mercredi 27 février 2013

La vacuité pleine



L’idée d’un « culte du néant » bouddhiste est toujours répandue en occident, même parmi certains spécialistes pour qui la vacuité ou le vide bouddhiste (S. śūnya C. kong) est un vide d’inexistence. Pourtant, dès le départ la vacuité est définie comme ce qui dépasse, et comporte, à la fois l’être et le non-être, selon le fameux tétra-lemme. On ne peut pas dire que le vide bouddhiste est non-être, et lui opposer le vide fonctionnel (C. xu) de Laozi/Lao-tseu.[1] Le portrait du vide « plein » de Laozi que dresse Jullien irait très bien au vide bouddhiste, surtout dans les nombreux systèmes qui en ont une approche plus positive.

« …le vide […] du Laozi est le milieu où le plein se résorbe et s'indifférencie ; il est aussi ce à partir de quoi le plein advient et devient effectif. Il n’est pas « non-être », par conséquent, mais le fond latent des choses [dharmatā], comme on parle du fond d’un tableau ou du fond du silence : ce fond est le fonds d’où le son est produit et qui le fait retentir, d’où le tracé émerge et grâce auquel il peut vibrer. »[2]

« En poursuivant l’expérience du pinceau : bien loin d’être un vide d’inanité, cet évidement est plutôt le « délié » s’opposant au plein du tracé, là où le concret se réduit à l’infime et devient discret, et qui fait ressortir le plein dans sa force et son épaisseur : délié infiniment subtil, par conséquent, lui dont l’esprit, débarrassé de la pesanteur des formes et des choses, ne cesse de circuler à travers elles et les anime. S’il cessait de traverser le réel, celui-ci serait définitivement gourd, prostré, figé; sans cet influx du vide, le réel se trouverait complètement réifié. »

« Le Laozi en a proposé des images. Tous les rayons de la roue convergent dans le moyeu, et c’est « là où il n’y a rien », dans la partie évidée (au centre où rentre l'essieu), qu’« est le fonctionnement du char » (permettant à la roue de tourner et donc au char d’avancer) ; de même, on façonne l’argile pour faire un vase, mais « c’est là où il n'y a rien » que s’exerce la « fonction du vase » : grâce à ce vide intérieur, le vase peut contenir, il est un objet qui peut servir; ou encore c’est en perçant porte et fenêtres dans ses parois que la pièce laisse passer le jour et qu’on peut l’habiter. »[3]

« En effet, grâce à l’actualisation fonction-profit du plein, le fonctionnement indéfini du vide peut sortir de son indétermination et se manifeste en profit particulier; mais aussi c’est grâce à l’indifférenciation du vide servant de fonds latent des choses que chaque actualisation particulière n’est plus murée dans sa particularité, mais peut communiquer en son fond avec les autres et, par relation, découvre sa propre virtualité. Car, quand il se réalise, l’effet est toujours spécifique; mais ce qui l’indétermine, le « vide », est la condition — géné­rique et générante — qui lui permet d’exister. »[4]

C’est la base où ont lieu les apparitions et les disparitions de la coproduction conditionnée. Malgré son nom « négatif », la vacuité est l’amorce d’une approche plus positive, qui deviendra celle qui permettra l’exploitation fonctionnelle (C. xu) de la vacuité. Il y a tout ce qu'il faut dans la vacuité bouddhiste, qui est l'élément spirituel (dharmadhātu) qui comprend les dharma et le dharmatā, les formes et le fond.

Article de Jayarava en anglais sur la vacuité.

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[1] Traité de l’efficacité, François Jullien, p. 137

[2] Traité de l’efficacité, François Jullien, p. 138

[3] Traité de l’efficacité, François Jullien, p. 138

[4] Traité de l’efficacité, François Jullien, p. 139

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