dimanche 29 janvier 2012

L'effet de la prière



La prière est tout d’abord un aveu d’impuissance. On prie pour demander un bien que nous n’arrivons pas à nous procurer tous seuls. Mais avant même de faire appel à un autre, plus puissant, cette prière implique que nous sommes conscients de nos limites et de notre impuissance à cet égard. C’est un renoncement à notre « toute-puissance », à l’illusion d’avoir tout sous contrôle, et un debut d’humilité.

La prière de demande est alors adressée à un puissant, un dieu, Dieu... En échange du bien demandé, on est prêt à un sacrifice, quelque chose qui nous coûte. Tout travail ne mérite-il pas salaire ? Des offrandes, une ascèse, la répétition de la demande jusqu’à ce que’elle soit exaucée, ou que la demande n’ait plus d’objet…
« Consolez-vous, ce n’est pas de vous que vous devez l’attendre mais au contraire en n’attendant rien de vous que vous devez l’attendre. » Pascal, Pensées, 651/517
Dans le bouddhisme tibétain, nous avons le terme « smon lam », souvent traduit par « prière de souhaits ». Le mot tibétain est la traduction du mot sanscrit « praṇidhāna », qui signifie respect, soumission, dévotion; méditation profonde, absorption, dérivé du verbe praṇidhā (déposer, poser; s'approcher de | diriger (les yeux, l'esprit) sur ; s'absorber dans ; fixer son attention, réfléchir, méditer).[1] Ce n’est donc pas tant une prière de demande, de souhaits, qu’une concentration, une attention sur celui que l’on croit capable d’exaucer nos prières, ou un objectif que l'on se fixe...

Les « prières » que l’on récite habituellement dans le bouddhisme tibétain, sont en fait des vœux pris par des grands bodhisattvas comme Samantabhadra[2], ou par des bouddhas comme Amitābha, Bhaiṣaye-guru[3] etc. quand ils étaient encore des bodhisattvas et aspiraient (T. smon) à devenir des bouddhas afin de pouvoir exaucer plus efficacement les prières et les vœux des autres. En récitant les vœux des bodhisattvas d’antan, nous reprenons à notre compte les vœux faits par ceux-ci, qui deviennent alors nos propres vœux. Ce sont des prières que nous adressons en quelque sorte au Bouddha que nous serons un jour.  

Au lieu de nous déclarer impuissants et d’adresser nos prières à un Bouddha autre, en lui déléguant de les exaucer, nous prenons l’engagement de faire en sorte de nous donner le pouvoir de les exaucer. En attendant, l’inquiétude causée par un problème devant lequel nous nous déclarons impuissants, est atténuée un peu par notre engagement de le resoudre quand nous en serons capables et de faire en sorte que nous le soyons. Cela nous aide à être patients et à sortir d’un sentiment d’impuissance créateur d’inquiétude. En même temps, cet effort n’est pas fait dans notre propre intérêt mais dans celui des autres. Le désintéressement ne concerne que notre bien, c’est l’intérêt d’autrui qui motive.
« Si, quand j’atteindrai la Bouddhéité, les humains et les dévas en ma terre chutent dans les royaumes inférieurs après leur mort, puissé-je ne pas réaliser l’Éveil suprême »[4]



Illustration : le bodhisattva Samantabhadra

[1] http://sanskrit.inria.fr
[2] Samantabhadracaryāpraṇidhānarāja. En Tibétain : 'phags-pa bzang-po spyod-pa'i smon-lam-gyi rgyal po extrait du 40ème chapitre de l'"Avataṃsakasūtra (Gaṇḍavyūhasūtra)
[3] Le Bhaiṣajyaguruvaidūryaprabharāja Sūtra contient les douze vœux du Bouddha de la Médecine, formulés lorsqu'il commençait à pratiquer la voie du Bodhisattva. Amitābha avait fait quarante-huit vœux dans le Sukhāvatīvyūha Sūtra.
[4] 2ème vœu d’Amitābha

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