dimanche 25 septembre 2011

Un petit éveil soudain pour la route



Dans les versets des instructions sur la perfection de la lucidité d’Āryadeva le brahmana, il est préconisé de combiner la pratique de la lucidité (S. prajñā) avec celle des expédients (S. upāya). Dans le cadre de la prajñāpāramitā, les « expédients », c’est la pratique des cinq perfections autres que celle de la lucidité, à savoir la générosité, la moralité, la patience, l’effort énergique et la concentration. Si on pratique ces « expédients », qui sont vertueux et efficaces ans selon la vérité superficielle, sans considérer leur vérité profonde de phénomène vide, la lucidité manquera.
 « C'est pourquoi, tous les phénomènes,
Qu'ils soient conditionnés, inconditionnés, blancs ou noirs
Ne doivent point être pris pour référence
Cependant, sans utiliser les expédients (S. upāya)[1] la lucidité ne se manifestera pas
. » 
Et si la lucidité manque, la pratique des expédients, certes très méritoire, sera prise pour une réalité en soi. Sans voir sa nature vide, elle est incapable de nous sortir de l’Errance (S. saṁsāra).
« Si le sens de la perfection de la lucidité
N'est pas pratiqué de façon définitive
La pratique de la générosité, des entrainements, de la patience,
De l'effort énergique et de la concentration
Laissée (T. stor ba) à la gouverne (T. sna dbyug) d'un aveugle
Comment trouvera-t-elle la bonne direction ? » 
La lucidité est comme un boiteux, et les expédients comme un aveugle. C’est pour éviter de « tourner à vide », de courir en rond comme une poule décapitée, que certains maîtres avaient décidé d’introduire leurs disciples à la nature de l’esprit au préalable. Tel Gampopa, qui ne l’avait pas inventé et suivait l’approche qui avait son origine en Maitrīpa, et qui était aussi celle d’Āryadeva le brahmana et de Dampa Sangyé. Gö lotsāwa nous apprend que le disciple principal de Dampa, Bodhisattva Kun dga’ (1062-1124), avait sa propre méthode. Traditionnellement, il convenait d’abord de faire mûrir le disciple (T. smin lam) en lui conférant les quatre consécrations du mantrayāna. C’est seulement après, que l’on s’engage sur le chemin de la libération (T. sgrol lam). Or, Kun dga’ pratique les deux simultanément (en plaçant un texte du prajñāpāramitā au-dessus de la tête de son disciple Pa tshab) et c’était une nouvelle approche à son époque.[1] Gos précise qu’il s’agissait d’une approche particulière (T. khyed chos) de Dampa, où les quatre consécrations étaient remplacées par une seule. « N’est-ce pas suffisant ? » demanda Kun dga’ ? « C’est suffisant », répondit Pa tshab.[2]

Le compte-rendu tibétain du concile de Lhassa donne à la partie chinoise un argument caricatural, qui consiste à dire que la seule perfection de la lucidité suffit, car elle contient toutes les autres perfections, les « expédients ». Il y a des citations canoniques pour l’appuyer, mais le but de ces affirmations est de souligner l’importance de la perfection de la lucidité y compris et même surtout pendant la pratique des autres perfections.

Le maître coréen Pojo Chinul (1158-1210), un représentant du bouddhisme Huayan (Avatamsaka), est réputé pour avoir réconcilié les écoles scholastiques et le Ch’an, et sa méthode commence par un éveil initial suivi d’une culture mentale subséquente graduelle. Il s’inspire de l’école « Ho Tse »[3]. L’éveil soudain était comme une entrée dans la foi, le chemin des bodhisattvas, où les qualités étaient développées et les défauts purifiés tout en restant dans l’absence de discursivité (S. nirvikalpa). Une telle pratique reflétait les deux vérités.

Le chemin graduel (T. lam rim), tel qu’il était enseigné par Gampopa, commença également par un éveil soudain (T. ngo sprod) pour permettre à l’élève de suivre le parcours de façon adéquate. Ce n'est pas OU subitisme OU gradualisme, mais les deux, en commençant par un éveil pour savoir où l'on va.

***
Photo: Photo de Jane Sweeney, Novice Monk Walking Along Road to Sangachoeling Gompa, Pelling, Sikkim, India

[1] Blue Annals, p. 925 
[2] Blue Annals, p. 926 
[3] Tracing back the radiance, Robert E. Buswell, jr. P. 49 et 106

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