mercredi 13 mars 2013

Extraire la flèche



l’Éveillé avait donné la parabole de l’homme blessé par une flèche empoisonnée, pour montrer que son approche ne cherchait pas à déterminer l’origine des choses, mais simplement l’efficacité. Les questions sur l’origine peuvent donner lieu à des spéculations ou à des recherches sans fin. Les réponses que l’on trouve ainsi ne contribuent pas forcément à la résolution du problème de la souffrance, tel qu’il était défini par l’Éveillé[1].

Il en va ainsi des questions sur « la conscience » (qui semble correspondre à ce que l’Éveillé appelle Tathāgata) et sur le mystère de « l’esprit et la matière ».
« …“le principe vital et le corps sont identiques” et “le principe vital et le corps sont distincts”, “le Tathāgata existe encore après la mort”, “le Tathāgata n'existe plus après la mort”, “le Tathāgata à la fois existe et n'existe pas après la mort” et “le Tathāgata ni n'existe ni n'existe pas après la mort”. » 
« – Faut-il vivre la vie sainte parce qu'on croit que le monde est fini... qu'il est infini... que le principe vital et le corps sont identiques... qu'ils sont distincts... qu'après la mort le Tathāgata existe encore... qu'il n'existe plus... qu'il existe et n'existe pas... ni qu'il existe ni qu'il n'existe pas ? Non, Māluṅkyaputta. Mais que l'on croie ceci ou cela, il y a la naissance, le vieillissement, la mort, le chagrin, les lamentations, la douleur, l'insatisfaction et le désespoir dont je montre l'anéantissement dans la vie présente. »
Que la conscience soit pré-existante, l’Un, la Grande Complétude, le Tout, et à l’origine de tout, comme certaines doctrines semblent le prétendre, ou qu’il soit un épiphénomène, « il y a la naissance, le vieillissement, la mort, le chagrin, les lamentations, la douleur, l'insatisfaction et le désespoir ». La « conscience » (mot fourre-tout) est un fait, omniprésent et constitutif de toute notre expérience. Un fait subjectif, il n’y a pas de doute, mais qui peut en faire abstraction ?

L’enseignement de l’Éveillé ne se rapporte donc pas à l’explication de l’origine, et tout ce qui a pu être dit par lui, ou attribué à lui, et qui se rapporte à l’origine n’est donc pas l’essentiel de son enseignement. Que notre connaissance de l’origine etc. change n’a donc aucun impact sur « la vie sainte », car celle-ci ne dépend pas d’une croyance en telle ou telle spéculation, ou en tel ou tel fait de l’état actuel de la science.

Les mythes parlent de l’origine dans un langage symbolique, qui, banalisé, donne lieu à des spéculations inefficaces voire contraproductives. Mais quand on les entend avec une certaine ouverture, les mythes ne sont pas en désaccord avec les découvertes de la science en matière du miracle de la vie et de la conscience. Que celle-ci soit le produit d’une longue évolution ne change rien à son caractère merveilleux, au contraire ! Que nous soyons reliés aux bactéries les plus primitives est étonnant (que le minéral et l’organique le soient l'est encore davantage). Tous les êtres sont donc bien nos mères ! Seul le temps nous sépare d’eux. Et encore, dans son développement, l’embryon passe par les différents stades de l’évolution en accéléré et retrouve à la fin de ce processus les capacités conscientes de tout être humain, mais qui sans apprentissage resteraient lettre morte. 

Il semblerait qu’il n’y ait pas de fin au processus de raffinement des capacités psychosensorielles, assistées par ordinateur ou non, de l’être humain. Il peut devenir de plus en plus expert dans les divers arts et sciences ("le progrès") et pousser toujours plus loin le raffinement. Mais à en croire l’Éveillé et le bouddhisme, ce n’est pas là non plus que se situe « la vie sainte » ou la « vie saine ». Ni dans une origine imaginée, ni dans un futur rêvé. La parabole de la flèche se rapporte à une analyse sans fin des facteurs passés, mais elle peut aussi bien se rapporter au futur. Dans une approche où il faut d’abord créer toutes les conditions parfaites avant d’extraire le venin  Il semblerait comme le dit la parabole, qu’il faille agir maintenant, dans la situation actuelle, quelques soient ses croyances.

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Tapisserie de Bayeux : Harold touché par une flèche dans l'oeil

[1] – T'ai-je jamais dit : “ Viens, Māluṅkyaputta, vis la vie sainte auprès de moi et je t'expliquerai si le monde est éternel ou temporaire... ?” etc. […] – Et qu'ai-je expliqué ? J'ai expliqué “ceci est le malheur”, “ceci est la source du malheur”, “ceci est la cessation du malheur” et “ceci est le chemin qui mène à la cessation du malheur”. Pourquoi l'ai-je expliqué ? Parce que c'est utile pour atteindre le but, que c'est le départ de la vie sainte, que cela mène au désenchantement, au détachement, à la cessation, à l'apaisement, à la connaissance directe, à la pleine réalisation et au Dénouement. Voilà pourquoi je l'ai expliqué. »

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