vendredi 24 juin 2011

Trois approches du Milieu


Le Milieu (S. madhyamaka T. dbu ma) évite les extrêmes (T. mtha’ S. anta). Tsongkhapa (1357-1419) définit l’extrême comme un « lieu de chûte » (T. lhung ba’i gnas). Il compare le monde à un endroit escarpé avec des précipices dans lesquelles on peut tomber.[1]

Tarab Tulku (1934-2004) avait développé une « science bouddhiste de l’esprit et des phénomènes » à laquelle il avait donné le nom Unité dans la dualité (Nang-Don Rig-Pa'i gZhung-Las Byung-Ba'i Sems-Kyi Tshan-Rig rTen-'Drel sNang-Ba'i gZi-Byin). La notion centrale de ce système est celle de « tendrel », l’abréviation de la traduction tibétaine « rten cing ‘brel bar ‘byung ba » désignant l’origine conditionnée (S. pratītya-samutpāda), l’origine interdépendante des phénomènes, en tant que l’explication de la nature des phénomènes et de la nature de l’esprit[2]. Le point de vue sur lequel se base sa méthode est celui des Stances du Milieu (S. Mulamadhyamaka-kārikā T. dbu ma rsta ba’i shes rab)(MMK) de Nāgārjuna, et, selon Tarab Tulku, leur interprétation par Tsongkhapa, telle qu’elle est formulée dans son commentaire (dbu ma rtsa ba’i tshig le’ur byas pa shes rab ces bya ba’i rnam bshad rigs pa rgya mtsho, traduit en anglais par Jay Garfield et Ngawang Samten sous le titre Ocean of Reasoning).

Il est traditionnellement expliqué que des personnes de capacité supérieure peuvent saisir le sens d’un texte rien que par le titre, et celles de capacité intermédiaire par l’éloge au début du texte. L’éloge qui précède les stances de Nāgārjuna mentionne quatre paires de deux pôles ou extrêmes chacun. Tentez votre chance...

« Sans rien qui cesse ou se produise, sans rien qui soit anéanti ou qui soit éternel, sans unité ni diversité, sans arrivée ni départ, telle est la coproduction conditionnée, des mots et des choses apaisement béni. Celui qui nous l’a enseignée, l’Eveillé parfait, le meilleur des instructeurs, je le salue. » [3]

Selon Tarab Tulku, Tsongkhapa relie dans son commentaire du MMK les quatre paires de pôles aux « quatre natures essentielles » (T. ngo bo[4]), catégories ?, que sont l’identité individuelle, la nature du temps, la nature de l’espace et la nature composée des phénomènes. Je n’ai cependant pas réussi à retrouver cette information, du moins telle quelle, dans le commentaire de Tsongkhapa, mais Tarab Tulku les reproduit ainsi : « Les huit Tendrel de Nāgārjuna sont en rapport avec les Quatre Natures Essentielles de la réalité : l’identité individuelle est en lien avec la production et la cessation, la nature du temps est en lien avec le fini et l’infini, la nature de l’espace est en lien avec la localisation et la non-localisation, et enfin la nature composée est en lien avec la partie et le tout. »[5]

Ces huit caractéristiques de l’origine conditionnée des phénomènes (« tendrel ») constituent quatre paires dont chacun des pôles sont aussi bien en opposition l’un à l’autre qu’en unité. D’où le nom « Unité dans la dualité ». La dualité correspond au saṁsāra et la non-dualité au nirvāṇa. La dualité se divise en un pôle sujet (esprit) et un pôle objet (monde, « les cinq objets de sens »). La dernière paire de ce paradigme est constitué du sujet, la conscience conceptuelle (T. rtog pa’i rnam shes) ou l’esprit comme défini ci-dessus, et de l’objet, les objets sensoriels (T. yul S. viṣaya).

Tarab Tulku ajoute son propre paradigme pour approcher la réalité, qui consiste en trois paires : matière-énergie, sujet-objet et corps-esprit. Les énergies fondamentales sont les « forces élémentaires » (T. ‘byung ba S. bhūta) qui sont considérées être à l’origine de la matière (T. ‘byung gyur). L’esprit, ce sont les cinq consciences sensorielles ainsi que la conscience mentale. Et le corps, dans l’optique de l’interrelation corps-esprit, les cinq organes de sens et les cinq facultés sensorielles. La différence entre les pôles ainsi que l’unité des pôles de chacune de ces trois paires, sont donc « parties intégrantes de leur interrelation – Unité dans la Dualité ».

La réalité ne se laisse définir par aucun des pôles/extrêmes (T. mtha’) de ces trois approches. Toute définition selon un des pôles/extrêmes est qualifiée de prolifération (T. spros pa S. prapañca). La réalité libre de prolifération (T. spros bral S. aprapañca) est appelé vacuité.

***

[1] Commentaire du MMK par Tsongkhapa, (réf. TBRC W22272-0687-7-590) p. 21
[2] Unité dans la Dualité, Présenté dans la perspective de Tendrel, Tarab Tulku Rinpoché XI, Tarab Institute France, 2011. Version anglaise en PDF
[3] Traduction française de Guy Bugault, dans les STances du Milieu par excellence. Version tibétaine : /gang gis rten cing ‘brel par ‘byung//’gag pa med pa skye med pa//chad pa med pa rtag med pa//’ong pa med pa ‘gro med pa//tha dad don min don gcig min//spros pa nyer zhi zhi bstan pa//rdzogs pa’i sangs rgyas smra rnams kyi//dam pa de la phyag ‘tsal lo/
[4] In Tsongkhapa’s work dBu-ma’tsa-ba’i tshig-le’ur byaspa shes-rab ces bya-ba’i rnam-bshad rigs-pa’i rgya-mtsho. (Tib.) Ngo-bo. In various Tibetan-English dictionaries Ngo-bo is translated to ”essence”. However, as a philosophical term Ngo-bo always means ”individual characteristics” or ”individual identity” of a certain phenomenon; fx. like Ngo-bo in Bum-pa’i ngo-bo which means ”the individual identity of a vase” Source: Tarab Institute
[5] Unité dans la Dualité, p. 21

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