît Fils de la Lumière immaculée, infinie. C’est Sem qui parle : « Moi, je me manifestai. C’est [moi] le Fils de la Lumière immaculée, infinie. Je me manifestai sous l’aspect de l’Esprit. Je suis, en effet, le rayon de la Lumière universelle et sa manifestation. Cela (arriva), afin que l’Intellect de l’Obscur ne demeurât pas dans l’Hadès. Car l’Obscur s’était assimilé à son Intellect dans une partie de (ses) membres. »[1]
« L’Intellect tira d’entre l’Obscur et l’eau le feu agité – celui-ci était recouvert d’eau [=mélangé]. Puis à partir de l’Obscur, l’eau devint une nuée, et à partir de la nuée la Matrice prit forme. Le feu agité s’y rendit – celui-ci était errance. » 
Il faut sans doute faire une distinction entre le feu invisible, le feu-foudre ouranique, et le feu agité. Quand l’Obscur, l’ombre de la Lumière, voit la Matrice (T. nam mkha' yangs pa'i dbyings rum), il devient « impur ». « Et une fois qu’il eut agité l’eau, il frotta la Matrice. Son Intellect s’écoula dans les profondeurs de la Nature. » L’Obscur s’étant épris de la Matrice, comme d’une autre, confirme par là son manque de Lumière. Étant devenu la semence de la Nature, mais « issue de la racine obscure », il ne peut plus engendrer l’Intellect. « Quand donc la Nature eut conçu l’Intellect [un second] par la puissance obscure, toutes les formes prirent consistance en son sein. »

L’Intellect ainsi engendré, n’a pas de racine de Lumière. L’Obscur, ayant perdu sa puissance en devenant la semence de la Nature, ne peut plus produire que des ombres, des images. Il est seulement capable d’engendrer l’image de l’Intellect, qui se prendra pour l’Esprit (le Soi, diront certains). La Nature tente de le pousser, mais en est incapable, car elle ne disposa pas de « forme issue de l’Obscur », l’Obscur ne pouvant plus produire que des images, pas de formes. La Nature conçut alors l’Intellect dans la nuée (de l’eau et du vent).
« Alors la nuée s’illumina [par le feu agité[2]] : un Intellect s’y manifesta à la manière d’un feu terrifiant, nuisible, et il s’entrechoqua avec l’Esprit inengendré, puisqu’il avait une similitude issue de lui. » 
La similitude d’une image, d’un ombre…

Pour se débarrasser du feu agité, la Nature se divise en quatre parties ; « elles devinrent des nuages d’aspects différents. » Des matrices dirait Paracelse. La Matrice, la Nature, se divise en quatre matrices d'éléments[3]. L’Intellect entre alors dans le centre de la Puissance – « c’est-à-dire le milieu de la Nature ». Il se place au centre des quatre éléments. A la façon d’un vajra. Et voilà l’Intellect, ou l’image de l’Intellect, l’ombre de l’Esprit, emprisonné dans le Hadès. L’Esprit empêtré dans la Matière. 

C’est alors que l’Esprit, le vrai, s’active pour faire sortir son image de l’Hadès. Car l’Esprit à qui s’identifie Sem, ou tout autre nom et aspect du Sauveur, prend pitié de la lumière de l’Esprit que l’Intellect avait prise. Et un sauvetage est décidé à l’aide de la Lumière supérieure.

Si nous disons pour la facilité que la théorie ci-dessus est une théorie gnostique, de par sa cosmogonie, théogonie et idée de salut, il n’est pas difficile de discerner des éléments dits « gnostiques » dans des formes du bouddhisme de la Terre pure et ésotériques. La cosmogonie de la Paraphrase de Sem ressemble d’ailleurs à s’y méprendre à la conception d’un être humain. C’est donc une conception à la fois macrocosmique et microcosmique.

Nous trouvons les mêmes éléments dans la conception bouddhiste ésotérique d’un être humain, où l’image de l’Esprit inengendré se tient entre la goutte du Père (Lumière infinie) et la goutte de la Mère (Matrice). Entre l’Esprit et la Matière pour faire court. Et se développe en un être humain complet à l’aide des quatre éléments. Nous y retrouvons même un Plérôme présidé par Lumière infinie qui décide d’envoyer des Sauveurs afin de libérer les images de l’Intellect du Hadès (saṁsāra), du moins certains élus (T. skal ldan). Cette libération passe par une initiation dans les mystères, où l’on apprend à transformer l’impur en pur. Le feu agité (RAṂ), le vent (YAṂ) et l’eau (KHAṂ) en le triple corps (OṂ ĀḤ HŪṂ). Ou, sans initiation, en les reconnaissant simplement en tant que tels.

Le bouddhisme est-il une religion ? Le gnosticisme est-il une religion ? 

***        

[1] Paraphrase de Sem, écrits gnostiques, p.1064

[2] Le feu agité est un feu mélangé, car il est agité par le vent.

[3] Comparer avec Paracelse et les quatre matrices de la Mère de toutes les choses (Mysterium Magnum) produisant les quatre éléments.

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