lundi 30 septembre 2013

La pensée créatrice libérée de la sadhana



Dan Martin a mis une sélection de ses articles publiés librement en ligne. Parmi ces articles, un article intéressant sur la notion de Dieu créateur, intitulé Creator God or Creator Figure. Il y publie un petit texte de la main de Jigten Goeunpo ('Jig-rten-mgon-po, 1143-1217 ce), le fondateur de l'école Drigoung ('Bri-gung). Dans ce petit texte la conscience-en-soi (T. sems nyid S. cittatva), l'équivalent du rigpa, est comparée à un Brahma ou à un dieu "créateur", de la même façon que dans p.e. le Discours du roi pancréateur (T. kun byed rgyal po).

Le texte explique qu'il ne s'agit pas de combattre ou détruire le créateur qui est à l'origine d'une création qui cause de la souffrance. Car ce créateur n'est autre que soi-même. Au lieu de se purifier progressivement, ce qui peut prendre 3, 7 ou 21 existences, ou au lieu de se transformer en une divinité yidam, qui permet de devenir un Éveillé en l'espace d'une vie, Jigten Goeunpo propose d'accéder à la conscience-en-soi, ce qui permet de détruire tous les cercles de démons et de devenir un Éveillé le soir même. Comparer avec les trois voies de Gampopa, dont la dernière est la voie de la (re)connaissance. Voici une nouvelle traduction de ce texte, suivi de la version tibétaine éditée par Dan Martin.

"Hommage au Maître, [indifférencié de] Vajradhāra.

Celui que l’on appelle Srid pa Dkor rje Drang dkar est dit être le créateur (démiurge) de tous les mondes, Brahma, qui est si difficile à dompter. Car en essayant de vaincre, détruire ou éliminer le créateur de tous les mondes, on ne s’en prendrait qu’à soi-même.

Pourquoi ? C’est son propre Discernement qui est le créateur de tous les mondes. Quand on accède à ce [Discernement] qui est inengendré et dont la nature est parfaitement authentique, il est Brahma, ou le corps spirituel, le créateur du bien et de la plénitude. Ou encore la perfection de la sagesse (prajñāpāramitā).

En revanche, c’est la part non conforme, qui l’appréhende comme une essence ou comme un chef, dont il faut s’écarter. La pensée provisoire aidant s’en écarter [435] est la pensée éveillée et le double équipement du Kusāli [1] qui s’ensuit.

En écartant la notion d’un soi et d’un autre, d’un monde inanimé et animé, on se transformera en un Éveillé. Alors, en moins de trois, sept ou vingt-et-une [existences], le corps se dissoudra en élixir et toute déformation de notion de soi, autrui, monde inanimé et animé sera éliminée, suite à quoi on sera un Éveillé. Il est plus aisé de devenir un Éveillé si l’on se transforme (sādhana) en une divinité personnelle.

Mais la conscience-en-soi (S. cittatva), dont la nature est parfaitement authentique, échappant à tout concept et description, qui se déploie spontanément sans changement est encore plus aisée. Sans même un brin (T. khab) de corporéité. Sans aucun (T. spu tsam) apprentissage (T. nyan). Elle est ininterrompue et celui qui, au milieu des montagnes, ne se sépare jamais de la Simplicité parfaitement authentique, n’a pas la moindre différence avec les éveillés des trois temps. Est-il nécessaire de dire qu’il faut s’y appliquer constamment ? C’est cela même qu’il faut mettre en pratique. Encore, et encore et encore.
« Ainsi, c’est la réalité des éveillés des trois temps,
Le joyau, qui est le Seigneur du triple monde
En s’y absorbant de façon brute avec une amour universelle,
Le soir même, les cercles (maṇḍala) des démons seront domptés. »
Cette citation se concrétisera telle quelle.
Puissent tous trouver le parfait éveil.

***
Pour un raisonnement similiaire, Le reflet du serpent noir de Rongzompa

[1] « The generosity of a monk living in mountain solitude[dge slong ri khrod pa’i sbyin pa] refers to the special training in generosity of giving away one’s own body, in the manner of the kusāli-yogin, similar to the Chö-practice. This was explained in chapter three, stanza eleven. A yogin who dwells in retreat in secluded mountain abodes has no possessions other than his or her body. This practice is known as the ‘gathering of the accumulations of a kusāli-yogin’ [ku sā li’i tshogs gsags], a beggar-yogin. The term ‘kusāli’ refers to a beggar [sprang po], to those yogins and retreatants who have given up all concerns for this life. Since they have no other riches to use for gathering the accumulaiton of merit, they give their own bodies away as an offering. » Source : Drops of Nectar, Khenpo Kunpal’s Commentary on Shantideva’s Entering the Conduct of the Bodhisattvas.

Texte tibétain Wylie

bla ma rdo rje 'chang la phyag 'tshal lo //

srid pa dkor rje drang dkar zhes bya ba de / 'jig rten thams cad kyi byed pa po tshangs pa / gdul bar shin tu dka' bar 'dod pa yin / 'jig rten thams cad kyi byed pa po de / bcom pa dang / brlag pa dang / tshar gcad par ci tsam du 'bad kyang / rang nyid la de ltar byas par 'gyur ba yin /

de'i rgyu mtshan yang rang gi rig pa 'jig rten thams cad kyi byed pa po tshangs pa yin / de skye ba med cing rang bzhin gyi rnam par dag par rtogs pa'i dus su / tshangs pa chos kyi sku phan pa dang bde ba thams cad kyi byed pa po / shes rab kyi pha rol tu phyin pa yin / de'i mi mthun pa'i phyogs nga dang bdag tu 'dzin pa yin pas de spong dgos / de spang ba la [435] thabs mkhas pa'i bsam pa byang chub kyi sems dang / de'i rjes su 'brangs pa ku sā li'i tshogs gsog gis bdag 'dzin spong ba /

rang gzhan snod bcud thams cad spangs nas sangs rgyas su byed pa 'di / lan gsum mam / bdun nam / nyi shu rtsa gcig byas pa'i 'og tu lus bdud rtsir zhu bas / rang gzhan snod bcud nyes pa'i dri ma sbyangs nas / sangs rgyas su gyur pas kyang blo bde / rang yi dam gyi lha gcig tu bsgrubs pas sangs rgyas su gyur pas kyang blo bde /

sems nyid rang bzhin gyi rnam par dag pa smra bsam brjod 'das lhun gyis grub cing 'gyur ba med pas kyang blo bde / phyir lus pa ni khab tsam yang med / ma nyan pa ni spu tsam yang mi 'dug / rgyun chad med par ri bo'i khrod du rnam par dag pa'i de kho na nyid dang ma 'bral ba 'di las / dus gsum gyi sangs rgyas la yang gzhan mi mnga' na / nged rjes su [436] 'jug pa lta smos kyang ci dgos pas / 'di kho na nyams su blang / ang ang ang /
de yang dus gsum sangs rgyas kun gyi dngos //
'jig rten gsum mgon rin chen gyis //
gnyug ma byams chen ting 'dzin gyis //
srod la bdud kyi dkyil 'khor btul //
zhes pas mngon no //

rdzogs pa'i byang chub thob par gyur cig // //

dimanche 29 septembre 2013

Un couple résistant



Le bouddhisme est considéré comme une religion non théiste. Le rôle joué par les dieux y est limité, car les dieux sont eux-mêmes prisonniers ou simples agents du saṁsāra. La nouveauté du bouddhisme, comme tous les autres courants de renonçants, était le désintérêt et le retrait d’un système qui créait de la souffrance (renoncement). Quand cette idée perdit en popularité, notamment par la popularité de l’idéal de l’acte désintéressé dans le monde, prôné par la Bahagavad Gītā, le bouddhisme répliqua en avançant l’idéal d’un bodhisattva engagé dans le monde. Cependant, en dotant le bodhisattva des moyens offerts par le yoga (théiste) dans le Yogācāra, les tantras etc. les dieux faisaient leur retour dans les chevaux de Troie que furent les sciences de l’époque.

Même en utilisant ces nouveaux moyens comme des moyens provisoires (upāya), habiles, il n’est pas certain que cette « habileté » fut sans conséquences. Même en expliquant qu’une divinité n’est qu’un symbole, un archétype, il n’est pas garanti qu’elle soit uniquement considérée comme telle. Une divinité, même Lite, ne vient pas seul, elle vient avec une mythologie, une cosmogonie, une théogonie et une généalogie, qui posent le cadre et constituent le corps mystique auquel on est invité à participer.
« Après la mort de Bouddha, l'on montra encore pendant des siècles son ombre dans une caverne, - une ombre énorme et épouvantable. Dieu est mort : mais, à la façon dont sont faits les hommes, il y aura peut-être encore pendant des milliers d'années des cavernes où l'on montrera son ombre. - Et nous - il nous faut encore vaincre son ombre! » (Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir - Luttes nouvelles)
Il ne suffirait d’ailleurs pas de simplement enlever le divin, pour aboutir à une philosophie. Le mythe de la double origine a la vie dure et continue à vivre même au sein de la philosophie, sous la forme du couple esprit-matière. Esprit depuis Descartes, avant lui ce fut l’âme et la matière. « L’âme commande et le corps obéit », dit l’Athénien dans le Phédon.

Même dans le discours des écoles dites non-dualistes (bouddhistes ou autres), l’âme et le corps (soma et psyché) sont peut-être transcendés, mais leur ombres sont toujours présents. Si la réalité ultime est la sphère qui contient le corps et l’âme, quelque soit leur nature, elle contient toujours et un corps et une âme. Dans les discours qui racontent la création/formation des mondes à partir d’une union de l’esprit et de la matière, quelques soient les noms et les symboles qu’on leur attribue, on retrouve au cours de la procession à partir de la sphère, et à chaque stade, un élément qui représente la matière et un principe qui représente l’esprit. Dhātu et tattva, dharma et dharmatā … Que cette matière soit pure et dure ou pure pensée semble alors être un détail, le couple est toujours là, et l’un commande l’autre. Un Esprit commande une Nature, un chef (éclairé) commande un peuple, et un masculin commande un féminin ou s'en sert comme un outil

Même en se débarrassant du divin – mais peut-on le vraiment sans se débarrasser du couple esprit-matière ? – rien ne semble vraiment changer.

Ce que l’on veut accomplir par la religion, la spiritualité, ce qui est à re-définir, est-il possible sans s’appuyer sur ces schémas qui sont sans doute obsolètes ? Sauf si on veut simplement ajouter une touche de poésie dans la vie…

Un article (en anglais) sur quelques vues conservatrices sur l'infériorité de la femme.

***
Illustration : "Word Hammer"

samedi 28 septembre 2013

La pensée créatrice enfermée dans une pratique



Longchenpa (1308-1364) fut un auteur prolifique à qui de nombreux textes furent attribués. Les plus célèbres sont les Sept collections. Mais il existe une autre collection d’“œuvres diverses” (T. gsungs thor bu). Elle contient, comme le raconte Stéphane Arguillère, « le bsTan-bcos kyi dkar-chag rin-po-che’i mdzod, table que Klong-chen rab-’byams est censé avoir établie lu-même de ses œuvres. Cette table est pratiquement identique à celle qui se trouve dans la biographie[1] de Chos grags bzang po[2], dont j'ai montré (dans la Vaste sphère de profusion) quelles difficultés elle présente[3]. » Longchenpa fut un auteur important et ces écrits faisaient et font toujours autorité dans l’école nyingmapa.

Dans le deuxième volume de cette collection, on trouve un Guide pour la pratique du Discours du Roi pancréateur (byang chub kyi sems kun byed rgyal po'i don khrid rin chen gru bo zhes bya ba). Stéphane Arguillère donne la table analytique de ce texte sur son blog. Ce texte contient notamment une invocation de la lignée suivie d’un Guru yoga avant d’aborder les instructions proprement dites. A vérifier s’il ne s’agit pas d’éléments anachroniques. Idem pour la structuration du Roi pancréateur en tant que pratique. A titre d'exemple, l'invocation de la lignée mentionne les deux détenteurs après Longchenpa, à savoir 'Jam-dbyangs kun dga’ rgyal mtshan et Râ dza (mtshungs med chos rje rin po che). Le véritable auteur pourrait d'ailleurs être un disciple de ce dernier.

Longchenpa, en tant qu'auteur auquel ce texte est attribué, l’aurait composé à la demande de son disciple blo bzang, sans autre précision. Il est possible que ce disciple « Lozang » ait joué un rôle important dans la préservation (dans le meilleur cas) de cette œuvre attribuée à Longchenpa. Je traduirai ci-dessous le titre, l’hommage, la motivation pour écrire ce texte, ainsi que la dernière partie du texte qui explique la transformation progressive de notre expérience. Celle-ci est encore suivie d’un passage qui accentue le caractère confidentiel de ce texte et le courroux de la ḍākinī auquel on s’expose quand on ne respecte pas cette condition. C’est le même message que celui que l’on trouve à la fin du Trésor du processus fondamental (T. gnas lugs mdzod), dans le chapitre 5. Il comporte d’ailleurs un passage versifié avec quelques citations littérales du chapitre 5. Il n’est pas impossible que le chapitre 5 ait été ajouté plus tard au Trésor du processus fondamental. Le Discours du roi pancréateur fut déjà au départ une compilation de divers textes, mais même cette version compilée a subi des changements.
« Le Discours du roi pancréateur est un texte qui a beaucoup évolué. Il existe une version qui compte 57 chapitres principaux (rtsa ba’i rgyud)[6]. Cette version comporte des textes anciens dont la traduction est attribuée à Vairocana. A cette version ont été ajoutées 27 chapitres supplémentaires (58-84) appelés « tantras ultérieurs » (phyi ma’i rgyud[7]) pour faire une version augmentée qui compte 84 chapitres. La deuxième version semble commencer par le chapitre 58, qui a une véritable introduction (gleng gzhi le'u) à elle. Selon Namkhai Norbu, ces chapitres ajoutés constitueraient le sens quintessentiel de l’intégralité de ce tantra. Il n’est pas impossible que ce soit justement la raison d’être de ces chapitres ajoutés « ultérieurement » (phyi ma). »[4]
Ci-dessous les extraits du Guide :

(249)Le nef précieux, guide du sens de la Pensée éveillée en tant que Roi pancréateur[5]

(250) Éternellement dépassionné et inconditionné comme l'espace
Indifférenciation inconditionnée de l'Élément (S. dhātu) et de l'intuition (S. jñānā)
Libre des contraires d'être et de non-être, de toute restriction, transmigration et transformation
Au Seigneur primordial (adinātha) je rends hommage.

Le chemin de l'évidence de la conscience-en-soi (S. cittatva), qui est le Coeur de toute chose,
Ne se parcourt pas, ne s'apprend pas, il est l'Éveillé présent à l'instant
Le pancréateur spontané et parfait est le principe de la cime des véhicules
Je l'ai composé en une instruction que j'expliquerai pour le bien des générations futures.

[…]

[Fin du texte]

Les huit véhicules déterministes cherchent un éveil qui est autre que la pensée de l'instant. C'est comme vouloir purifier et transformer le ciel tel qu'il est à l’instant même, afin d'obtenir, plus tard, un ciel différent qui serait parfaitement pur.

En disant que la [pensée] de l'instant est l'Éveillé en essence, et en le laissant (bsgoms) se manifester de lui-même, les représentations accidentelles se clarifieront d'elles-même dans l'état foncier de la conscience-en-soi, tout comme de l'eau boueuse qu’on laisse devenir limpide. C'est de cette façon, que l'Atiyoga, l'illumination spontanée du triple corps, est le véhicule de la nature qui se déploie spontanément.

Pour le troisième point, qui traite de la façon de préserver l'expérience subséquente (T. rjes snang nyams), je puiserai ici dans ma propre expérience qui est conforme à la transmission du bon guide.

La Vue est l'absence de toute saisie unilatérale. La méditation est l'émergence et l'évanouissement des reflets naturels. L'observance est l'état de décloisonnement naturel. Le fruit est l'absence de tout espoir et crainte. Si, en se familiarisant avec le sens de [ces quatre aspects], il arrive que l'on s'égare de la Vue, que l'on confond le bien et le mal par un nihilisme exacerbé et que l'on ne s'engage pas par altruisme (snying rje med pas na), on finira dans l’impasse (bdud kyi lta ba la gol bas) de la verbosité stérile. Dans ce cas, on peut essayer d'adresser des prières au maître, de développer la vision symbolique et la dévotion ainsi que l'amour et la compassion, et de réfléchir à la loi de cause à effet et à l'impermanence.

Si en revanche, on réifie la réalité sous forme de signes, la Vue ne restera qu'une compréhension intellectuelle. Si l'on attribue une réalité objective à toutes les choses extérieures et intérieures qui émergent, on finira dans l’impasse où les signes sont saisies comme des essences. Dans ce cas, on peut essayer de développer un état de décloisonnement où toutes les choses sont dépourvues de réalité. Tout ce qui se présente est alors traité sans l'appréhender, comme un rêve, comme une illusion. Quand on n'attribue plus de réalité à ce qui se présente, on fixe directement (bsgom) son essence (T. de ka'i ngang) sans s’en disperser, et en toute lucidité.

Si l'on se sent engourdi ou que l'on somnole, traiter les représentations comme des objets, s’installer dans une pièce froide, sur un siège élevé, et développer la force [de la Vue, voir ci-dessous] (rtsal sbyong)

Quand en faisant ainsi, on finit dans une impasse contemplative et qu'il y a toutes sortes de représentations, on peut entraîner le mental en l'absence de saisie. En cas de surproduction de représentations, il ne faut point fixer le niveau foncier (ngang), mais simplement reconnaître les productions [comme telles]. Quand par la suite, il n'y a plus de productions, on fixe l'état continu de l'égalité indifférenciée sans dispersion, et on étend la contemplation en reconnaissant la conscience dans les apparences externes. Quand elle surgit comme une présence non différenciée, on en préserve la continuité.

Dans l'intermittence de l'expérience (rig pa) de plénitude, de présence et d'indifférenciation[6], au moment où elle cesse, on analyse l'essence de chaque [production] en renforçant la Vue.

En conséquence, les apparences émergeront sans être appréhendées. Quand elles s'effacent et se défont, sans conduire une pratique soutenue avec un agent et un objet de méditation, on s'entraînera à rester dans leur essence propre vide - dans la plénitude, la présence et l'indifférenciation - tout en prolongeant leur courant dans le même état d'esprit.

A ce propos, il est important au commencement de développer de la stabilité quelque soit l'objectif contemplatif.

Toutes les choses extérieures et intérieures auront alors la même saveur. Elles se produiront à partir de la conscience stabilisée, tout comme la stabilisation viendra de la production. Les émergences sans différencier entre stabilité et production, auront un degré contemplatif mineur, intermédiaire et majeur.

Par la suite, les perceptions de l'instant surgiront comme une expérience libre d'attribution de réalité. A ce moment, nos perceptions peuvent devenir plus éphémères, nos propos plus imprévisibles (nges med), et nos rêves uniquement positifs. Ensuite, il peut arriver que nos perceptions deviennent arbitraires, nos propos incohérents, nos rêves plus lucides, tandis que notre vie diurne nous paraît comme un rêve.

Après cela, nos perceptions seront plus vives, nos propos plus imprévisibles, nos rêves s'évanouiront en Lumière rayonnante et en l'état de veille, le Discernement surgit uniquement involontairement.

Quand le courant des rêves est coupé, la méprise des rémanences s'éliminera d'elle-même. La conscience-en-soi aura la même saveur de la nature de l'inengendré qui est semblable à l'espace, et s'éveillera à la Base non obnubilée de l'intuition créatrice.

En restant dans l'état foncier de la conscience-en-soi sans complication, la dimension ultime du corps spirituel se déploiera spontanément et surgira en tant que le déploiement spontané de l'intuition qui procède d'elle-même à travers le corps de délectation et le corps fonctionnel.

Une méprise au sujet de l'observance (caryā) consiste à réifier les caractéristiques dualistes de la conscience ordinaire. Face à tout ce qui se présente, sans perdre la dimension de la Vue et de la contemplation, l'action (caryā) est une action débridée qui se déploie spontanément, avec les cinq sens et le sens interne libres et naturels. C'est une action qui n'est pas en contradiction avec l'essentiel (tattva).

Une méprise au sujet du fruit consiste à concevoir les espoirs et les craintes de façon différenciée. En adhérant au principe que l'intuition qui procède d'elle-même est l'Éveillé, les sceptiques se libèrent de l'espoir de l'obtenir ultérieurement.

3. [L'apposition du sceau du secret] Ce sont des [instructions] confidentielles et scellées. Elles doivent être gardées à l'abri de personnes non qualifiées et données à des groupes de personnes qualifiées d'au maximum cinq personnes. Sinon, la ḍākinī interviendra pour les garder confidentielles...

Si on ne respecte pas leur confidentialité, les deux parties réfractaires pourront rencontrer des obstacles et les mésinterprétations causeront le déclin du véhicule du Coeur.

« En exposant cet enseignement à tous
Bien que la dimension du Coeur soit à l'abri de l'assentiment et du dissentiment
Les non-humains et les démons causeront des obstacles
Et les ḍākinī dotées de siddhi causeront aux deux parties
Mort prématurée et destruction
Et le véhicule du Coeur déclinera à force d'être mésinterprétée
C'est pour cela qu'il convient d'éviter les personnes de basse caste. »[7]

C'est pourquoi, [cette instruction] doit être tenue à l'écart des disciples non-qualifiés et qu'en l'exposant aux personnes fortunées, celles-ci trouveront l'accomplissement suprême.

---

Ainsi, ces explications de la dimension du Cœur
Grâce à la demande excellent de Lozang (blo gros bzang po ? blo bzang pa ? ), j'ai composé ceci à Khangs ri Thod dkar
Puisse par cette vertu, tous les êtres devenir la pensée créatrice.

Ceux dont l'esprit est ouvert et parfaitement apaisés comme l'espace
Mais qui n'y ont pas accès et le comprennent de travers
Ou ceux qui ont un esprit borné et qui voient ce [texte]
Auront du mal à le saisir avec la compassion d'un esprit supérieur.

Ils sont toujours perdus dans l'océan des mondes tissé par les rémanences (S. vāsanā)
Pris dans les filets des voiles produits par la non-reconnaissance
Même en analysant ce joyau spirituel avec les meilleurs procédés[8]
Ils ne pourront pas voir l'essentiel du Coeur à cette occasion.

Hélas, c'est la conscience-en-soi le plus précieux joyau.
C'est ici que l'on trouve ce qu'il avait été oublié pendant de nombreux éons.
Mais celui qui le détient est perturbé par les vents de la complication.
Et n'arrive pas à se libérer de l'impasse de l'existence affligée.

Où que tu sois, et même en désirant l'éveil
Tu n'arrives pas à voir l'essentiel dans la pensée isolée (vivikta)
Tu te trompes en espérant trouver plus tard le fruit de tes efforts actuels.
Penses-tu vraiment le trouver en dehors de l'absorption [naturelle] ?

Qu'elle est étonnante cette dispersion dans des mondes sans utilité pour soi et autrui !
S'y étant plongé pendant de nombreux éons, tu n'as pas réussi à te sauver
Qui d'autre pourra te protéger de tout cela ?
Réfléchissant de la sorte, une tristesse insupportable m'envahit

Cette instruction profonde spirituelle est un précieux nef pour ce qui est si difficile à atteindre
Le Coeur du visible, la conscience-en-soi, en s'appuyant sur elle
Sans t'en disperser, donne du sens à ton existence !
Et tu trouveras la plénitude (nam phug gtan gyi bde ba).

[…]

***
Blo (gros) bzang (po). Il y a un slob dpon blo gros bzang po qui figure parmi les quatre disciples de Longchenpa qui ont diffusé son enseignement. 

[1] Kun mkhyen klong chen rab 'byams kyi rnam thar

[2] Il aurait rencontré Longchenpa quand lui-même avait 25 ans. Il eut également pour maître Lozangpa (blo bzang pa). Profusion de la vaste sphère, p. 15. Selon ce livre, il aurait vécu entre 1300 et 1375.

[3] « Ajoutons que les erreurs bibliographiques grossières qui se constatent dans la table des œuvres (similaire à L'inventaire du trésor de joyaux (dKar-chag rin-po-che’i mdzod-khang) faussement attribué à Klong-chen rab-’byams lui-même) sur laquelle s’achève cette biographie, si elles sont surprenantes de la part d’un disciple proche de ce dernier, pourraient paradoxalement être l’indice d’une date de composition assez haute. En effet, leur présence est plus compréhensible chez un auteur ne disposant pas d’informations de première main, donc à une époque où aucune édition xylographique des œuvres de Klong-chen rab-’byams n’avait encore été réalisée.

On peut se demander si l’Inventaire du trésor de joyaux (dKar-chag rin-po-che'i mdzod-khang), loin d’être la source de la table des œuvres qui se trouve dans la biographie dont Chos-grags bzang-po est l’auteur, n’en aurait pas plutôt été extrait, avant d’être faussement imputé à Klong-chen rab-’byams. C’est ce que nous sommes porté à croire: une composition assez ancienne pour expliquer, comme nous venons de le dire, l’ignorance de l’œuvre de Klong-chen rab-’byams (certainement restée encore à l’état de manuscrits, dispersés ou rendus inaccessibles par des circonstances qui nous sont inconnues, notamment le long exil de Klong-chen rab-’byams au Bhoutan) et pour causer une confusion avec les œuvres de cet auteur (attribution à Klong-chen rab-’byams de cet inventaire de ses œuvres, qui ne peut pas raisonnablement être de sa  main). » Profusion de la vaste sphère, p. 17

[4] Dans le Sillage d’Advayavajra, Unité d'action, de temps et de lieu 

[5] La pensée créatrice

[6] L'équivalent bouddhiste du satcitananda

[7] Cela rejoint le chapitre, peut-être tardif, du NLD. Ce passage en contient d'ailleurs quelques citations littérales (en lettres cursives).

[8] Litt. mig thur cuillère ophtalmique pour enlever une cataracte.

Ce texte a fait l'objet d'une traduction anglaise de la main de Kennard Lipman et Merrill Peterson sous l'inspiration de Namkhai Norbu. Publié sous le titre You are the eyes of the world.

Texte tibétain en Wylie :



(249)byang chub kyi sems kun byed rgyal po'i don khrid rin chen gru bo zhes bya ba bzhugs/

(250)gdod nas rab zhi mkha' ltar 'dus ma byas//
dbyings dang ye shes gnyis med 'dus ma byas//
yod med phyogs bral rgya chad 'pho 'gyur med//
thog ma'i mgon po kun byed khyed la 'dud//
chos kun snying po sems nyid mngon sum lam//
ma bgrod ma sbyangs da ltar mngon sangs rgyas//
lhun rdzogs kun byed theg pa'i yang rtse'i don//
khrid du bsdebs te phyi rabs don phyir bshad//

[...]



gsum pa rjes snang nyams skyong thabs ni/ bla ma dam pa'i man ngag las byung ba bzhin rang gis nyams su myong ba rnams 'dir brjod de/ de yang lta ba phyogs bral 'dzin med/ sgom pa rang gsal shar grol/ spyod pa shugs 'byung zang thal/ 'bras bu re dogs gnyis med rnams kyi don la goms shing 'dris par byed pa la/ lta ba'i gol sa stong pa phyang chad pas dge sdig 'chol bar spyad cing snying rje med pas na/ nag po kha 'byams bdud kyi lta ba la gol bas/ bla ma la gsol ba btab pa dang*/ dag snang mos gus bya/ byams dang snying rje bsgom/ las dang mi rtag pa la blo sbyang ngo//

dngos po mtshan mar zhen nas lta ba go yul tsam las phyi nang gi chos la bden bden ngos bzung can du shar na/ bdag 'dzin mtshan ma'i lta ba la gol bas chos thams cad bden med zang thal la blo sbyang*/ gang snang rmi lam la 'dzin med sgyu mar (271)bslab/ de nas snang la ngos 'dzin med pa shar dus/ de ka'i ngang la ma yengs par gsal sang nge bsgom mo//

bying zhing 'thib na rnam rtog yul la spro/ bsil khang mtho sar bsten/ rtsal sbyang zhing 'bad do//

sgom pa'i gol sa/ rnam rtog sna tshogs 'phro na/ 'dzin med du blo sbyang ste/ de bas kyang rtog pa mang bar 'phro na/ sems cung zad kyang nang du mi bzhag par spro ba ngos bzung*/ de nas yang mi 'phro tshe na rtog med mnyam pa'i ngang la ma yengs par sems phyi rol snang pa'i steng du bzung la bsgom la/ gsal la rtog med du shar ba na/ de nyid rgyun bsring la bsgom mo//

bde gsal mi rtog pa'i rig pa la tshags na/ de bshig la rang rang gi ngo bo la brtags shing lta ba'i rtsal sbyang bya'o//

de nas snang ba 'dzin med du 'char bar 'dug go_/bun ni shig ge bsgom bya sgom byed btsal sgrub med pa na/ blo de nyid kyi steng du rgyun bsring la gsal stong mi rtog pa la rang ngo stong pa'i ngang la sbyang ngo*//

de la yang dang po dmigs pa gang yang rung ba gcig la blo brtan pa thob par byed pa gal che'o//

phyi nang gi chos thams cad ro mnyam gcig tu/ sems gnas thog nas 'phro/ 'phro thog na gnas/ gnas 'phro gnyis med du shar ba ni goms pa chung 'bring che gsum mo//

de nas da ltar gyi snang ba bden zhen med pa'i nyams 'char ro//

'di'i dus su snang ba la yang yud/ gtam yang nges med/ rmi lam yang dge ba 'ba' zhig go_/de nas snang ba 'al 'ol/ gtam yang 'brel med/ rmi lam yang zin la nyin dus ci byed rmi'o//

de nas snang ba yang sang nge*/ gtam yang nges med/ rmi lam yang 'od gsal du grol te/ de'i tshe rig pa gtad med 'ba' zhig tu 'char ro//

de ltar rmi lam rgyun chad nas bag chags kyi 'khrul ba zhig cing sangs te/ sems nyid nam mkha' lta bu'i rang bzhin skye ba med pa dang ro mnyam gcig tu gyur pas gdod ma'i kun byed ye shes sgrib (272)pa mi mnga' ba'i gzhi la byang chub pa zhes bya'o//

de yang sems nyid spros pa dang bral ba'i ngang du bsgoms pas chos sku mthar thug gi don lhun gyis grub nas/ longs sku dang sprul sku de'i ngang las lhun grub tu 'char ba ni/ rang byung ye shes kyi che ba'o//

spyod pa'i gol sa tha mal rang kha gnyis 'dzin mtshan ma la zhen pa ste/ gang byung yar lta bsgom gyi don la cung zad kyang ma yengs par spyod pa shugs 'byung zang thal gyi spyod pa tshogs drug lhug pa'i rang bzhin can 'byung ngo*//

de nyid kyi don la ma 'gal bar spyad do//

'bras bu'i gol sa/ re dogs gnyis su 'dzin pa'i rtog pa 'byung ste/ rang byung gi ye shes 'di nyid sangs rgyas yin par don la yid ches pas/ the tshom can dus phyis thob par re ba'i gol sa las grol lo//

don gsum pa gsang shing rgyas gdab pa ni/ snod min la gsang zhing snod ldan la yang lnga las mang na mkha' 'gro'i bka' chad 'byung bas rab tu gsang ngo*//

ma gsang na gnyis ka la bar chod dang sgro skur 'byung zhing snying po'i theg pa nub par 'gyur te/ bstan pa gang la bzhag pa las/ snying po'i don la blang dor mi gnas kyang*//

mi ma yin dang 'byung pos bar gcod cing*/
mkha' 'gro grub pa can gyis gnyis ka la//
dus min 'chi dang 'jigs pa'i dbang gyur nas//
sgro skur dbang gis snying po'i theg pa snub//
de bas rigs ngan gang zag la gsang bya//
zhes gsungs so// de ltar snod min la gsang zhing*/ skal ldan la bstan pas mchog gi dngos grub 'grub bo//
de ltar kun byed snying po'i don khrid 'di//
blo bzang slong ma dam pas bskul ba'i dor// 
gangs ri thod dkar mgul du legs par bkod//
dge bas 'gro kun kun byed nyid gyur cig_/

gang blo mkha' ltar yangs shing rab zhi yang*//
de yis cung zad ma rtogs log par rtog_/
nyan blo mun pa'i rang bzhin 'di mthong nas//
'phags blo'i thugs rjes zin pa'i go skabs dka'//

deng sang bag chags (273)srid pa'i mtshor 'khyams te//
gti mug rang bzhin sgrib pa'i drwa bas g.yogs//
chos tshul rin chen mig thur dbye byas kyang*//
de dus snying po'i de nyid mthong dus med//

kye ma sems nyid rin chen nor bu mchog_/
skal mang gzhan du stor ba 'dir rnyed kyang*//
len par byed pa spros pa'i rlung gis dkrug_/
nye du 'khor ba'i 'phrang las thar dus med//

gang rnams gnas na byang chub de 'dod kyang*//
dben pa'i sems la de nyid mthong dus med//
'dir 'bad phyi dus re ba bsam pa bslus/ ting 'dzin las rung tsam zhig 'dir yod dam//
bdag gzhan don med 'jig rten g.yeng ba mtshar//

bskal pa mang zhig lhung bas thar dus med//
de bas skyob par byed pa su zhig yod//
'di ltar bsam pas mi bzod skyo ba 'phel//
zab mo'i chos tshul brgal dka' rin chen gru//

mngon sum snying po sems nyid 'dir brten nas//
ma yengs srid pa'i don dang ldan par mdzod//
nam phug gtan gyi bde ba rnyed par 'gyur//

vendredi 27 septembre 2013

Sadhana, l'entretien du corps mystique



Une sādhana est l’instrument qui permet de réaliser l’objectif spirituel que l’on s’est posé. Quand cet objectif est la réintégration d’un être divin, réel ou symbolique, la sādhana réactualise le cadre mythologique de l’être divin en question. A cet effet, elle suit une structure pré-établie, conformément à la classe de tantra à laquelle elle appartient, et se sert d’éléments rituels comme support. Les sādhana bouddhistes tibétaines commencent généralement par un rappel de la lignée de transmission, qui sert à montrer que la sādhana que l’on est sur le point de mettre en œuvre est authentique et qu’elle provient en dernier ressort d’un être éveillé accompli ou surnaturel. Mais aussi et surtout à faire revivre ses personnages et le cadre mythologique dans lequel il s’inscrivent. Il faut remplir l’imaginaire avec les éléments mythologiques afin de le garder le mythe vivant et efficient, consciemment et inconsciemment.

Après cette invocation, on renouvelle sa foi en l’institution qui préserve et diffuse l’objectif spirituel, et l’on s’engage à en faire de même, autrement dit à devenir un membre actif de la communauté. Cette communauté a pour objectif de garder vivant le « corps mystique », le « Verbe » de la divinité, et il faut donc apprendre à édifier ce corps mystique sous la forme de la divinité. Cela se fera à l’aide de récitations et de visualisations. Toutes les parties du corps de la divinité et de son entourage, tous les accessoires symbolisent (T. dag pa) des aspects de l’objectif spirituel, qui seront ré-actualisés pendant les différentes phases de la sādhana.

Le rituel prend la forme d’un sacrifice. Une fois que le corps mystique a été édifié, on va se donner corps et âme, avec tout ce que l’on a et tout ce l’on es[1], à lui. De façon à ce que l’on fasse corps avec lui. Tous les membres de la communauté ne forment plus qu’un seul corps, celui de la divinité. L’objectif de la divinité, sera le leur.

Tout ce que l’on dit sera la parole (mantra) de la divinité, et vice-versa… Tout ce que l’on pense sera la pensée de la divinité, et vice-versa… De cette façon, on obtient la grâce de la divinité et l’on sera indifférencié d’elle.

Au sortir de cette ré-identification mystique, on retourne à ses devoirs de membre de la communauté. La dédicace et les prières de souhaits nous rappellent quelques-uns de nos devoirs.

***

[1] « Qui meurt pour le peuple a vécu ». L'Hymne à la Nature

La religion qui relie et re-lit



Les nations[1] et les religions ont souvent des liens très étroits. Les deux utilisent un discours qui parle de l’origine de leur communauté ou groupe. La véritable « origine » étant inconnue, car trop éloignée, créant trop de désaccords ou étant trop complexe, elles font appel à un discours sur l’origine qui est plus simple, une origine symbolique située dans une époque et à partir d’un événement qui font sens. Pour que ce discours sur l’origine, qui fait fonction de pacte, ne soit pas oublié, il peut être mis en scène dans des cérémonies ou des rituels ou rappelé au cours de ceux-ci.

Les chefs d’une communauté justifient leur position par un lien spécial avec le divin ou la réalité supérieure, qui est éventuellement « prouvé » généalogiquement par leur affiliation à une longue lignée de personnages illustres qui descendraient de grands héros, qui descendraient à leur tour d’un parent divin ou qui auraient d’autres liens directs avec des êtres surnaturels et immortels. Les Poètes ou les prêtres racontent alors de quelle façon le pouvoir séculier et le pouvoir religieux sont liés et partagent des origines communes. Le rôle joué par ces grands héros mi-humains mi-divins peut alors être rappelé pendant les cérémonies qui commémorent l’origine symbolique de la communauté selon un calendrier établi par les Poètes/prêtres, et ainsi justifier et consolider le pouvoir du chef de la communauté.

L’ordre qui est ainsi créé, et qui respecte le calendrier établi, est en harmonie avec l’univers. De sorte que contester le pouvoir séculier ou religieux serait considéré comme une mise en cause de l’ordre d’où ils procèdent. Les membres de la communauté pourraient se sentir profondément menacés en leur être, par toute contestation, et pourraient réagir avec violence contre tout « agresseur », interne ou externe.

Ceux qui vivent en harmonie avec l’ordre de la communauté, c’est-à-dire qui partagent le même discours sur l’origine, seront considérés comme des membres de cette communauté. Autrement dit, les membres de la communauté partagent une même identité.

Il en va de même pour toute communauté « nationale » ou religieuse. Quand différentes communautés vivent ensemble, cette identité fait qu’il y un sens de « nous » et « eux ». La nationalité ou la religion relie bien les membres de la même communauté, mais exclue tous les autres. On ne peut donc pas dire qu’une religion a pour fonction de relier, globalement, parce qu’elle inclue autant qu’elle exclue. Les religions n’ont donc pas pour fonction de relier les humains. En revanche, elles soudent leurs propres communautés en excluant.

A partir de l’époque hellénistique, une globalisation avant la lettre, certaines religions commençaient à avoir une vocation universaliste, une tendance qui s’est répandue. D’autres religions étaient aussi prosélytes, c’est-à-dire qu’elles cherchaient à trouver de nouveaux membres. Cela avait pour conséquence que les discours sur l’origine devaient être adaptés, voire remplacés par des discours plus universels et universalistes. Mais comme les religions étaient souvent des révélations d'événements ayant eu lieu dans le passé et dont la mémoire se transmettait avec orthodoxie et orthopraxie, les discours anciens n’ont pas disparus, mais étaient interprétés différemment, davantage en accord avec les nouvelles tendances.

Les religions véhiculent ainsi quelquefois diverses filières intégrées dans un discours qui les ménage toutes, pour garder la paix au sein de la communauté. Au risque que des discours plus « religieux », c’est-à-dire plus spécifiques à une communauté singulière, peuvent être re-interprétés selon un sens plus ancien, que des discours anciens et symboliques soient pris au premier degré, et que l’on « renoue » avec les rituels/sacrifices tels qu’ils furent pratiqués pendant l’âge d’or de la révélation, conformément à la tradition. C’est la tendance « néo- » (intégriste) qui a encore de beaux jours devant elle, car l’adepte qui respecte le mieux les croyances et pratiques des temps anciens (souvent imaginaires) est le plus fidèle.

Une véritable religion universaliste « qui relie » devrait donc dépasser toute identité communautaire, qui exclue davantage qu’elle ne relie. Elle devrait alors laisser de côté (ou ne pas mettre en exergue) tous les éléments utilisés pour construire cette identité en l’opposant aux autres. Notamment les éléments qui lui viennent du discours sur l’origine de la communauté en question ou qui servent à en préserver la mémoire. Puisque la science a pris la relève en matière du discours sur l’origine de l’espèce humaine et des autres espèces, et va dans le sens d’une origine commune de toutes les espèces, pourquoi ne pas lui laisser la main ?

Cela veut dire que c’est la forme mystique des religions, qui dépasse les caractéristiques singulières de celle-ci, qui est la plus apte à représenter une religion réellement capable de « relier ». A condition que ce soit une mystique ouverte sur le monde, qui inclue et et qui est altruiste. Mais peut-on alors encore parler de religion ?

***

Illustration : "le sacre de Napoléon 1er : il pose lui même la couronne sur sa tête, il refuse la tutelle du pouvoir spirituel". Mais il se sert de la mythologie de ce pouvoir et se veut l'héritier de Charlemagne. 

[1] Groupe d'hommes dont les membres sont unis par une origine réelle ou supposée commune et qui sont organisés primitivement sur un territoire. Atilf

jeudi 26 septembre 2013

Le premier terma français



Sādhanā de la Raison et de l'Être suprême


Hommage à la Liberté éclairée et éclairante 

Invocation de la lignée

Montesquieu, qui posiez les fondements, accordez-nous votre attention
Voltaire, qui combattiez l’Infâme, accordez-nous votre attention
Rousseau, Inventeur du contrat social, accordez-nous votre attention
Diderot, Père de l’Encyclopédie, accordez-nous votre attention
Beaumarchais, Prince des chantres, accordez-nous votre attention
Condorcet, grand Ingénieur des lois, accordez-nous votre attention
Jules Ferry, à la barbe fendue, qui avez traversé les océans pour y porter la laïcité, accordez-nous votre attention
Vous tous qui avez posé les pavés de la route des libertés, tournez votre regard vers tous les peuples de la terre, et guidez nos pas.

- Préalablement, dans le temple républicain, on dispose sur l’autel les produits de terroir de toutes les régions de France -

Refuge et développement de la motivation de porter les Lumières

Je prends refuge en le maṇḍala de la Mère de la République, en la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la Déclaration universelle des droits de l'homme, ainsi qu’en les grandes lumières de la patrie.

Je ferai triompher la raison sur la foi et la croyance en apportant la lumière à tous. Et je jure d'anéantir les oppresseurs, de faire sortir tous les hommes de la nuit profonde et de les établir en la liberté éclairée et éclairante.

Génération de la divinité

Ohé ! De la vacuité de la libre conscience apparaît le sigle RF
Qui se transforme en un bonnet phrygien rouge, marqué d’une cocarde tricolore
De celle-ci émanent des rayons de lumière bleus, blancs, rouges
Qui partent vers les Champs Élysées où reposent sages, héros et grands hommes,
Qui avaient consacré leurs vies à la Chose publique
Les lumières leur présentent des produits du terroir, en échange de leur scrutin
Et viennent se fondre dans la cocarde tricolore, qui vibre, brille, grossit
Et se transforme en la glorieuse Marianne-à-la-blanche-poitrine
Elle porte le bonnet phrygien rouge, symbole de liberté,
Au sommet duquel se tient le coq gaulois, les ailes dépliés, et rugissant comme un lion,
De sa main droite elle lève l’étendard sanglant dans le ciel
Dans sa main gauche elle tient la tête fraîchement guillotinée du Méchant Monarch
Son pied droite prend appui sur le corps du roi, tandis que le gauche écrase un curé
Elle est entourée par toutes les institutions républicaines, les chantres des médias, les académiciens en grande tenue etc., et précédée de la garde républicaine, de chars Leclerc, de Rafales et de drones.

Consécration de la divinité visualisée

De la cocarde tricolore épinglée sur son bonnet émanent des lumières bleues, blanches et rouges qui vont aller vers la Bastille céleste, présenter des offrandes aux âmes bienheureux des immortels de la République éternelle et recueillir leur scrutin. En retournant elles se fondent en Marianne, qui désormais incarne tous les aspects de la République éternelle.

Offrandes

Des jeunes filles représentant toutes les régions de France, en habits traditionnels, viennent porter les produits emblématiques de terroir et les présentent à Marianne qui les accepte avec bienveillance.

Ô Mère de la République, veuillez accepter ce qu'il y a de mieux en France : les 300 fromages, les vins de Bordeaux, de Bourgogne, les Côtes-du-Rhône et autres grands crus, les saucissons de Strasbourg, le Jésus de Lyon, le jambon de Bayonne et les meilleures spécialités en salaison et charcuterie sèche, les plus excellents onguents et produits cosmétiques, la maroquinerie haut de gamme, les plus belles créations de la haute couture, des remèdes efficaces contre toutes les maladies préparés par des laboratoires de renom     

Louanges

"Tout émane de toi, grande et première cause
Tout s'épure aux rayons de ta divinité
Sur ton culte immortel, la morale repose
Et sur les moeurs, la liberté.

Pour venger leur outrage et la gloire offensée
L'auguste liberté, ce fléau des pervers
Sortit au même instant de la vaste pensée
Avec le plan de l'univers.

Dieu puissant ! elle seule a vengé ton injure
De ton culte elle-même instruisant les mortels
Leva le voile épais qui couvrait la nature
Et vint absoudre tes autels.

O toi ! qui du néant ainsi qu'un étincelle
Fis jaillir dans les airs
L'astre éclatant du jour
Fais plus... verse en nos cœurs ta sagesse
Embrasse nous de ton amour.

De la haine des Rois, anime la Patrie
Chasse les vains désirs, l'injuste orgueil des rangs
Le luxe corrupteur la basse flatterie
Plus fatale que les tyrans.

Dissipe nos erreurs, rends nous bons, rends nous justes
Règne, règne au delà de toute illimité
Enchante la nature à tes décrets augustes
Laisse à l'homme sa liberté."

- Réciter à trois reprises cette prière composée par Desorgues-

Visualisation et récitation du mantra


Sur le lotus dans cœur de Marianne se tient la cocarde tricolore, rayonnant des lumières tricolores, et entourée du mantra Liberté, Égalité, Fraternité. En récitant le mantra, celui-ci tourne autour de la cocarde, dont le rayonnement devient plus intense. Les lumières fusent partout dans le monde, anéantissent les oppresseurs, chassent les ténèbres, et établissent les peuples dans la liberté, l’égalité et la fraternité. Les lumières reviennent et se fondent en Marianne. Le corps de celle-ci se réduit, jusqu’à disparaître dans la cocarde, qui vient se fondre en notre cœur. A cet instant, il n’y a plus rien à visualiser. Expérimentez cet état d’esprit qui au-delà de toute fabrication et libre d’artifices. Restez dans cet état de vacuité, sans pensée, aussi longtemps que vous le pouvez.

Au sortir de la méditation, vous réapparaissez pleinement citoyen, indifférencié de Marianne, et pouvez vaquer à vos occupations éclairées et éclairantes.

Dédicace et renforcement des engagements pris

Par la dédicace des mérites à la République éternelle, vous renouvellez l’engagement que vous aviez pris au début de la sādhanā. La sādhanā se termine en récitant les termes de votre engagement de libérer tous les êtres avec foi et compassion.

Terma trouvé dans l'imagination trop fertile d'un Cerveau Malade de l'Autre pays des fromages.

īḥthī samaya rgya rgya rgya

mercredi 25 septembre 2013

Sur un éléphant qui trompe énormément



Bhairava est la Réalité ultime, « la Conscience indifférenciée universelle et sans second dans son rapport avec le cosmos, sa manifestation, sa conservation et sa résorption [T. skye dgag gnas gsum]. »[1] Dans le système Trika, la Conscience indifférenciée universelle n’est non seulement la réalité ultime, mais encore l’unique réalité. La manifestation, la conservation et la résorption du cosmos sont ses trois plans. Tout se passe dans la sphère de cette unique réalité, et il n’y a rien qui n’existe en dehors d’elle.

C’est du Je absolu de la Conscience indifférenciée (Bhairavātmatā) que procède (T. skye) l’univers entier. C’est le Bhairava-créateur. L’univers qui procède de ce Je absolu se différencie en six cheminements (S. ṣaḍadhvan)[2], qui sont les reflets du Je absolu, son corps (viśvarūpatā). C’est le Bhairava-protecteur, qui conserve (T. gnas) le monde. Et c’est Bhairava-destructeur qui réasorbe (T. dgag) le monde. L’adepte du Trika qui maîtrise ses trois plans (« triplicité ») de la Conscience indifférenciée, suit continuellement ce triple processus.

Ces trois aspects sont alors pensés comme un ensemble, une triplicité, qui contient tout. Dans le bouddhisme, on retrouve l’idée de la triplicité dans le triple corps du Bouddha, une autre Conscience indifférenciée qui ne dit pas son nom, car il considère que son nom n’est pas lui.

On retrouve ces trois niveaux (deux pôles, ciel-terre, et un entre-deux/lien) dans de nombreux discours métaphysiques. En gros, un rien éternellement immobile par rapport à lui-même, éternellement en gestation, et produisant un tout éphémère. La « production » peut être une non-production ou une quasi-production. Un rayonnement, à l’image du soleil. Ce rayonnement, la Nature, est éternelle. Pas ses produits, mais son action. Et les agents actifs de son action peuvent être des éléments, des essences (tattva), etc.. Ces agents sont indifférenciés des deux pôles (réalité ultime et réalité phénoménale). Leur action est représentée par le trajet entre les deux pôles, qui a un sens d’aller et de retour. Les agents sont multiples et leur action est multiple. Le cheminement est également multiple et peut être représenté par un arc-en-ciel à 5 ou 6 couleurs, qui fait le lien entre le ciel et la terre.

Le Trika utilise l’idée de « cheminements » (adhvan) qui sont au nombre de six, deux groupes de trois. Trois cheminements pour chaque pôle (Ciel/Sujet/Signifiant (śabda) – Terre/Objet/Signifié (artha). Les trois cheminements du signifiant (śabda) sont :
le cheminement des syllabes (varṇādhvan)
le cheminement des mots (padādhvan)
le cheminement des mantra (mantrādhvan)

Les trois cheminements du signifié (artha) sont :
le cheminement des mondes (bhuvanādhvan)
le cheminement des essences/catégories (tattvādhvan)
le cheminement des fractionnements (kalādhvan).

Liliane Silburn[3] propose le schéma suivant pour les six cheminements


Ordre subjectif temporel
Manifestation phonématique

Ordre objectif spatial
Manifestation cosmogonique
Suprême (para)
Indifférencié et suprême
Phonème (vara)
Énergie fragmentatrice (kalā)
Subtil (sūkṣma)
Indifférencié-différencié
Mot (mantra)
Facteur de réalité (tattva)
Grossier (sthūla)
Différencié et non-suprême
Phrase (pada)
Monde (bhuvana)

Ces six cheminements constituent le corps cosmique[4] de Śiva. Le principal de ces cheminements est le cheminement des fractionnements (kalādhvan), et les autres sont intégrés dans et pénétrés par celui-ci. Il consiste en les cinq kalā. Le cheminement des essences/catégories (tattvādhvan) consiste en les 36 principes. Le cheminement des mondes (bhuvanādhvan) consiste en les 224 bhuvanas. Le cheminement des syllabes (varṇādhvan) consiste en les 51 lettres. Le cheminement des mots (padādhvan) consiste en les 81 mots à la signification ésotérique et le cheminement des mantras en les 11 mantras appelés saṃhitāmantra. Les éléménts grossiers (mahābhūta) sont caractérisés par ces adhvans et cette caractérisation établie les correspondances entre les éléments et le corps "onduloforme" de Śiva. Toutes les activités rituelles relatives à cet aspect de Śiva, se rapportent aux éléments grossiers (mahābhūta).[5]

C’est à travers les cheminements et les éléments, qui sont les modulations de Śiva/Bhairava, que les êtres ont accès à sa grâce. Iconographiquement, les modulations, les aspects (mūrti) de Śiva en tant que les éléments terre, eau, feu, air et espace sont représentés respectivement par Śarva, Bhva, Paśupati, Īśāna et Bhīma. Les aspects (mūrti) de Śiva sont d’ailleurs au nombre de huit, et comprennent hors les cinq éléments grossiers, le soleil, la lune et le soi.[6]

Tournons-nous maintenant vers un tantra dzogchenpa[7] intitulé Le sextuple cheminement de Samantabhadra (T. Kun tu bzang po klong drug pa'i rgyud). Je traduis par cheminement, cours ou flux le mot tibétain « klong » que l’on traduit le plus souvent par espace, sphère, abîme. Car il me semble qu’il corresponde au mot sanscrit « adhvan ». Ce tantra est généralement présenté comme un texte qui a pour but « d’éviter une mauvaise renaissance, de purifier les six destinées et de manifester les terres pures qui sont des automanifestations »[8]

Dans ce tantra il est enseigné que le Corps, Verbe et Esprit de tous les bouddhas sont des manifestations de la nature parfaitement pure de Samantabhadra et qu’il n’y a pas de différence entre les êtres des six destinées et les manifestations de Samantabhadra. Celles-ci sont sont des manifestations qui ne se manifestent pas,[9] mais qui sont le rayonnement de Samantabhadra.

Toute réalité perceptible est le Jeu de Samantabhadra, tous les reflets sont l’œuvre de Samantabhadra et toute vacuité est l’objet de Samantabhadra.[10]

Le tantra comporte six chapitres. Dans chaque chapitre Samantabhadra fait la démonstration d’une absorption (samādhi) particulière et révèle un cheminement, associé à chaque classe d’êtres des six destinées. Voici, dans l’ordre les différents noms des absorptions et des cheminements avec la classe d’êtres à laquelle ils sont destinés.

1. Sortie (émanation) du Cœur appelé « Cercle de Parures du Cœur indestructible » (T. rdo rje snying po rgyan gyi dkyil 'khor zhes bya ba)

2. Entrée dans l’absorption de l’égalité indifférenciée de toutes les choses, appelée « Cœur fulgurant indifférencié » (T. chos thams cad mnyam pa nyid gnyis su med pa'i ting nge 'dzin gnyis med rdo rje'i snying po zhes bya )

3. Entrée dans l’absorption appelée « La manifestation intégrale de la substance spirituelle comme la réalité phénoménale (māyā) » (T. chos nyid sgyu ma rab tu snang ba zhes bya ba'i ting nge 'dzin)

4. Sortie de la Pensée appelée « Pureté symbolique de l’esprit qui remémore la manifestation de tous les bouddhas » (T. sangs rgyas thams cad kyi snang ba rjes su dran pa sems kyi rdul rnam par dang pa zhes bya ba'i dgongs pa las langs nas)

5. Pénétration de la Pensée appelée « Jeu des Parures indifférencié de la substance spirituelle » (T. chos nyid mnyam pa chen po'i rgyan rnam par rol pa zhes bya ba'i dgongs pa la 'byol nyog tu gnas par gyur to)

6. Afin de résorber tous ses propres cercles, Samantabhadra émane des rayons de couleur des orifices de son visage, qui se manifestent comme des terres pures. (T. de nas ston pa kun tu bzang pos rang gis 'khor rnams sdud pa'i ched du zhal gyi sgo rnams nas 'od zer kha dog du ma byung ste sangs rgyas kyi zhing khams rnams snang bar byas pa)

Et voici les six cheminements et la destinée associée :

1. Le cheminement qui montre toutes les choses comme atemporelles (T. chos thams cad dus gsum mnyam pa nyid du bstan pa'i klong) - dieux

2. Le cheminement qui détermine toute substance spirituelle (T. chos nyid thams cad gtan la phab pa'i klong) – titans

3. Le cheminement qui détermine toute procession par différenciation comme la conscience (T. sna tshogs spros pa sems su gtan la phab pa'i klong) - humains

4. Le cheminement qui détermine le processus fondamental du devenir (dngos po'i gnas lugs gtan la phab pa’i klong) – animaux

5. Le cheminement qui montre que le Cœur qui intègre le chemin est le fruit qui se recueille de lui-même (T. snying po lam dang bcas pa 'bras bu rang dril bar bstan pa'i klong) - preta

6. Le cheminement de l’absorption à mettre en œuvre ? (T. nyams su blang ba'i ting nge 'dzin gyi klong) – êtres infernaux

Autre chose, mais rappelons aussi que le bodhisattva Samantabhadra est souvent représenté assis sur un éléphant à six défenses (une seule tête avec six défenses, ou trois têtes avec trois paires de défenses). Peut-être le même éléphant à six défenses que la reine Māyā avait vu en rêve quand le futur Bouddha fut conçu. D’ailleurs les six cheminements constituent ensemble la māyā. Faut-il voir un sens métaphorique dans tout cela ? Par exemple, la conscience indifférenciée (Bouddha) qui se manifeste par les six cheminements (ou équivalents...) dans la réalité phénoménale (māyā) ? Pour être complet, l'éléphant du bodhisattva semble représenter le cosmos. Il a sept pattes, que l'on pourrait interpréter comme les sept planètes. De toute façon, c'est un drôle d'éléphant...

On peut évidemment tout faire avec les chiffres, et on n’a pas manqué de le faire. Mais il me semble que ce tantra contient des éléments qui permettent d’établir un lien entre Samantabhadra le bodhidattva et le Samantabhadra cosmique... et entre ce dernier et Śiva/Bhairava, mais c'est une autre histoire.  

Voilà quelques intuitions en vrac, qui méritent à mon avis d’être creusées.

***

[1] Liliane Silburn, Le Vijñāna Bhairava, p. 12

[2] (This must be so also because the unfolding of the internal half of the ṣaḍadhvan [i.e. the Signifier half, consisting of varṇas, padas, and mantras] must mirror the unfolding of the external, Signified half [i.e. kalās, tattvas, and bhuvanas]. Christopher D. Wallis, The Philosophy of the Śaiva Religion in Context.
Next emanates from the Bindu the Sadāśiva-tattva, without any ... or spells, the bhuvanas or worlds, the kalādhvan, and the Tattvas mentioned above. ... The five kalās are forces which by their presence cause the thirty-six (Paramarthasara of Abhinava-Gupta)
L’éléphant de Samantabhadra a six défenses pour libérer les êtres des six destinées à travers les six paramita.

[3] Le Vijñāna Bhairava, p. 18

[4] Le varṇādhvan est sa peau, le padādhvan sa tête, le tattvādhvan son cœur, le bhuvanādhvan ses poils, le mantrādhvan son sang, semence, moelle, os etc. et le kalādhvan ce sont tous ses membres.

[5] "Of these six adhvans, kalādhvan is the foremost and dominating one because all other adhvan remain, included and pervaded by this kalādhvan.Kalādhvan is constituted of five kalās; tattvādhvan comprises thirty-six principles; bhuvanādhvan consists of two hundred and twenty-four bhuvanas; varṇādhvan consists of fifty-one letters; padādhvan consists of eighty-one words of esoteric significance; and mantradhvan consists of eleven mantras, specifically known saṂhitāmantras. The gross elements (mahābhūtas) are characterized by these adhvans and this characterization establishes the correspondence between the gross elements and the adhvan form of Lord śiva. All the ritualistic activities concerned with the adhvan form have their direct interaction with the gross elements". THE AGAMIC TRADITION AND THE ARTS, Āgamic Treatment of Mahābhūtas in Relation to Maṇḍalas and Arts, S.P. Sabarathinam http://ignca.nic.in/ps_03007.htm

[6] Comparer avec les huits aspects de Guru Rinpoché (gu ru mtshan brgyad). Pour vérifier cela, il faudra voir le rôle qu'ils ont dans les rituels qui leur sont attribués.

[7] Un des dix-huit tantra dzogchenpa

[8] "This tantra teaches how to prevent rebirth in and purify the six realms, and manifest the pure realms of self-display"

[9] nga'i snang ba ni mi snang ba'i snang ba ste. La même chose vaut pour le Trika, voir Silburn, p. 14

[10] dngos po thams cad kun tu bzang po'i rol pa yin no/snang ba thams cad ni kun tu bzang po'i mdzad pa yin no/stong pa thams cad ni kun tu bzang po'i yul yin no

mardi 24 septembre 2013

Superbouddha



En occident, le Bouddha avait longtemps été considéré, comme une sorte de superhéro-rationnel-des-Lumières parmi les fondateurs de religions. Il suffit de bien lire toute la littérature bouddhiste, y compris du bouddhisme pāli, et de regarder les croyances et les pratiques des adeptes du bouddhisme, pour voir qu’il n’en est rien. Donald S. Lopez Jr. a tenté de faire passer au parinirvāṇa ce « Bouddha scientifique » dans son livre The Scientific Buddha.

Il est cependant vrai que le Bouddha avait donné quelques outils pragmatiques, qui avaient sans doute contribué à cette méprise. Il y a la parabole de la flèche empoisonné, le Sunakkhatta Sutta qui sert d’éclairage de celui-ci, le Simsapa Sutta sur la poignée de feuilles, le Cankī Sutta sur les fondements fragiles de la Vérité transmise, l’Avyakata Samyutta sur la futilité des spéculations stériles, les nombreuses attaques contre les pratiques superstitieuses et l’incitation à une réflexion saine.

Si on suivait les directives que le Bouddha avait donné dans ces suttas et qu’on les appliquait au « Bouddha » et au « bouddhisme », ils n’en sortiraient pas entièrement indemne…
« Ainsi, ô Mâlunkyâputta, qu’ai-je expliqué ? J’ai expliqué la souffrance. J’ai expliqué la cause de la souffrance. J’ai expliqué la cessation de la souffrance. J’ai expliqué le chemin qui mène à la cessation de la souffrance. Pourquoi cela, ô Mâlunkyâputta ? Parce que c’est utile, fondamentalement lié au but de la conduite pure, que cela conduit au renoncement, au détachement, à la cessation, à la tranquillité, à la vue profonde, à la réalisation complète, au nirvâna. C’est pour cela que je les ai expliquées. »
(Cûlamâlunkyâsutra, Traduction de Philippe Cornu).
« Ainsi Bhikkhus, il en est de même pour l'ensemble des connaissances que j’ai accumulées au cours de mon expérience, qui sont bien plus nombreuses que les choses que je vous ai enseignées, dont le nombre est restreint.
Pourquoi ne vous ai-je pas parlé de toutes ces choses ?
Parce que ces connaissances ne sont pas source de développement, de progrès dans la Vie Sainte et parce qu’elles ne conduisent pas à l’extinction du désir, à sa diminution, à la cessation, à la paix, à la compréhension directe, à l’éveil, à Nibbana. Voilà pourquoi je ne vous en ai pas parlé. » (Samyutta Nikaya LVI 31)
Quelques sujets dont le Bouddha n’a pas parlé.
« L'univers est-il éternel ou est-il non éternel? L'univers a-t-il une limite ou est-il sans limite? Le principe vital est-il la même chose que le corps ou le principe vital est-il une chose et le corps une autre chose? Le Tathagata existe-t-il après la mort ou n'existe-t-il pas après la mort ? Existe-t-il et à la fois n'existe-t-il pas après la mort? Ou bien est-il non existant et à la fois pas non existant après la mort ? » (Culamalunkya-sutta)

L’origine de l’univers (cosmogonie), l’origine des dieux (théogonie), leur généalogie et leurs associations avec le genre humain ne sont donc pas des questions que le Bouddha, qui professait les directives ci-dessus, aurait approuvées. Il se voyait plutôt comme un chirurgien, qui agissait dans l’urgence, avec précision et avec pragmatisme, et dont l’outil favori fut le lancet.
« Imagine, Sunakkhatta, qu’un homme soit blessé par une flèche savamment empoisonnée. Ses amis et relations, connaissances et parents, lui trouvent un médecin-chirurgien, celui-ci ouvre les lèvres de la blessure avec un scalpel et cherche la pointe de flèche avec une sonde. Il l’extrait et aspire le poison, mais des traces de ce poison subsistent. Pensant qu’il n’en reste pas, le chirurgien prescrit :
— Voilà, mon ami. La flèche est extraite, le poison retiré, et il n’en reste rien. Mais il subsiste un risque (à cause de la blessure). Mange donc des nourritures appropriées, non des nourritures impropres. Car si tu mangeais de ces dernières, la blessure pourrait suppurer. Nettoie de temps en temps la blessure, oins de temps à autre ses lèvres. Si tu ne le faisais pas, du pus et du sang pourraient en recouvrir les bords. Ne te promène pas dans le vent chaud. Si tu le faisais, des poussières et des barbes d’épis pourraient brûler les lèvres de ta blessure. Il faut donc, mon ami, protéger ta blessure et la soigner. »
.../...
« J’ai composé cette image, Sunakkhatta, pour bien faire comprendre le sens. La blessure symbolise les six portes personnelles (les cinq sens physiques et la faculté de connaître). Le poison représente l’aveuglement (avijjā), et la flèche le désir premier. La sonde correspond à la vigilance, et le scalpel à la sagacité pure. Le médecin-chirurgien représente le Tathāgata accompli et parfait Bouddha. » Sunakkhatta Sutta
L’outil principal est donc le scalpel, la sagacité pure (prajñā), ou encore « la sagesse », mais une sagesse semblable au scalpel, qui dissèque la réalité apparente et qui la sonde. Et le chirurgien Bouddha propose de sonder les discours sur la réalité[1] (MN 95 - Cankī sutta), transmis de génération à génération. Comment sonder un discours dont on est convaincu, que l’on préfère, transmis par la tradition, que l’on a bien assimilé et que l’on croit ? En demandant à ceux qui y adhèrent si ce que dit ce discours, ils le savent par eux-mêmes, et qu’ils le voient par eux-mêmes ?
« Et parmi les brahmanes Voyants (ṛṣi) du passé, les inventeurs des hymnes, les compositeurs des hymnes – ces anciens hymnes que l’on récite, répète et collectionne, que les brahmanes d’aujourd’hui chantent, récitent en répètant ce qui avait été dit, ce qui avait été énoncé – à savoir Atthaka, Vamaka, Vamadeva, Vessamitta, Yamataggi, Angirasa, Bharadvaja, Vasettha, Kassapa & Bhagu : y avait-il un seul parmi eux qui dit « Cela nous le savons, nous le voyons ; seul cela est vrai ; tout le reste est sans valeur ? »[2] 
Ceux qui transmettent ce Verbe de génération en génération, en le chantant, récitant et répétant, sans savoir et voir par soi-même, et en disant que le reste est sans valeur, sont comme des aveugles guidant des aveugles
« Kalamas, ne vous laissez pas guider par ce que vous avez entendu dire ni par les traditions. Ne vous laissez par guider par l'autorité des textes religieux, ni par la simple logique ou les allégations, ni par les apparences, ni par la spéculation sur des opinions, ni par des vraisemblances probables, ni par la pensée : ‘Ce religieux est notre maître spirituel’. » (Kalama sutta)
Comment éviter un discours sur la réalité répété par un aveugle ? En voyant par soi-même si la personne qui tient un tel discours est libre d’aveuglement, d’aversion et de convoitise, qui l’empêcheraient de connaître et de voir directement par elle-même la réalité. Pour connaître et voir directement la réalité par soi-même, il faut à son tour se débarrasser de l’aveuglement, de l’aversion et de la convoitise à l’instar de cette personne (voir Cankī sutta) .

***


[1] Vedas with their vocabularies, liturgy, phonology, & etymologies, and the histories as a fifth; skilled in philology & grammar, well-versed in cosmology & the marks of a great man

[2] "And among the brahman seers of the past, the creators of the hymns, the composers of the hymns — those ancient hymns, sung, repeated, & collected, which brahmans at present still sing, still chant, repeating what was said, repeating what was spoken — i.e., Atthaka, Vamaka, Vamadeva, Vessamitta, Yamataggi, Angirasa, Bharadvaja, Vasettha, Kassapa & Bhagu: was there even one of these who said, 'This we know; this we see; only this is true; anything else is worthless?'

dimanche 22 septembre 2013

Pétition pour des cours intermédiaires de tibétain à Aix en Provence


Objet : pétition pour l’ouverture d’une année d’enseignement du tibétain niveau intermédiaire.

Etudiants en première année de tibétain (niveaux d’initiation TIB0Z1 et TIBZ02) à l’Université d’Aix-Marseille en 2012-2013, nous avons la mauvaise surprise à la rentrée de septembre 2013 de ne pas pouvoir bénéficier d’une seconde année d’enseignement (niveau intermédiaire).

Ces cours étaient pourtant annoncés et s’inscrivent dans le cursus de deux ans qui devrait déboucher normalement sur la création d’un DU. Cette décision de repousser l’ouverture pénalise tous les étudiants qui ont réussi la première année mais qui ne peuvent donc pas poursuivre leur cursus en 2013-2014, contrairement aux étudiants d’autres langues du département d’Etudes Asiatiques. Cela condamne à plus ou moins brève échéance tout l’enseignement du tibétain à l’Université d’Aix-Marseille, la seule université en France en dehors de l’Inalco (à Paris) à proposer un enseignement de cette langue.

Les cours du Professeur Tournadre ont attiré plusieurs dizaines d’étudiants en première année et il est clair que si le cours intermédiaire est créé et si l’information est diffusée, les effectifs seront au rendez-vous étant donnée l’attraction que les cours d’initiation ont suscitée. Le prétexte des effectifs ne peut être utilisé car dans ce cas, de nombreuses langues de l’Université d’Aix-Marseille qui ont un effectif identique voire moindre verraient leur cursus fermer.

Nous sollicitons votre soutien (étudiants, enseignants, personnes concernées) pour l’ouverture de ces cours de niveau intermédiaire et pour le maintien de la langue et de la culture tibétaines au sein de l’Université d’Aix-Marseille.

La pétition circule par email. Informations de contact dans le PDF ci-joint.