samedi 26 février 2011

le je devient nous




L'Enseignement de Vimalakīrti, qui porte comme titre secondaire "Exposé de la loi concernant la libération inconcevable" (S. acintyavimokṣadharmaparyāya) est un un texte qui parle principalement de la non-dualité (S. advayadharmamukhapraveśa). Il met en scène la maladie du riche commercant laïc Vimalakīrti (T. dri ma med par grags pa), très respecté pour sa compréhension profonde de la doctrine du Bouddha et véritable prototype du bodhisattva laïc.

Chacun des bodhisattva présents donne sa définition de la non-dualité. Toutes les définitions sont doctrinairement correctes. Quand c'est le tour de Vimalakīrti, celui-ci garda le silence, "inconcevablement", et fût loué par Mañjuśrī. Le bodhisattva Śrīgandha avait dit :
"Le 'moi' (S. ātman) et le 'mien' (S. ātmīya) font deux. S'il n'y a pas d'affirmation gratuite du moi (S. ātmādhyāropa), l'idée du mien ne se produit pas. L'absence d'affirmation gratuite (S. anandhyāropa) est l'entrée dans la non-dualité."[1]
Le même raisonnement peut être suivi pour le moi et l'autre et pour le sujet et l'objet. La non-dualité est l'absence de barrière en entre sujet et objet et entre soi et autrui. Absence de barrière dans le sens d'une différence de valeur. De ce point de vue, tous les attributs (S. dharmā) sont égaux (S. sama). Cette égalité de tous les attributs est l'égalité foncière (S. samatā). Il ne s'agit pour le bodhisattva pas d'une absence de valeur, mais d'une valeur égale. La valeur du soi est égale à celle d'autrui, le je devient le nous.

Car quelle est la maladie de Vimalakīrti ? Quand Mañjuśrī lui pose la question, Vimalakīrti répond :
"Mañjuśrī, ma maladie durera ce que dureront chez les êtres l'ignorance (S. avidyā) et la soif de l'existence (S. bhavatṛṣṇā). Ma maladie vient de loin, de la transmigration à son début (S. pūrvakoṭisaṃsāra). Tant que les êtres sont malades, moi aussi je serai malade ; quand les êtres guériront, moi aussi je serai guéri. Pourquoi ? Mañjuśrī, pour les Bodhisattva, la sphère de la transmigration (S. saṃsārasthāna), ce sont les êtres (S. sattva), et la maladie repose sur cette transmigration. Lorsque tous les êtres échapperont aux douleurs de cette maladie, alors les Bodhisattva, eux aussi, seront sans maladie."[2]
La maladie dont souffrent les êtres est donc l'ignorance, leur mécompréhension de la notion d'attributs (S. dharmā). Cette notion est une méprise et une grave maladie, qui se détruit en détruisant la croyance au moi (S. āṭmagrāha) et la croyance au mien (S. ātmīyagrāha). Ces deux croyances se détruisent en écartant toute activité interne et externe (S. adhyātmabahirdhāsamudācāra), et cela en considérant l'égalité foncière (S. samatā), sans mouvement (S. acalita), sans secousse (S. apracalita) et sans agitation (S. asaṃpracalita).
"Qu'est-ce que l'égalité intégrale (S. samatā) ? – Celle qui va de l'égalité du Moi (S. ātmasamatā) à l'égalité du Nirvāṇa (S. nirvāṇasamatā). Pourquoi cela? – Parce que la transmigration et le nirvāṇa sont tous deux vides (S. śūnya). Pourquoi sont-ils vides tous les deux ? – En tant que simples désignations (S. nāmadhya T. ming tsam), ils sont, tous les deux, vides (S. śūnya) et irréels (S. apariniṣpanna).
Ainsi donc celui qui voit l'égalité intégrale (S. samatā) ne fait pas de distinction entre la maladie d'une part et la vacuité d'autre part : la maladie (S. vyādhi), c'est la vacuité (S. śūnyatā)."[3]


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Illustration : Vimalakīrti allité

[1] L'Enseignement de Vimalakīrti, Etienne Lamotte, éd. Peeters 1987, p. 303
[2] Lamotte, p. 224
[3] Lamotte, pp. 229-230

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