mardi 22 mars 2011

Sur la nature des dakinis



La deuxième période de propagation du bouddhisme au Tibet commence avec l'ordination de dix jeunes tibétains, l'envoi de jeunes tibétains en Inde et l'arrivée d'Atiśa au Tibet. Le cursus enseigné dans les monastères est alors traditionnel : voeux de moine, étude de textes, pratique de tantras. Simultanément avec le buzz créé par l'arrivée de nouveaux tantras, des tibétains chargés d'or (Drokmi, Marpa...) partent à la recherche de nouveaux textes en Inde et établissent des centres à l'écart des monastères. Le nouveau type de tantra convient mieux aux laïcs, d'autant plus que ces tantras promettent la réussite sociale à travers quatre types d'activités : pacification, enrichissement, pouvoir et charisme et destruction des ennemis. Pendant la même période, d'autres (p.e. Maitrīpa, Atiśa, Vajrapāṇi...) tentent de recentrer "la pratique" sur ses objectifs originels. Dernier exemple en date sur ce blog, Vajrapāṇi qui explique que la pratique de la perfection de lucidité et de son mantra sont parfaitement adaptés pour les quatre types d'activités et les réalisent plus essentiellement. La pratique dominante au Tibet sera et restera celle du vajrayāna. Les avertissements contre les déviations de celle-ci et les tentatives de recentrage seront une autre donne permanente. Ces rappels peuvent être directs ou moins directs et alors plus astucieux.

Le grand compilateur Jamgon Kongtrul a édité une compilation de chants de réalisation de maîtres appartenant à la lignée Shangpa[1]. Une traduction française de ces chants a été publiée par les éditions Claire Lumière sous le titre Les chants de l'immortalité. Le chant dont la traduction française sera donnée ci-dessous ne figure cependant pas dans la traduction. Le siddha tibétain Thangtong gyelpo (thang stong rgyal po 1385-1464) fait aussi partie de la lignée. Dans son chant, on trouve tous les éléments susceptibles d'attirer l'attention des chercheurs d'instructions tantriques secrètes : Oḍḍiyāna, la ḍākinī à tête de lion, les quatre types de ḍākinī et leurs activités bénéfiques. On va avoir à faire à de l'authentique ici ! Et puis, tout compte fait, flûte, c'est vraiment de l'authentique, peut-être plus que ce que l'on souhaitait...

Quand [Thangtong gyelpo] était allé à Oḍḍiyāna, il avait reçu la consécration dans le cercle des cinq déesses. A cette occasion, la ḍākinī Siṃhamukha entourée des quatre classes de ḍākinī lui adressa le chant-vajra suivant :

La vajraḍākinī protège contre les obstacles
La ratnaḍākinī accroît les richesses
La padmaḍākinī attire les femmes
La karmaḍākinī accomplit toutes les activités

Tombant sous le pouvoir des envies
Le principe individuel (S. ātmatva) tombe sous le pouvoir des ḍākinī
Ne désirant rien qui ne soit extérieur, tout sera acquis
Comprends que les ḍākinī sont ton esprit

Comprenant le principe de l'esprit (S. cittatva)
Il sera la connaissance indifférenciée (S. nirvikalpa) imperturbable (S. vajra)
Voilà comment la vajraḍākinī protège contre les obstacles
Le contentement et l'absence de besoin sont le trésor contenant toute richesse
Voilà comment la ratnaḍākinī pourvoit en tous les besoins et désirs
L'absence de construction mentale (S. nirvikalpa) et le détachement sont le lotus
Voilà comment la padmaḍākinī attire les mudrā
L'absence de naissance et de cessation sont l'activité (S. karma)
Voilà comment la karmaḍākinī accomplit l'activité

Le yogi qui ne le comprend pas ainsi
A beau pratiquer pendant des kalpa, il ne réussira pas
C'est pourquoi comprendre que les ḍākinī sont ton esprit
Est la clé

Ce chant est l'instruction de la triple émergence et de la réunion des trois [humeurs][2].

***
Illustration : Thangtong gyelpo, Hong Kong Heritage Museum. Remarquez le vase tenu au niveau du coeur, que l'on trouve aussi dans certaines représentations de Śavaripa et qui symbolise le sens du Coeur (S. hṛdayartha T. snying po'i don).
[1] dpal ldan shangs pa bka' brgyud kyi do ha rdo rje'i tshig rkang dang mgur dbyangs phyogs gcig tu bsgrigs pa thos pa don ldan byin rlabs rgya mtsho
[2] trois humeurs utilisées en médecine tibétaine : le vent, la bile et le phlegme (T. rlung dang mkhris dang bad kan). J'ignore à quoi correspond la triple émergence (T. 'char ba rnams pa gsum) dans ce contexte.

Texte tibétain en Wylie
Pour télécharger le texte tibétain de la collection de chants de la lignée Shangpa.

/yang o rgyan tu phebs nas rje btsun ma lha lnga'i dkyil 'khor du dbang zhus pa dang /DA ki ma seng ge'i gdong pa can la DA ki ma sde bzhis bskor nas rdo rje'i glu 'di ltar blangs so//

rdo rje mkha' 'gros bar chad srung //
rin chen mkha' 'gros mi nor spel//
pad+ma mkha' 'gros bud med sdud//
phrin las mkha' 'gros las kun sgrub//

'dod sred chags pa'i dbang song bas//
bdag nyid mkha' 'gro'i dbang du song //
phyi rol mi 'dod gang yang 'byung //
DA ki rang gi sems su shes//

sems kyi de nyid shes pa dang //
sems nyid mi rtog rdo rje ste//
rdo rje DA kis bar chad srung //
chog shes dgos med rin chen gter//
rin chen mkha' 'gros dgos 'dod sgrub//
chags bral mi rtog pad+ma ste//
pad+ma DA kis mu tra sdud//
skye 'gags med pa karma ste//
las kyi DA kis phrin las sgrub//

de ltar ma shes rnal 'byor pas//
bskal bar bsgrub kyang 'grub mi 'gyur//
de phyir mkha' 'gro rang sems su//
shes pa gnad kyi mchog yin no//

zhes pa la sogs 'char pa rnam pa gsum dang /'du ba rnam gsum gyi gdams ngag rnams gsungs so/

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