lundi 21 mars 2011

Le Netra Tantra



Le Netra Tantra, aussi appelé Mṛtyuñjaya Tantra ou encore Mṛtyujit, fait partie des tantras du shivaïsme du Cachemire. On pense qu'il est apparu au 9ème siècle, et pas plus tard que l'époque d'Abhinavagupta (10ème siècle). C'est une œuvre composite comportant des couches différentes, certaines plus anciennes que d'autres. On y trouve une foule de renseignements démonologiques, des rituels pour triompher sur des démons et pour se doter de tout ce qu'il faut pour une belle réussite sociale, mais aussi des instructions qui font penser à celles de la Mahāmudrā. On y trouve même des passages qui ressemblent à certains distiques de Saraha.

Kśemarāja, disciple d'Abhinavagupta, a fait un commentaire de ce tantra dans lequel il tente de donner un sens plus ou moins homogène aux éléments très hétéroclites, que l'on trouve finalement dans pas mal de tantras. Quand les différences de méthodes sont trop grandes, elles sont présentées comme des voies diverses, destinées à des personnes de capacités et de dispositions différentes. Kśemarāja reconnaît des méthodes qui correspondent aux quatre voies, celle de l'anu, de la śakti et de Śiva, mais aussi un "accès sans mode, le non-moyen (anupāya)". Ainsi, le chapitre VIII du Netra tantra, enseigne une voie qui est un non-moyen :
"Il ne faut méditer sur rien au dessus, au dessous, au centre, devant, derrière ou de chaque côté. Qu'on ne contemple rien dans le corps ou en dehors. Ne fixe pas ton attention sur le ciel, ni sur la terre. Ne ferme pas les yeux, ni ne regarde fixement. Ne pense pas au support, ni au supporté, ni au sans support, ni aux éléments grossiers, ni au son, goût, toucher, etc. Ayant (tout) abandonné établis-toi dans la contemplation (samādhi) et deviens un. On dit que c'est l'état suprême de Shiva, l'Âme suprême. Ayant atteint ce niveau du non-manifeste (nirābhāsa), on n'en tombera plus."[1]
Hélène Brunner a écrit un article fort intéressant sur le Netra Tantra, qui est librement accessible : Un Tantra du Nord : le Netra Tantra[2]. La méthode décrite dans le chapitre VIII, y est appelée la "méditation supérieure", à laquelle on aboutit au bout "d'une ascèse intellectuelle et morale".

"Le chapitre VIII nous entraîne encore plus haut, puisqu'il est consacré à la méditation supérieure, qui vise l'identification permanente du yogin avec la forme suprême du Dieu. Dans un langage qui n'est pas sans parenté avec celui des Upaniṣad, on caractérise négativement cet absolu « que la voix ne peut dire, que l'oeil ne voit pas, que l'oreille n'entend pas », etc., mais que le yogin peut atteindre avec ses instruments propres : la pratique répétée et surtout le renoncement total, qui implique l'abandon de tout attachement et de toute aversion, la destruction de l'avidité, de l'illusion, de l'excitation, de l'envie, des prétentions, de l'orgueil et de l'inertie (3-8). Celui qui par cette voie atteint Śiva est immédiatement et définitivement libéré (8-9). On voit la différence avec le yoga précédent [chapitre VII de type kuṇḍalini] : on accédait aussi à l'absolu, mais par le truchement d'un exercice difficile, en forçant la voie, et le contact obtenu était éphémère ; on le rencontre ici au terme d'une ascèse intellectuelle et morale, et l'union est d'emblée totale. Les termes de yoga et de jñāna par lesquels ces deux méthodes avaient d'abord été désignées étaient donc parfaitement adéquats.

La pratique est présentée comme un yoga à huit membres où chaque membre acquiert une signification nouvelle. Par exemple le premier niveau, appelé yama, ne consiste pas en simples abstinences comme dans le yoga classique : c'est l'abstention perpétuelle du saṃsāra ; le niyama est la contemplation ininterrompue de la plus haute Réalité ; l'āsana consiste à s'emparer du Pouvoir de Connaissance et à ne pas le lâcher[3] : ainsi de suite pour les sept premier stades (10-16). Le huitième aṅga, le samādhi ou samādhāna, est évidemment un samādhi sans représentations, où les différences entre les êtres ont disparu pour le yogin, et où la seule connaissance qui demeure est celle-ci : «Je suis Śiva, sans second ». Seuls s'installent dans cet état permanent de Pure Conscience ceux qui, entre les deux séries de réalités que sont la matière (jaḍa) d'une part et l'esprit (cit) de l'autre, ont su discerner le Lieu immuable, éternel (17-20) [4]".

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[1] NT 8/41-45, Introduction de Mark Dyczkowski, dans La contemplation du héros de Christian Pisano, p.21
[2] Hélène Brunner, Un Tantra du Nord : le Netra Tantra dans : Bulletin de l'Ecole française d'Extrême-Orient. Tome 61, 1974. pp. 125-197.
[3] Le texte précise : "après avoir pénétré dans le souille médian, entre le prāṇa et l'apanā, ce qui suppose un certain usage du yoga habituel ; mais ce yoga n'intervient, ici que comme une aide passagère.
[4] Le samādhi est décrit en quatre śloka où le commentateur [Kśemarāja] voit peut-être avec raison une progression : mais il introduit des notions étrangères au vocabulaire du traité en affirmant que les premier, deuxième et quatrième śloka relèvent respectivement des voies de l'anu, de la śakti et de Śiva, tandis que le troisième décrit l'accès sans mode, le non-moyen (anupāya) : cf. .Lilian Silburn, Le Paramārthasāra, Publ. de l'Institut de Civilisation Indienne, fasc. 5, Paris, 1957, p. 42).

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