mardi 26 mars 2013

Lignée authentique & lignée institutionnelle


Dans la suite de l’entretien avec Reginald Ray (en anglais), on aborde le sujet de la lignée authentique et de la lignée institutionnelle. On trouve cette opposition dans toutes les religions. Les institutions sont utiles à une culture de multiples façons, mais se préoccupent plutôt de leur propre survie et ont la tendance d’avoir une attitude territoriale des instructions. Le bouddha, ainsi que de nombreux saints bouddhistes (Ray est l’auteur de Buddhist saints in India) sont souvent rejetés ou marginalisés par les institutions bouddhistes. Pour le Bouddha, Rey rappelle l’épisode du Bouddha avec l’ascète nu Upaka (MN 26)[1].

Seules les lignées authentiques donnent accès aux expériences de l’éveil, de la libération et de l’amour. Mais les gens font confiance à l’autorité. Ray observe que de nombreuses personnes qui voulaient jeter par-dessus bord toutes les traditions dans les années 60-70, sont les mêmes qui depuis se sont attachées aux formes institutionnelles. Son maître Trungpa avait commencé par rejeter les institutions (9 :25). Les tibétains étaient méfiants de donner leurs instructions aux occidentaux, qu’ils voyaient comme des barbares, des séculiers non qualifiés pour recevoir les instructions, mais aussi comme des bienfaiteurs. Mais Trungpa voyait comment ils aspiraient à trouver la liberté. Il s’est débarrassé de son habit de moine et ressentait le besoin de partager leur vie. Il se fit rejeter par sa première communauté, qui lui interdisait d’enseigner et qui avait fait appel aux services secrets britanniques pour l’expulser du Royaume-Uni. Ils voulaient le détruire. L’institution se sentit menacée par sa façon d’enseigner de manière ouverte. Selon RR, sans sa femme, Trungpa, incapable d’enseigner, se serait suicidé.

L’ironie veut, qu’après ses succès aux Etats-Unis, ces mêmes institutions l’ont réinvité à bras ouverts. Mais pas sa façon d’enseigner. Ils étaient impressionnés par le niveau de pratique de ses étudiants (Vajrayogini, des retraites avec de centaines de participants). La plupart de maîtres traditionnels ne comprenaient pas ce qu’il voulait faire, ils ne s’étaient pas ouverts à l’occident (16 :00). Aujourd’hui, certains veulent aller dans la même direction, mais doivent en même temps gérer leurs propres institutions en Asie. L’approche de Trungpa était de trouver une intersection entre les approches occidentale et orientale.

Pour son propre choix d’enseigner la Mahāmudrā, RR explique que ces instructions ne se situent pas dans le cadre du vajrayāna, mais qu’elles ont pour but de mettre à nu les fondements de l’expérience humaine. C’est là que se trouve la libération. Nous autres (occidentaux) ne sommes pas des tibétains (18 :00). Le bouddhisme tibétain tel qu’il est présenté par les institutions tibétaines est une religion triomphaliste (19:58). Le triomphalisme c’est le territoire de l’égo, qui débouche au spiritualisme matériel.

Il ne s’agit pas de rejeter intégralement ce que ces institutions ont à offrir. L’attitude juste se situerait sans doute entre les valeurs des institutions et l’approche démocratique de l’occident, car nous avons besoin de valeurs. Quelles sont les qualités fondamentales qui peuvent procurer un bien-être véritable aux gens ? De combien de structure (institutionnelle) avons-nous besoin, combien d’organisation, et quand est-ce qu’il y en a trop (23:55) ? Que faut-il changer ?

Le bouddhisme s’accroche actuellement à son identité, à ses hiérarchies, à sa patriarche et son fonctionnement féodale (26:25). On pense devoir protéger les instructions contre le monde moderne. Mais plus on veut les protéger et plus on s’éloigne de leur essence. Je ne suis pas un spécialiste en la méditation, dit RR, mais je veux être un spécialiste en le lâcher-prise (letting go) par rapport à nos préjugés (27:55). Il faut identifier les points auxquels nous nous accrochons et qui nous empêchent d’avoir accès à la réalité telle qu’elle est. Il faut donner une chance à la réalité. Le Dharma n’a pas besoin d’être protégé contre le monde moderne, il doit s’ouvrir à lui.

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[1] "Alors, après être resté à Uruvela aussi longtemps qu'il m'avait plu, je partis en marchant par étapes pour Varanasi. Upaka l'Ajivaka m'ayant sur la route entre Gaya et (l'endroit de) l'Eveil, et en me voyant me dit, 'Claires, mon ami, sont vos facultés. Pur votre teint, et clair. Pour qui avez-vous tout quitté? Qui est votre enseignant? Dans quel Dhamma vous plaisez-vous?'
"Quand ceci fut dit, je répondis à Upaka l'Ajivaka en vers:
'Vainquant tout, sachant tout suis-je, par rapport à toutes choses,
   sans adhérer.
Abandonnant tout, libéré dans la cessation de l'envie insatiable: m'étant pleinement compris moi-même, qui devrais-je désigner comme mon enseignant?
Je n'ai pas d'enseignant, et on ne peut trouver personne comme moi. Dans le monde avec ses devas, je n'ai aucune contrepartie.
Car je suis un arahant dans le monde;
   moi, l'enseignant sans pareil.
   moi seul, suis correctement auto-éveillé.
Je suis refroidi, libéré.
Pour mettre en route la roue du Dhamma je vais dans la cité de Kasi. Dans un monde devenu aveugle, je bats le tambour du Sans-Mort.'
"'A ce que vous prétendez, mon ami, vous devez être un conquérant infini.'
"'Les conquérants sont ceux comme moi qui ont atteint la fin des fermentations. j'ai conquis les qualités mauvaises, et ainsi, Upaka, je suis un conquérant.'
"Quand ceci fut dit, Upaka dit, 'Qu'il en soit ainsi, mon ami,' et -- secouant la tête, prenant une route transversale -- il partit. (Source Sangharime, version anglaise)

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